Frédéric Héran, Université de Lille
Ce dimanche 4 février, les Parisiens sont amenés à voter « Pour ou contre la création d’un tarif spécifique pour le stationnement des voitures individuelles lourdes, encombrantes et polluantes ». Si la proposition est adoptée, le tarif sera triplé pour ce type de voitures, qui correspond aux « véhicules thermiques ou hybrides rechargeables de 1,6 tonne ou plus » et aux « véhicules électriques de 2 tonnes ou plus ».
Mais en fait seuls les véhicules des visiteurs sont visés et non ceux des résidents de la Capitale. N’étant pas directement concernée par la mesure (faute d’avoir une voiture), il est très probable qu’une majorité de Parisiens se prononcera pour mais que la participation sera faible, comme lors de la précédente votation sur les trottinettes électriques.
Chacun tirera du scrutin les conclusions qu’il voudra, selon que l’on considère les résultats ou le taux de participation. Une certitude toutefois : les véhicules encombrants sont bel et bien là. Pour le meilleur… et surtout pour le pire ? Tour d’horizon.
Des voitures de plus en plus lourdes
Dans les années 1960, les voitures pesaient en France en moyenne 800 kg. Puis elles ont progressivement pris 450 kg de plus pour atteindre 1 250 kg ces dernières années malgré les efforts déployés pour réduire leur masse.
Cette dérive s’explique par de nombreux facteurs : montée en gamme des véhicules, normes de sécurité renforcées, design plus affirmé, habitabilité accrue, nouveaux équipements de confort, diésélisation puis électrification du parc ou encore nouvelles normes Euro de dépollution.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Or, tout alourdissement du véhicule entraîne un cercle vicieux, car il faut alors renforcer la motorisation, la chaîne de traction, les freins, les pneus et la sécurité active et passive. On a ainsi pu montrer que 100 kg d’équipements supplémentaires conduisent à alourdir le véhicule de 200 kg !
Un encombrement croissant
Les dimensions des voitures ont, elles aussi, tendance à croître : entre les années 1960 et la fin des années 2010, toujours selon L’Argus, leur longueur a augmenté de 4 %, leur hauteur de 6 % et leur largeur de 15 %, passant de 1,55 m à 1,78 m.
Résultat, les plus gros véhicules n’entrent plus dans les garages ou les boxes un peu anciens et se retrouvent contraints de stationner dans la rue en rentrant même difficilement dans les cases dessinées au sol.
Jadis, on pouvait presque toujours voir au-dessus des voitures quand on était à pied ou à vélo. C’est nettement moins le cas aujourd’hui : l’horizon se referme, barré par des toits de tôle.
Un danger pour autrui
La sécurité routière dépend essentiellement de l’énergie cinétique des véhicules, c’est-à-dire de leur masse et de leur vitesse. Lors d’un choc, un véhicule léger et lent « ne fait pas le poids » contre un engin lourd et rapide.
Une étude récente a montré que « lorsque la masse d’un véhicule augmente de 300 kg, le risque de perdre la vie chez les occupants de voiture diminue de moitié, tandis que ce même risque augmente de respectivement 77 % pour les opposants en voiture les [personnes qui sont dans la voiture percutée par la voiture lourde] et de 28 % pour les usagers vulnérables [piétons et cyclistes] ». Comprendre : les occupants d’un SUV sont mieux protégés… au détriment des autres usagers de la route, autres automobilistes, piétons et cyclistes confondus.
Des voitures électriques plus voraces en matières premières
Oui, mais la voiture électrique permet d’éviter des émissions de gaz à effet de serre, vous dira-t-on. Aujourd’hui, la plupart des gens sont sensibilisés à l’empreinte carbone de leur véhicule – soit les émissions de gaz à effet de serre produites tout au long de son cycle de vie.
De la même façon, il existe aussi une empreinte matières, soit toutes les ressources naturelles (énergies fossiles, minerais métalliques et non métalliques, biomasse) consommées tout au long de la chaîne de production d’une voiture, dans les mines, la métallurgie, la fabrication, le transport ou le recyclage.
Par rapport à la voiture thermique, la voiture électrique divise l’empreinte carbone par deux ou trois en fonction des hypothèses retenues, mais elle multiplie par deux l’empreinte matières et par six les matériaux critiques nécessaires, à cause des plus grandes difficultés pour extraire et raffiner ces matériaux.
