Les deux acteurs incarnent des gardiens de musée dans le film de Ronan Le Page, tourné à Dijon. « Ce sont des personnages qui essaient d’échapper à eux-mêmes, à leur passé », précise le réalisateur.
A elle seule, la séquence d’ouverture du film de Ronan Le Page, « Je promets d’être sage » (sortie le 14 août), est une promesse de non-sagesse. Pio Marmaï y incarne Franck, un créateur de théâtre « ridicule, fantaisiste, excessif », qui pète très fort les plombs sur la première d’une pièce vraiment trop d’avant-garde. Du coup, l’explosif metteur en scène brûle ses masques et costumes de scène, et abandonne le spectacle pour un emploi bien plus calme de gardien au Musée des Beaux-Arts de Dijon, où a été tourné une partie de ce film, logiquement soutenu par la Région Bourgogne Franche-Comté.
« Le Musée des Beaux-Arts de Dijon est assez incroyable, j’ai d’ailleurs un peu adapté le scénario à sa collection, qui est assez morbide et drôle en même temps, je trouvais que ça résonnait avec le personnage de Franck et la tempête sous son crâne. On a eu la chance que l’équipe du musée nous fasse confiance », précisait Ronan Le Page, lors des avant-premières de son film aux cinémas UGC de Nancy et Ludres.
Désormais bien sage dans son uniforme, costard noir, cravate et chemise blanche, Franck assume sa « soif de normalité et de tranquillité » ; mais à force de surveiller le tombeau des Ducs de Bourgogne, Franck découvre aussi le grand ennui du gardien de musée. « C’est un métier que je trouvais assez poétique, c’est un milieu qui n’est pas souvent représenté, je trouvais ça intéressant parce qu’il y a ce côté représentation et coulisses qui est souvent payant pour la fiction », ajoute le réalisateur.
Ronan Le Page : « C’est un film sur le pouvoir de la fiction »
Décidé à se ranger pour de bon, le vacataire apprécie d’abord le calme et le silence des lieux, les chaussures qui grincent sur le parquet. Alors qu’il commence à s’éteindre et se tasser sur sa chaise où il pourrait bien dépérir, Franck se rallume au contact d’une collègue particulièrement désagréable, Sybille, jouée par Léa Drucker. « D’imaginer Pio dans la contrainte d’un musée, il y avait quelque chose d’assez excitant, il y a une promesse amusante. Et Léa m‘avait beaucoup impressionné dans ‘’Le Bureau des Légendes’’ où elle jouait une espionne, un agent double, à un moment elle prenait le pouvoir sur Mathieu Kassovitz et avait une autorité impressionnante, alors qu’au départ elle était très discrète », dit Ronan Le Page, qui les as aussi choisis pour « la drôlerie, la dinguerie » des personnages.
En fait, si Sybille se fait hostile avec tout le monde, c’est pour mieux cacher ses vols dans les réserves du musée, ces objets qu’elle revend ensuite à des collectionneurs. Aussi égarés l’un que l’autre, Sybille et Franck vont « reprendre leurs vies en mains », se faire complices et bientôt plus que complices puisque affinités. Dans un jeu quasi-enfantin, elle devient son interprète lors de leurs petites escroqueries ; sur fond d’arnaque, « Je promets d’être sage » est ainsi une agréable comédie sentimentale, au scénario malicieux.
« C’est un film sur le pouvoir de la fiction, ce sont des personnages un peu prisonniers d’eux-mêmes et par la fiction, le jeu, ils vont se libérer, ils essaient d’échapper à eux-mêmes, à leur passé », Ronan Le Page, « Je ne crois pas qu’ils soient déprimés, mais ils cherchent un équilibre, et pour ça on peut se reconnaître en eux ; il y a quand même de l’allant, une énergie, mais ils luttent contre des angoisses. Ils ne vont pas forcément bien, mais ils sont vaillants, ils luttent. Ce qui m’intéressait, c’est de trouver le décalage pour parler de personnages qui ont des difficultés à vivre, et de parler de ça avec légèreté, drôlerie, empathie ».
Léa Drucker : « Quelqu’un d’antipathique cache forcément quelque chose »
Cette Sybille que vous incarnez est désagréable, caractérielle, de quoi souffre-t-elle ?
Léa Drucker : De solitude, sûrement. D’ennui je ne crois pas, mais d’une incapacité à vivre les choses de la vie, comme les gens ordinaires, elle ne s’y risque pas parce que ça l’effraie, c’est une carapace qui lui permet de continuer à avancer. En fait, c’est une femme très complexée, elle n’arrive plus à gérer certaines choses essentielles, elle en a honte, donc elle s’est construit ce personnage assez odieux, pour éviter que les gens rentrent dans son intimité et découvrent vraiment qui elle est.
