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« La plus belle place du monde » : les Nancéiens et la place Stanislas

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La place Stanislas; si aimée des habitants de Nancy.
Photo personnelle/ Lylette Gabrysiak, CC BY-SA

Lylette Lacôte-Gabrysiak, Université de Lorraine; Adeline Florimond-Clerc, Université de Lorraine et Cécile Bando, Université de Lorraine

Lors de la journée d’étude « les Bobines de l’Est », quelques secondes d’un film tourné à Nancy à la fin du XIXe siècle par l’un des frères Lumière – ou l’un de leurs techniciens – montre un plan fixe de la place Stanislas. Il est émouvant de voir ces passants, hommes, femmes, enfants, ces voitures hippomobiles sur cette place si semblable à ce qu’elle est aujourd’hui. Lieu symbolique de la ville, c’est au cours d’une étude sur la culture à Nancy que nous avons pu découvrir ce que représente la « place Stan » pour les Nancéiens d’aujourd’hui.

Cette étude qui porte plus largement sur la perception par les habitants de Nancy de la culture dans leur ville a été réalisée suite à un contrat de recherche avec la municipalité. Elle nous a permis de constater à quel point les habitants étaient attachés à leur patrimoine architectural. Située dans le nord-est de la France, Nancy est une ville étudiante (35 000 étudiants sur les 100 000 habitants) et plutôt bourgeoise, loin des cités ouvrières de la vallée de la Fensch. La place Stanislas et son prolongement XVIIIe siècle (place de la Carrière et place d’Alliance), inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco en 1983, est certainement l’image de Nancy la plus connue au niveau national comme international. On peut ajouter au patrimoine architectural local des demeures de l’École de Nancy disséminées dans la cité.

Une place plébiscitée

Lors de cette enquête auprès des habitants, il était demandé aux personnes interrogées ce qui, selon elles, symbolisait le mieux la ville. Sans surprise, la place Stanislas a été la plus citée par 67,2 % des Nancéiens interrogés. Nulle recherche d’originalité pour les habitants par une valorisation de monuments plus confidentiels mais une reconnaissance, au contraire, de la prévalence de la place Stanislas comme image de leur ville. On aurait pu en déduire que les personnes interrogées sont conscientes de la notoriété de la Place et qu’elles ne font que citer ce qui est, effectivement, l’image la plus connue de Nancy.

Toutefois la réalisation d’entretiens complémentaires permet de dépasser ce constat pour en faire un autre : les habitants de Nancy sont fiers de leur Place et leur attachement est entretenu par l’usage régulier qu’ils en font. En effet, cette place opère comme un lieu incontournable de la ville, associée aux moments exceptionnels, comme aux plus quotidiens.

La fierté exprimée est profonde : c’est « la plus belle place d’Europe » nous dit Benoît (22 ans), « la plus belle jamais vue » selon Héléna (20 ans). Cette place associe patrimoine et identité. Les habitants y emmènent leurs visiteurs, l’arrivée place Stanislas constituant, au choix, la première étape ou l’aboutissement en forme d’apothéose, d’une promenade dans la ville. Ils la défendent, la décrivent avec gourmandise, la citent, en se focalisant presque toujours sur la Place elle-même, faisant dès lors passer au second plan le reste de l’ensemble architectural XVIIIe siècle. Le parc de la Pépinière, dont l’accès est possible depuis l’une des portes de la place Stanislas, est vécu comme un prolongement végétal et estival de celle-ci, accentuant le plaisir de la déambulation.

Un lien personnel avec la place

Cet attachement, motif de valorisation et de fierté, est renforcé par une trame plus personnelle car cette place constitue le décor de souvenirs souvent forts : les mariés nancéiens entrent et sortent de l’Hôtel de Ville par la place. C’est là également que, spontanément, les Nancéiens se rassemblent en cas de « grands événements » allant de l’élection présidentielle aux soirs de victoires footballistiques. Ainsi, parmi les meilleurs souvenirs de la ville collectés auprès des habitants on trouve par exemple : le mariage de Otto de Habsbourg en 1951 « Notre patron nous avait donné congé. On était place Stanislas ! » se souvient Pierrette (89 ans), ou le rassemblement populaire sur la place lorsque Nancy gagna la coupe de la ligue de football en 2006 pour Oscar (45 ans). Mais aussi les 24 heures de la place Stan pour Théo (41 ans) lorsqu’il était étudiant ; les feux d’artifice du 14 juillet pour Michèle (75 ans) et Maëlle (25 ans) ; le spectacle Sons et Lumières pour Michèle encore et Héléna (20 ans).