Plus précisément, l’empreinte matières d’une voiture thermique de 1,3 t est d’environ 13 t, soit dix fois plus. Celle d’une voiture électrique de 1,5 t (poids de la Zoé) est d’environ 30 t, soit 20 fois plus, alors qu’une voiture ne transporte en moyenne que 110 kg de personnes et de charges.
Eh oui, avec les voitures électriques actuelles, pour transporter 1 kg, il faut 270 kg de matières : un fantastique gâchis ! C’est pourquoi, pour préserver les ressources de la planète, il sera indispensable de privilégier à l’avenir les véhicules électriques les plus légers possibles, notamment les LEV (light electric vehicles), appelés aussi en France les « véhicules intermédiaires », d’ailleurs promus par l’Ademe et par certaines associations.
L’occasion manquée des véhicules consommant deux litres au 100 km
Dans le cadre des Investissements d’avenir, le programme « Véhicule 2 l/100 km » lancé par le gouvernement en 2012, avait permis à Renault et à PSA de sortir des démonstrateurs prouvant que c’était parfaitement possible.
Ces véhicules étaient légers et aérodynamiques, mais aussi forcément moins équipés, peu puissants, et donc plutôt lents et avec de faibles capacités d’accélération. Des qualités bien peu séduisantes pour beaucoup d’automobilistes et à l’opposé de celles jusqu’ici mises en avant par les constructeurs : vitesse, vivacité, confort.
Mais las : ces derniers ont préféré développer une offre de SUV censée mieux répondre à la demande, aux antipodes des bonnes intentions de 2012. À tel point que la part des SUV dans les ventes de voitures neuves s’approche aujourd’hui des 50 %.
De nombreux organismes et ONG (comme l’Agence internationale de l’énergie, l’Ademe ou Greenpeace ont souligné l’absurdité de cette dérive puisque les SUV sont tout à la fois plus polluants, plus émetteurs de gaz à effet de serre, plus dangereux et plus chers que des berlines. Ainsi, le prix des voitures neuves s’envole et, avec un décalage de quelques années, celui des voitures d’occasion, rendant la voiture de moins en moins accessible aux revenus les plus modestes.
Les constructeurs automobiles façonnent encore les imaginaires
Leurs marges étant bien plus confortables, les constructeurs automobiles ont intérêt à pousser les consommateurs à acheter des véhicules toujours plus gros et plus équipés. Il n’est en effet pas plus coûteux de construire un SUV plutôt qu’une berline, mais les consommateurs l’ignorent et sont prêts à payer plus cher un véhicule plus imposant, perçu comme plus sécurisant et plus confortable.
Loin de se contenter de répondre à une demande, comme ils le prétendent, les constructeurs y veillent et façonnent les imaginaires à coup d’investissements publicitaires massifs utilisant des stéréotypes éculés, comme l’ont fort bien montré le WWF puis la fondation Jean Jaurès. La grosse voiture, ce serait la liberté, la distinction, l’aventure, la sécurité, la famille et même le respect de l’environnement ! Cette publicité envahissante représente environ 10 % du coût total d’un SUV.
De plus en plus conscients du problème, les pouvoirs publics ont ajouté au malus CO2 un malus au poids appliqué aux véhicules neufs essence ou diesel de plus de 1,8 t au 1er janvier 2022, ce seuil ayant été abaissé à 1,6 t au 1er janvier 2024. L’initiative est louable, mais le seuil reste très élevé et ne s’applique pas aux véhicules électriques. France Stratégie – l’organisme d’expertise du gouvernement – a donc proposé d’étendre le malus au poids à ces véhicules.
À vrai dire, si l’on prenait toute la mesure du problème, il faudrait élargir le bonus-malus à l’ensemble de la mobilité individuelle, y compris aux véhicules intermédiaires et même au vélo et à la marche (pour ces deux modes, les recettes du malus pourraient servir à améliorer les aménagements nécessaires à leur développement) en retenant un malus poids commençant à une tonne. Ce que nous proposions déjà il y a quatre ans !
Frédéric Héran, Économiste et urbaniste, Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.