Le Festival de Deauville a décerné son Grand Prix à « Down with the king », des Prix du Jury à deux films évoquant l’industrie du X, et présenté en avant-première le très attendu « Dune ».
Des personnages qui veulent changer de vie. Tel est le point commun aux films primés lors du 47e Festival du Cinéma Américain de Deauville, qui s’est déroulé du 3 au 12 septembre. Présidé par Charlotte Gainsbourg (entourée de Bertrand Bonello, Delphine de Vigan, Mikhaël Hers, Garance Marillier, Fatou N’Diaye, Denis Podalydès, Marcia Romano, et SebastiAn), le jury a décerné son Grand Prix à « Down with the king », de Diego Ongaro ; l’histoire d’un rappeur (joué par Freddie Gibbs) qui se retire à la campagne pour composer un album, et qui se découvre finalement un certain goût pour la vie de fermier.
Deux Prix du Jury ont été remis à des films évoquant à leur façon l’industrie du cinéma porno. « Pleasure » de Ninja Thyberg, dans lequel une jeune Suédoise (interprétée par Sofia Kappel) est prête à tout pour faire carrière dans le X à Los Angeles. Et « Red Rocket » de Sean Baker (qui a aussi reçu le Prix de la Critique), dans lequel Mikey (interprété par Simon Rex) fait le chemin inverse : acteur porno connu, il vient de quitter L.A. où « tout est parti en vrille » et rentre fauché et amoché à Texas City, où il n’est pas vraiment le bienvenu chez son ex-femme.
Pour vivre enfin sa vie en toute tranquillité, un gamin enferme sa famille dans un bunker désaffecté dans « John and the hole » de Pascal Sisto, qui a reçu le Prix de la Révélation. Enfin, touché par « Blue Bayou » de Justin Chon, film déchirant et plein d’humanité, le public de Deauville lui a donné son Prix. Le public français pourra d’ailleurs le découvrir dès ce mercredi 15 septembre, puisque plusieurs films présentés au Festival de Deauville sortent dès cette semaine dans les salles françaises : « Blue Bayou » donc, mais aussi le très attendu « Dune », « La proie d’une ombre », et le documentaire « L’Etat du Texas contre Melissa » (lire ci-après).
« Dune », le pouvoir du désert
La projection en avant-première de « Dune » (sortie le 15 septembre) était certainement la plus attendue des festivaliers de Deauville. Tiré de l’oeuvre de Frank Herbert, paru en 1965, « Dune » est un mythe maudit du cinéma ; si David Lynch en a fait une adaptation, sortie en 1984, plusieurs autres n’ont pas abouti, notamment les versions d’Alejandro Jodorowsky et Ridley Scott, suivies de multiples autres projets également avortés. Réalisateur canadien, Denis Villeneuve avait lu le roman ado, et avait alors été embarqué par la poésie de l’œuvre, son discours naturaliste, et « le chaos généré par le colonialisme ».
S’il a d’abord fait du cinéma indépendant (« Incendies », « Un 32 août sur Terre »), puis des polars (« Prisoners », « Sicario »), Denis Villeneuve a tourné deux grosses productions de science-fiction (« Premier contact » et « Blade Runner 2049 ») avant de s’attaquer à ce space-opera qui est aussi une fable écologique. Une nouvelle grande saga inter-galactique qui entraînera les fans de « Star Wars » vers de nouveaux univers, de nouveaux personnages, de nouvelles histoires. Le héros est un jeune prince héritier de la planète Caladan, Paul Atréides, incarné par l’acteur franco-américain Timothée Chalamet, qui avec ce film va devenir une star internationale. Touché par la grâce, béni des dieux, Paul tient de son père un entraînement aux armes et à la politique, et de sa mère des pouvoirs puissants et magiques ; le jeune maître a une destinée, il pourrait être « l’Elu » tant attendu.
Le récit commence en l’an 10191, alors que le peuple Atréides prend possession de la planète Arrakis, une terre de dunes, désertique et plombée de chaleur. Sous le sable, « la substance la plus précieuse de l’univers », une « épice », récoltée tel un trésor, mais volée à un peuple indigène. Lutte de pouvoirs ou d’indépendance, une guerre interplanétaire est déclarée avec la fureur d’une attaque nocturne surprise. « Dune » est « la » nouvelle grande saga hollywoodienne, ce film a coûté 165 millions de dollars, et un second opus devrait suivre. Porté par une musique forte et puissante, presque écrasante, composée par Hans Zimmer, et une image en majesté, l’œuvre a une l’ampleur qui ravira les amateurs de science-fiction. Entouré de prestigieux seconds rôles (Zendaya, Javier Bardem, Josh Brolin, Stellan Skarsgard, Rebecca Ferguson, Charlotte Rampling…) Chalamet est pour toujours le « jeune prophète » qui va devoir maîtriser le pouvoir du désert.
« Blue Bayou », Américain avant tout
« C’est un film qui touche tout le monde, et surtout ça parle de la famille », disait l’actrice française Linh-Dan Pham, au Festival de Deauville, avant la projection du film réalisé par Justin Chon, « Blue Bayou » (sortie le 15 septembre). Sélectionné également au Festival de Cannes dans « Un Certain Regard », et Prix du Public à Deauville, ce long-métrage assure que « le seul endroit auquel on appartient, c’est sa famille ».
