La réalisatrice Anne Fontaine évoque à la fois le sort des migrants et le quotidien des policiers dans ce film sombre, fort et stylisé, avec Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois.
Demande d’asile refusée, un migrant doit être conduit du centre de rétention à l’aéroport de Roissy, y prendre un avion de retour vers son pays, le Tadjikistan. La mission nocturne est confiée à trois policiers, Virginie, Aristide, Erik, joués par Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois, dans le film de Anne Fontaine, « Police » (sortie le 2 septembre), adaptation d’un livre de Hugo Boris.
Avant de retrouver ces quatre personnages dans une voiture de police, le film s’ouvre d’abord en plusieurs chapitres, les mêmes séquences vécues de façon différente par les trois flics. « Chaque personnage a son moment et ça met le spectateur dans une proximité plus intime », confie la cinéaste (« Nettoyage à sec », « Coco avant Chanel », « Gemma Bovery », « Les Innocentes », « Marvin ou la belle éducation »…). On découvre ainsi les traumas et tracas de chacun, sa vie, ses emmerdes : maman d’un bébé de 18 mois, Virginie a rendez-vous le lendemain pour aller se faire avorter, enceinte qu’elle est de son amant et collègue Aristide ; derrière les blagues faciles, celui-ci fait le vide en lui et entend « souffler le vent dans sa tête » ; en guerre avec madame, Erik ne résiste pas à sa flasque d’alcool cachée dans son uniforme, et ne voit dans ce boulot d’un soir que juste « emmener un type d’un point A à un point B ».
Pourtant, le trio va être perturbé par ce clandestin expulsé, incarné par Payman Maadi (« Un des plus grands acteurs iraniens », précise Anne Fontaine), un homme calme, muet et énigmatique, qui pleure en silence. Ne sachant pas s’ils conduisent un réfugié menacé de mort ou bien, pourquoi pas, un terroriste. Viriginie la première est prête à le laisser s’enfuir, le laisser ouvrir la porte lorsque la voiture stoppe à un feu rouge. « Police » est ainsi un film qui évoque à la fois le sort des migrants et le quotidien des policiers, et entraîne le spectateur dans le même cas de conscience.
Alors que la voiture de police s’enfonce progressivement dans la nuit, le récit se fait de plus en plus sombre, et la tension latente, à épier les regards des uns sur les autres (quatre formidables interprètes). Grâce notamment au travail du chef-opérateur Yves Angelo, c’est un film fort et stylisé (superbe séquence surréaliste d’un cheval s’échappant d’un incendie), où la seule légèreté sort de l’autoradio. « J’aimais bien que ce soit allégé par de la variété, Balavoine, Marc Lavoine, Julie Armanet… J’adore la chanson populaire, je me sens bien dès qu’il y a une chanson, j’ai l’impression que la vie est plus gaie », confie Anne Fontaine, qui tenait à finir son film avec une touche positive, aller voir la mer, se prendre par la main…
Rencontre avec la réalisatrice Anne Fontaine lors de l’avant-première de « Police » au Caméo, à Nancy.
Anne Fontaine : « Tous les personnages sont en souffrance »
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le livre d’Hugo Boris ?
Anne Fontaine : Le roman s’inspire d’un fait réel, un incendie au centre de rétention de Vincennes, et je me suis inspirée de la trajectoire de ces trois personnages qui, chacun pour des raisons différentes, ont des rapports personnels fragilisés en partant vers leur mission, qui est inédite pour eux. La fin est très différente et dans la construction j’ai librement adapté, j’ai chapitré et j’ai trouvé une façon d’incarner le Tadjik à des moments différents ; dans le livre, il inspirait de la compassion mais il n’y avait pas ce côté dangereux, forcément il y a des choses que j’ai interprétées.
Vous avez composé un beau trio, avec Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois, ça fonctionne bien entre eux…
Omar Sy et Virginie forment un couple charismatique, on a envie que leur histoire se déploie, même si elle est minimaliste de par le côté adultérin de leur relation ; et puis Gadebois, je savais qu’il pouvait incarner la raideur, un type buté, et qu’il y avait derrière une empathie, quelque chose de souffrant. Parce qu’ils sont tous en souffrance, les trois personnages, lui avec l’alcool, Omar qui est projeté père éventuel pendant une nuit, et elle qui doit subir une intervention traumatique. Ces trois êtres, quand on arrive dans la voiture, on est familier avec leurs déficits ; c’est un voyage initiatique, finalement, un voyage avec l’autre.
