Agnès Ceccarelli, ICN Business School
Le 18 août dernier, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, a annoncé la mise en place du « port du masque dans tous les espaces de travail clos et partagés ». Une décision qui dans le contexte actuel de Covid-19 s’impose indifféremment aux employeurs, comme aux salariés, dans tous les espaces communs de l’entreprise, sauf dans les bureaux individuels.
Cette mesure obligatoire entre en application le 1ᵉʳ septembre 2020 afin de limiter la propagation du virus au sein des organisations.
Pour autant, ce nouveau protocole ne manque pas de susciter un certain nombre de questionnements quant aux modalités de ce nouveau « dress code » (code vestimentaire) dans l’entreprise, aux conséquences sur notre communication interpersonnelle et notre relation aux autres.
Une gêne et des coûs supplémentaires
L’accueil de l’annonce s’est fait sans grands remous, ni surprise par les instances concernées. Patronat et syndicats ont pris acte de cette décision « claire » et non « insurmontable », espérant, tout de même, que cette « contrainte supplémentaire » soit « temporaire ».
Dans la plupart des entreprises, le port du masque était déjà instauré depuis la fin du confinement. Il appartiendra désormais à toutes les organisations de diffuser par écrit la consigne en interne : affichage dans les locaux, envoi de courriels aux salariés, etc.
L’information une fois émise et formalisée permet alors de sanctionner le salarié récalcitrant. En effet, pour certains collaborateurs, le masque peut constituer une gêne selon les professions, les métiers ou les fonctions. Du côté de l’employeur, l’inconvénient principal réside dans la prise en charge du coût du masque comme le stipule l’article L4122-2 du code du Travail.
Le masque sera donc désormais officiellement considéré comme un « équipement de protection individuelle » (EPI). Il entre alors dans la catégorie des vêtements professionnels dits protecteurs, au même titre que la veste à col fermé, à manches longues et serrées aux poignets, le pantalon long, les gants ou les lunettes.
Par cette mesure obligatoire, cet accessoire sanitaire devient ainsi une norme vestimentaire généralisée. En cela, il intègre le vestiaire professionnel et devient un élément à part entière de dress code. Il relève même plus précisément d’un dress code explicite, puisqu’édicté de façon formelle par l’employeur.
Cependant, la ministre du Travail a évoqué des cas d’exceptions à la règle. Les entreprises dont la configuration permettait de respecter les normes sanitaires de distanciation physique pourraient bénéficier d’exemptions.
Certaines professions feraient également partie de ces dérogations : celles où porter le masque s’avère « pénalisant ». C’est le cas par exemple des métiers d’image, parmi lesquels on trouve notamment les plateaux de télévision. En effet, le masque, occultant une partie du visage, questionne sur la/l’(im)possibilité de communiquer efficacement en limitant la transmission de certaines informations comme les émotions.
Communiquer sans tomber le masque
Sur ce point, les spécialistes de la psychologie cognitive estiment que notre visage est primordial dans notre processus de communication sociale, et plus particulièrement le triangle formé par les yeux et la partie inférieure.
Le masque serait ainsi un frein à la qualité de nos échanges, de nos interactions sociales en cachant près de 60 % de cette zone. C’est d’ailleurs ce que démontre une étude récente du psychologue allemand Claus-Christian Carbon. Selon le chercheur, les masques sanitaires peuvent compliquer l’interaction sociale, car ils perturbent la lecture des émotions à partir de l’expression du visage.
Les résultats de son enquête indiquent que la reconnaissance des émotions telles que la colère, le dégoût, la joie et la tristesse est fortement réduite, exception faite des visages exprimant la peur ou la neutralité.
L’étude apporte cependant quelques nuances. La bouche semble importante pour la détection du bonheur et de la peur, mais les yeux sont plus pertinents pour la colère, le dégoût et la tristesse. D’autres recherches montrent également que les vrais sourires, autrement appelés sourire de Duchenne, du nom du médecin français fondateur de la neurologie au XIXe siècle, sont aisément reconnaissables au niveau du regard.
Ces sourires, dits « sourires de récompense » selon la typologie du psychologue Paul Ekman, mobilisent en effet plusieurs muscles faciaux, comme le grand zygomatique, qui redresse les coins de la bouche, mais surtout l’orbiculaire, qui plisse les bords des yeux.
Par ailleurs, les expressions faciales ne sont pas notre seule et unique source d’informations ; nous pouvons également avoir recours à la posture et au langage corporel pour déduire les états émotionnels de nos interlocuteurs. La voix ajoute également des indications et le contexte social fournit des informations complémentaires.
Masqué, mais pas caché
Si, en nous dissimulant, le masque fait également craindre une perte de son humanité, de sa personnalité voire de son individualité, il est possible de dédramatiser la situation avec une pointe d’humour et/ou de coquetterie. Il existe en effet des masques originaux, décalés et stylés permettant d’afficher (si le poste ou la fonction le permet) son propre look ou son humeur du moment.
À cet effet, de nombreux designers et créateurs redoublent d’inventivité en proposant des masques de différentes formes et textures, de motifs et matériaux variés.
Parmi eux, on trouve des masques imprimés de votre sourire pour un côté fun, ou encore des masques transparents pour mieux communiquer par le non verbal.
On peut même se demander si le masque ne deviendra pas un accessoire pour être vu, un incontournable de la mode lorsque de grandes maisons de luxe lancent leurs propres produits. Parmi elles, on peut citer Fendi dont les masques en soie imprimés de leur célèbre monogramme se retrouvent en rupture de stock malgré leur prix élevé. De même, Burberry présente désormais sur son site des masques (non commercialisés à ce jour), fabriqués dans le célèbre tissu tartan, signature reconnaissable de la marque.
Pour conclure, considérer le port du masque au travail comme un frein à la communication, une entrave à l’individualité peut être relativisé. En laissant transparaître le regard, fenêtre visible et unique de notre visage, le masque permet tout de même d’assurer l’équilibre de nos interactions sociales. Nos yeux, en exprimant la plupart de nos émotions, permettent à nos interlocuteurs l’interprétation de notre état d’esprit et la perception de notre singularité.
Dans ce contexte, plus que jamais, le proverbe : « le regard est le miroir de l’âme. », dit vrai…
Agnès Ceccarelli, Professeur associé, département Ressources humaines, ICN Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.