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Affaire Sarkozy : Claude Guéant et le dîner de Tripoli

Il est bien loin le temps où Claude Guéant paradait tout sourire à la une des magazines. À l’époque de sa grandeur, Le Point lui avait même consacré tout un dossier et titré « L’homme le plus puissant de France ». Aujourd’hui, il témoigne dans le procès du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Claude Guéant, ancien ministre (Flickr)
Claude Guéant, ancien ministre (Flickr)

Le prévenu qui fête aujourd’hui ses 80 ans, comparait dans l’affaire du financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy et il n’est plus que l’ombre de lui-même. Plusieurs fois condamné, notamment pour l’affaire des primes en liquide du ministère de l’Intérieur, ce haut fonctionnaire a connu la prison. L’homme a perdu non seulement de sa superbe, mais aussi sa puissance, sans parler de sa crédibilité en tant que grand serviteur de l’État.

L’affaire des frégates

Dans ce dossier, sa défense parait bien faible, bien fragile compte tenu des éléments recueillis au cours des dix années de l’instruction. À plusieurs reprises, journalistes et public ont eu beaucoup de mal à en croire leurs oreilles devant les réponses apportées sur cette affaire par l’ancien secrétaire général de l’Élysée.
Claude Guéant ne refuse pas la chaise que lui propose Nathalie Gavarino, la présidente du Tribunal Correctionnel, pour répondre aux multiples questions. Bien lui en a pris, car pendant près de cinq heures, les juges ont voulu comprendre, souvent avec une insistance inhabituelle, quels étaient ses liens réels avec les fameux intermédiaires impliqués dans ce dossier. À commencer par Ziad Takieddine. On sent bien que Claude Guéant aimerait se pincer le nez en évoquant celui qui fut omniprésent dans tous les dossiers sensibles de la République, que ce soit en Arabie saoudite, en Syrie ou en Libye. L’homme aujourd’hui réfugié au Liban fut de tous les contrats juteux, en particulier Sawari 2, la vente de frégates aux Saoudiens. Qui déjà à l’époque avait mis en cause des politiques.

Dans une situation inconfortable

L’accusation, d’une manière assez brutale parfois, cherche à déstabiliser le prévenu en épluchant les rendez-vous qu’ont eu les deux hommes, la plupart du temps à l’extérieur de l’institution étatique. À l’hôtel Astorg notamment, chez les uns ou les autres. « Nous n’avions que des relations professionnelles » martèle Claude Guéant. « Il m’arrivait de le rencontrer pour un petit déjeuner avant d’aller au bureau », « C’était quelqu’un de pointilleux ». « Un activiste qui s’imposait, d’une façon insistante assez désagréable ». « À l’époque, en 2005, je n’avais aucune raison de m’en méfier.» C’est pourtant le même Takieddine qui va mettre Claude Guéant dans une situation pour le moins très inconfortable. Nous sommes le 2 octobre 2005. Celui qui est alors directeur de cabinet se rend seul à Tripoli en Libye pour y préparer la prochaine visite du ministre de l’Intérieur, un certain Nicolas Sarkozy.

Condamné à la réclusion à perpétuité

Tout se déroule à peu près normalement jusqu’au moment où l’intermédiaire qui est là « pour veiller à ce que tout se passe bien » propose à Claude Guéant de lui présenter quelqu’un d’important. Le haut fonctionnaire accepte la proposition sans poser la moindre question. Sans même prévenir l’ambassadeur de France et en se passant des services d’un traducteur, Claude Guéant monte tranquillement dans une voiture avec chauffeur.
« Vous vous êtes dit quoi dans la voiture en allant au restaurant ? » demande la présidente. « Vous n’avez pas demandé qui vous alliez voir ? »
Claude Guéant : « J’aurais pu le faire, mais je ne l’ai pas fait »
La présidente : « Entre amis, on peut se faire des surprises, mais là… »
Silence.
Claude Guéant très faible : « Que dire ? »
La surprise est de taille. L’homme qu’il retrouve au restaurant n’est autre qu’Abdallah Senoussi, le beau-frère de Mouammar Kadhafi. Mais surtout, c’est un homme que la France connait bien pour l’avoir condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité. Ce chef des services de renseignements libyens a joué un rôle déterminant dans l’attentat du DC 10 d’UTA qui, en 1989, a couté la vie à 170 personnes. Un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui. Senoussi ! l’homme qu’il ne fallait pas rencontrer à Tripoli. Claude Guéant l’a fait.

La question du financement de la campagne…

« Au restaurant, qu’est-ce qu’il se passe ? » demande la présidente.
Claude Guéant :  » Nous prenons un repas ensemble. »
La présidente : « D’accord, mais ce n’est pas vraiment ça la question…
Claude Guéant : » Nous avons évidemment bavardé, nous avons abordé les relations entre la France et la Libye et leur avenir ».
« Vous n’avez pas mis un terme à ce rendez-vous ? »
Claude Guéant : « J’étais obligé de rester, je n’allais pas provoquer un incident diplomatique.
La présidente : « Mais ce n’était pas une rencontre officielle… »
Et de poser la question essentielle.
« Est-ce que vous avez abordé avec lui la question du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy ? ».
Claude Guéant « Non, Madame ».

« Je n’avais pas été mis en garde »

Comment un haut fonctionnaire de cette pointure, qui a commencé sa carrière avec Charles Pasqua, familier des réseaux et du monde du renseignement, a-t-il pu accepter un tel rendez-vous ?
Nicolas Sarkozy, la veille, à la barre, avait affirmé que dans le cadre de la préparation de ce voyage officiel en Libye, tout le monde au sein du ministère avait été mis en garde contre une rencontre avec Senoussi.
« Je n’avais pas été mis en garde » confie Claude Guéant.
La présidente : « À votre retour, vous avez parlé de ce rendez-vous avec votre ministre ?»
Penaud, Claude Guéant reconnait qu’à son retour à Paris, il n’en a pas parlé.
« Je n’avais pas envie de dire à mon ministre que je m’étais fait berner« .»
Celui que l’on surnommait le « Cardinal » en référence à Richelieu, semble avoir fait preuve d’une naïveté confondante, à moins qu’il n’ait pas livré au tribunal tous les secrets de ce diner-mystère à Tripoli.

Frédéric Crotta

Les premiers mots de Nicolas Sarkozy à son procès

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