Vous avez également donné un rôle différent à Omar Sy…
Je l’ai empêché de sourire. Quand j’ai rencontré Omar Sy, j’ai eu vraiment le sentiment de ce mélange d’empathie et de douceur ; bien sûr dans tous les rôles qu’il fait, il y a ce rire, qui pouvait être un écran à autre chose. Je trouve qu’il incarne le personnage de cet homme fragile, et en même temps d’origine étrangère, de manière incroyablement humaine et bouleversante. Il avait envie de tourner avec quelqu’un qui travaille différemment de ce qu’il a l’habitude de faire.
Une femme battue, un bébé dans un congélateur… vous vouliez aussi montrer la violence dans le quotidien de ces policiers ?
Oui, dans leur métier, on ressent tout le temps quelque chose d’extrême, ils sont vaccinés contre cette violence humaine et en même temps ils ne le sont jamais. Il y en a beaucoup qui abandonnent et beaucoup qui se suicident, c’est réel. Ce qui est dur dans ce métier, c’est qu’on leur demande de ne pas céder à l’humanité, d’être derrière cet uniforme.
« On est transgenre quand on est metteur en scène »
Et là, avec cet homme à expulser ou non, ils sont pris entre leur devoir de policiers et leur conscience de citoyens ?
Oui, c’est un film sur la désobéissance positive. Il y a une tension émotionnelle, sur le qui-vive, il y a ce questionnement : si on était à leur place, qu’est-ce qu’on ferait ? C’est plus un film sur un questionnement métaphysique que sur de l’action. Ce qui m’intéressait aussi, c’est que ça joue avec le possible et le romanesque. Ce sont des policiers de quartier, de proximité, alors que pour ce type de mission ce sont des gens spécialisés, de la police des frontières, qui sont complètement étanches à la problématique individuelle. Je suis allée au centre des réfugiés, grâce à Amnesty International, j’ai rencontré devant des policiers quelqu’un qui pourrait être dans cette situation, et un des policiers m’a dit exactement une des répliques d’Omar Sy : « Mais vous croyez ce qu’il vous dit ? C’est une histoire achetée à Barbès ». Effectivement, on ne sait pas si c’est inventé ou pas, mais peu importe.
Une grande partie du film a été tourné à l’intérieur d’une voiture, en studio, mais auparavant vous aviez fait de nombreuses répétitions ?
Je voulais voir comment le trio allait fonctionner, dans les répétitions il y a une expérience, qui ne produit pas de l’efficacité, mais qui produit de la recherche, ce qui fait que le premier jour de tournage vous avez tout de suite quelque chose qui est déjà là, je n’ai plus qu’à faire des réglages. Je travaille beaucoup sur les visages, j’intériorise leurs traits, et quand je sens qu’ils s’appuient sur des choses contraires au personnage, je sais où il faut toucher. Par exemple Omar, je l’ai vraiment dirigé sur la fragilité, son regard et la façon de le poser ; Virginie, c’était le fait d’être anti-compassionnelle, de ne pas aller dans l’émotion, de résister, comme une force intérieure ; Gadebois, je lui avais dit qu’il fallait rester intraitable, et il arrive avec un niveau de préparation incroyable, presque comme un acteur anglo-saxon, il a une vision complète de son personnage.
« Police » avait été sélectionné au Festival de Berlin, est-ce que vous sentez que les festivals accordent désormais une importance plus grande aux films faits par des réalisatrices, afin de mieux respecter la parité ?
Dès mon premier film, je suis allée à Cannes, alors que c’était un film fragile (« Les histoires d’amour finissent mal en général »), je n’avais jamais fait de court-métrage, et j’ai eu le Prix Jean Vigo ; j’étais la deuxième femme je crois, après Agnès Varda, à avoir le Prix Jean Vigo. Donc je n’ai jamais souffert de l’idée qu’être une femme c’était un peu moins bien. La seule chose, c’est que je n’ai jamais voulu me mettre dans les festivals de femmes, je pense que quand on est metteur en scène on est un transgenre, je trouve ridicule de penser qu’on est plus sensible. Ce que je note, c’est que ça devient de plus en plus une question, il y a plus d’hommes metteurs en scène c’est sûr, historiquement. J’ai subi peut-être un tout petit peu le regard de techniciens hommes, quand j’hésitais sur un tournage, qui se disaient « Elle ne sait pas ce qu’elle veut » ; alors que si c’est un homme qui fait la même chose, c’est « Il pense ». Je sentais cette chose-là, mais maintenant je m’en fous, et il y a beaucoup de techniciens femmes maintenant. J’aime mélanger, j’aime les femmes viriles et les hommes féminins ; ce que je n’aime pas, c’est quand on est un pléonasme de son propre sexe, c’est appauvrissant, mais dans le cinéma, on a la chance de pouvoir naviguer. La vraie inégalité, c’est que les femmes n’ont pas le même salaire, à notoriété égale, c’est une chose très concrète et très signifiante.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Police », un film d’Anne Fontaine, avec Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois (sortie le 2 septembre).