Acteur dans la série de films « Twilight », Justin Chon interprète le rôle principal de son film, un Coréen d’origine adopté jeune aux Etats-Unis ; Antonio, qui en plus s’appelle LeBlanc, vit en Louisiane. Il est marié à Kathy (Alicia Vikander), enceinte de leur premier enfant, qui a déjà une fille d’une première union, Jessie (incarnée par la formidable jeune Sydney Kowalske). C’est la galère, son boulot de tatoueur ne lui permet pas de donner un peu de confort à sa famille. Antonio cherche un autre emploi, mais les entretiens d’embauche se terminent souvent par : « Je ne peux rien pour vous ».
Un simple contrôle de police le fait basculer dans une situation dramatique : Antonio est menacé d’expulsion. Lui qui se considère Américain, qui n’a jamais connu que ce pays où il vit depuis trente ans, devrait quitter les siens et rejoindre un pays qu’il ne connaît pas. Avant des adieux déchirants à l’aéroport, Justin Chon montre des moments heureux filmés comme tels, de belles séquences de complicité entre la gamine et celui qui est assurément un bon mari et bon père. Histoire de montrer que la famille c’est comme la patrie, ce n’est pas celle où l’on naît qui compte mais celle qu’on se choisit.
« Blue Bayou » enchaîne des fins possibles successives, on sent le drame arriver, mais finalement c’est le message positif, sur l’unité et la chaleur de la famille, qui l’emporte. Avant de rappeler, dans le générique de fin, les très nombreux cas d’expulsions de citoyens qui s’estiment Américains, mais ont le tort d’avoir été adoptés ou d’être nés à l’étranger.
« La proie d’une ombre », solitude en maison hantée
Seule dans sa grande maison au bord d’un lac, les nuits de Beth (Rebecca Hall) sont agitées. La jeune veuve y est « La proie d’une ombre » (« The night house »), titre du film de David Bruckner (sortie le 15 septembre). D’ailleurs, elle envisage de la vendre, cette maison construite par son mari, dont le suicide est incompréhensible, l’abandonnant à la douleur et la solitude. Des bruits, des coups, un portail ouvert, des traces de pas… il se passe des choses bizarres dans cette élégante demeure. « Je crois qu’il y a un truc chez moi », confie Beth, qui sent « une présence », qui entend des voix, fait des cauchemars, des crises de somnambulisme.
En faisant les cartons, elle tombe sur des livres ésotériques, les plans de leur maison, et surtout des photos de femmes qui lui ressemblent, grandes et minces, brunes aux cheveux longs. Sur l’autre rive du lac, elle découvre même une autre maison en construction, presque identique à la sienne. La vérité serait donc ailleurs. D’abord inquiétant, étrange, « La proie d’une ombre » bénéficie d’une mise en scène de qualité et d’une interprétation habitée de Rebecca Hall. Mais sur la fin, cette histoire de maison hantée cède malheureusement au banal surnaturel si courant dans le cinéma fantastique.
« L’Etat du Texas contre Melissa », seule contre tous
« Je ne bats pas mes enfants », assure Melissa Lucio. Pourtant, les toutes premières images du documentaire de Sabrina Van Tassel, « L’Etat du Texas contre Melissa » (sortie le 15 septembre), pourraient laisser penser le contraire. On la voit frapper un baigneur à la demande d’un policier, de refaire ce qu’elle aurait fait à sa fille de deux ans. Des bleus sur le corps, un traumatisme crânien, la petite en serait morte. Désemparée, épuisée, Melissa tape donc un poupon machinalement, à la fin d’un interrogatoire sous pression, à 3 heures du matin. C’est ce qui lui vaut d’être la première femme hispanique condamnée à mort au Texas, et d’être depuis plus de dix ans dans le couloir de la mort.
Sabrina Van Tassel reprend le dossier depuis le début et son film est un document terrible sur le système judiciaire américain. L’enquête a été bâclée, les aveux obtenus sous la contrainte, la défense inexistante, la famille absente, le procès à charge mené par un juge corrompu… Après plusieurs appels, Melissa n’a plus guère que l’espoir d’une décision de la Cour Suprême pour avoir la vie sauve.
Dans son interview donnée à Sabrina Van Tassel dans la prison de Gatesville, cette mère de 14 enfants, séparés et envoyés dans des familles d’accueil, reconnait avoir été négligente, mais elle plaide toujours son innocence : « Je ne bats pas mes enfants ». Mère de famille nombreuse, latino, toxicomane, miséreuse, Melissa était une coupable idéale pour la justice texane ; qui n’a pas tenu compte de ce que révèle ce documentaire : l’enfant est tombée dans un escalier, bousculée par une grande sœur qui la battait régulièrement. Melissa ne comprend pas ce qui lui est arrivé : « L’Etat du Texas veut me tuer », dit-elle, et jusqu’alors seul ce film a pris sa défense.
Patrick TARDIT