C’est ce qui vous intéressait dans ce rôle, de jouer un personnage a priori antipathique ?
Ce n’est pas l’idée de jouer quelqu’un d’antipathique, c’est quelqu’un que je trouve humain, quelqu’un d’antipathique cache forcément quelque chose. Ce qui m’intéresse dans les rôles, c’est ce qui est un peu troublant, qui n’est pas lisse, c’est un personnage avec des contradictions, de la mauvaise foi, et je trouve ça très drôle à faire. On ne sait jamais vraiment ce que c’est qu’être normal, c’est assez subjectif, moi je me sens rassurée par les fous. Le personnage joué par Pio l’ouvre à une perspective de vie qu’elle n’avait pas imaginé, une vie de jeu, c’est une femme qui se met à jouer et il est obligé de redevenir metteur en scène malgré lui. Cette porte qu’il arrive à ouvrir est pour elle une libération.
En recevant le César de la meilleure actrice pour « Jusqu’à la garde », le film de Xavier Legrand, vous avez prononcé un discours très fort sur les violences conjugales, c’était important pour vous ?
Oui, parce que quand on fait un film comme ça, qu’on baigne dans ce sujet-là, qui est beaucoup trop présent, je trouvais difficile si jamais j’arrivais sur scène de repartir sans évoquer ce problème qui est un sujet de société très grave. Nous, on fait de la fiction pour en parler, mais c’est bon de rappeler que ça arrive pour de vrai, c’était une nécessité. Je me suis lancée dans quelque chose que j’avais besoin de dire, j’avais évidemment peur de mal le dire, mais c’était sincère.
Dans la comédie campagnarde « Roxane » de Mélanie Auffret, vous avez un rôle plus empathique, une épouse qui soutient son mari, un éleveur de poules joué par Guillaume de Tonquédec…
J’adore ce personnage, j’adore le personnage de Guillaume, et l’univers très sincère de Mélanie. On a été immergés dans le Centre-Bretagne, avec des agriculteurs, qui d‘ailleurs jouent dans le film, ce sont des personnages qui me touchent beaucoup, dans ce qu’ils vivent, et dans la façon dont ils se défendent. C’est une femme qui est dans le concret, elle est employée de banque, donc elle voit le quotidien des agriculteurs qui sont en surendettement et la menace qui pèse sur eux. Elle incarne la femme qui a les pieds sur terre, mais finalement il y a de l’amour entre eux et elle va finir par le comprendre, heureusement.
Pio Marmaï : « Je suis attiré par des personnages qui essaient de paraître normaux »
Pour le théâtreux en surchauffe que vous jouez au début du film, vous vous êtes inspiré de quelqu’un ?
Non, il y a Vincent Macaigne que je connais qui est un metteur en scène, qui travaille aussi au cinéma, et qui peut être en surchauffe, c’est de notoriété publique. Pour plonger dans ce type de séquence, on peut rester en surface, dans quelque chose d’assez euphorique qui peut être assez naturaliste, à l’inverse la proposition qu’on a faite c’était vraiment d’explorer l’ultime hystérie, l’explosion, la saturation nerveuse, c’est un truc qui m’a beaucoup marqué dans le process de fabrication du film.
C’était donc une scène particulièrement intéressante à jouer ?
Dans ma carrière d’acteur, ces deux jours-là c’est vraiment un truc où j’avais l’impression que je ne m’appartenais plus du tout, et pourtant je suis quelqu’un d’assez cadré dans le travail. J’étais une sorte d’électron libre très fébrile, je ne l’avais pas envisagé comme ça à la lecture, mais il s’est créé comme ça, dans l’hystérie et en même temps dans la retenue. J’aime bien l’idée d’aller au bout d’une proposition, je propose quelque chose, je ne suis pas venu faire de la figuration.
Ce personnage un peu paumé partage une certaine naïveté, une innocence, avec celui que vous incarnez dans le film de Pierre Salvadori, « En liberté »…
Je n’arrive pas à faire le lien, mais il y a un truc aussi sur des gens qui s’interrogent sur le jeu, la position sociale, qui se retrouvent aussi dans le film de Pierre, il y a des échos sur la normalité, la position qu’on a et comment on joue avec ça. En tout cas, je suis de plus en plus attiré par des personnages qui essaient de paraître normaux, je trouve ça assez fascinant, de vouloir absolument rentrer dans la norme avec l’envie au fond de ne pas vouloir y être, mais de quand même faire l’effort et tendre vers cette normalité, c’est un truc qui m’attire en ce moment, il y a un peu des points communs, oui.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Je promets d’être sage », un film de Ronan Le Page, avec Léa Drucker et Pio Marmaï (sortie le 14 août).