C’est aussi place Stanislas que l’on peut se retrouver afin de fêter un événement personnel : réunion de famille, succès professionnel, enterrement de vie de jeune fille… Christian (40 ans) nous a ainsi confié que son plus beau souvenir demeure « son fils, place Stan, à la sortie de la maternité ». Pour beaucoup d’habitants, la place s’impose comme lieu de référence, espace incontournable.

Mais plus encore que ces moments inoubliables, c’est le quotidien des citadins qui, en s’inscrivant volontairement dans ce cadre, leur font considérer la place avec tant d’affection. Beaucoup nous on dit dévier leur trajet, pour simplement la traverser, alors même qu’ils ont d’autres choses à faire en ville. On s’y arrête boire un café. On s’y donne rendez-vous non seulement parce que c’est simple mais aussi parce que c’est beau et apporte une touche d’esthétisme dans une journée banale. Ainsi, pour Valérie (28 ans), ce qu’elle préfère ce sont « des soirées type un bon resto. Après, aller voir le spectacle de la place Stan. Et puis après, aller boire un verre en terrasse […] parce qu’il y a toujours du monde ». Ces « pratiquants ordinaires du patrimoine » comme les nomme Anne Watremez tissent leur vie quotidienne dans ce rapport de proximité et d’intimité avec un patrimoine exceptionnel.

Des aménagements appréciés

Les jardins éphémères.
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Aussi ce qui touche à la place Stanislas est-il particulièrement sensible pour les habitants de la ville. Il en est ainsi de sa rénovation en 2005 qui a conduit, non seulement à refaire le pavage mais surtout l’a rendu piétonne. Avant, c’était « sale » dit Thomas (50 ans) qui estime que « la réfection de la place Stanislas […] ça a quand même changé la physionomie de la ville. En bien. […] C’est devenu piéton. C’est un confort ».

Débarrassée du bruit incessant de la circulation, envahie par les terrasses des cafés, la Place se présente depuis comme un lieu encore plus convivial de rencontres et de flâneries. La municipalité utilise également ce cœur de ville pour y situer des sons et lumières. Ceux-ci sont d’autant plus appréciés qu’ils sont vus ou revus souvent de manière fortuite : on est « place Stan » pour un repas, un verre, une glace, et on reste pour le son et lumière qui commence. Le plaisir semble en être augmenté, comme s’il s’agissait d’une heureuse surprise, venant s’ajouter au plaisir de profiter de la place.

De la même manière, les jardins éphémères installés depuis quelques années transforment la Place au gré des saisons. Leur succès est manifeste auprès de la population et ils ont été souvent cités lors de nos entretiens comme une des « manifestations culturelles » auxquelles les personnes avaient assisté au cours de l’année écoulée. « Les jardins éphémères, je trouve ça vraiment très beau, je vais toujours les voir » déclare Caroline (46 ans).

Enfin, l’encapsulation de Stanislas lors des Fêtes de Saint-Nicolas 2016 marquait avec humour le ton de ces festivités.

Photo statue de Stanislas, Fêtes de la Saint-Nicolas 2016.
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The ConversationD’autres recherches pourraient être menées sur ce sujet. Au-delà des aménagements urbains… il importe en effet de ne pas sous-estimer ces sentiments plus profonds, et plus forts que ce que l’on peut imaginer, entre une ville et ses habitants. La place Stanislas interroge cet attachement qui peut conduire des individus à considérer qu’une partie de leur ville est aussi un bout d’eux-mêmes.

Lylette Lacôte-Gabrysiak, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communciation, Université de Lorraine; Adeline Florimond-Clerc, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine et Cécile Bando, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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