C’est un avocat parisien, Me A.-P. Turton qui, dans un ouvrage très documenté* nous donne le nom du jeune homme qui fit citer la Pucelle devant l’official de Toul en 1428. Entretien.
A deux pas de la cathédrale de Toul, une plaque en marbre rappelle l’événement: « En l’an de grâce 1428 Jeanne d’Arc diocésaine de Toul comparut ici devant l’officialité de l’Évêque Henri de Ville, présidée par Frédéric de Maldemaire, doyen de Saint-Gengoult, dans un procès matrimonial que lui fit un jeune homme de Domrémy. Ses juges l’ayant déclarée libre de tout lien, Jeanne d’Arc put entreprendre sa merveilleuse chevauchée et sauver la France ».
Qui est ce ‘’fiancé’’ de Jeanne? Quel âge avait-elle lorsqu’elle comparut devant ce tribunal ecclésiastique? C’est à ces questions et à quelques autres que répond l’avocat parisien A.-P. Turton dans un ouvrage récent intitulé «l’étrange procès devant l’official de Toul ». L’auteur ne s’appuie pas sur les archives de l’officialité pour construire sa démonstration, puisqu’elles ont disparu (peut-être pas pour tout le monde, d’ailleurs), mais sur ce que Jeanne elle-même en dit au procès de Rouen (1431) et ce qu’en révèlent les témoins du procès en nullité de condamnation (1456). Des informations remises dans le bon ordre et replacées dans le contexte juridique de la justice médiévale.
Conclusion? L’avocat identifie, de façon certaine pour lui, le fiancé de Jeanne comme étant le fils d’un nommé Jean Biget, habitant de Domrémy. Mais surtout il remet en cause l’âge officiel de la Pucelle dont les manuels d’histoire nous disent qu’elle est née le 6 janvier 1412.« De quoi compléter, et même bousculer, les idées que l’on se fait de l’affaire » comme l’affirme l’auteur du livre. « Je propose au lecteur d’ouvrir une série de portes hermétiquement verrouillées. »
* Jeanne d’Arc en procès. L’étrange procès devant l’official de Toul» de A.-P. Turton, avocat au barreau de Paris, 252 pages. Le prix du livre, qui est tiré sur papier couché et qui comporte deux titres, dont une bibliographie, est de 45 €. Disponible chez l’auteur en son cabinet secondaire (63 avenue de la Résistance, 77500 CHELLES). Ni stockage, ni retrait sur place. Adresse mail : poitiers1429@proton.me
L’étrange procès de Jeanne devant l’officialité de Toul
-Pourquoi ce livre ?
Le vide autour du procès de Toul ne pouvait demeurer indéfiniment. Une étude universitaire ouvrait une brèche : le Pr Beaulande-Barraud a en effet mis en évidence le caractère manifestement clandestin des fiançailles de Jehanne – c’est-à-dire qu’elles ne respectaient pas les formes de publicité prescrites par l’Eglise. Cette information de nature juridique se devait de trouver écho chez un avocat. J’ai vite perçu que l’information serait capitale et c’est la clé avec laquelle je propose au lecteur d’ouvrir une série de portes jusque là hermétiquement verrouillées. Par ailleurs, j’avais déjà amassé des matériaux en vue d’une bibliographie johannique : il devenait évident qu’il fallait la centrer sur les procès. C’est ainsi qu’est né «Jehanne d’Arc en procès».
-Pourquoi-vous intéressez-vous à notre héroïne nationale ?
Le personnage de Jehanne constitue une énigme historique : difficile de ne pas s’y intéresser lorsqu’on aime l’histoire. Jehanne, c’est aussi une somme de procès hors norme : difficile de ne pas s’y intéresser lorsqu’on est juriste. Enfin, le personnage de Jehanne, c’est l’expression soudaine d’une énergie politique irrésistible, d’une pureté et d’une fraicheur inégalée puisqu’elle confine à la sainteté. Qui peut dire qu’une énergie semblable ne se manifestera pas à nouveau un jour ? Cela en fait quelque part un personnage intemporel.-
-Vous êtes avocat, vous avez donc un œil averti sur la lecture des procès de Jeanne.Vous en comptez sept dont trois de son vivant. Pouvez-vous nous rappeler lesquels ?
«Jehanne d’Arc en procès» explique pourquoi celui de Toul avait pour fin d’entraver la mission de Jehanne. Celui de Poitiers est purement politique : il a pour but d’imposer le personnage de Jehanne aux récalcitrants. Le double procès de Rouen s’imposait au camp anglais : il fallait obligatoirement passer par un procès pour ôter à Jehanne la légitimité reçue à Poitiers. Le procès de réhabilitation restaure la légitimité de Jehanne en échange de l’absolution du clergé. Les procès en béatification et en canonisation confirment combien la volonté, l’énergie et la constance pleine de certitude que l’on trouve chez Jehanne ont pu impressionner.
-Votre ouvrage est consacré au procès matrimonial de Jeanne que vous intitulez « l’étrange procès devant l’official de Toul ». En quoi est-il étrange ?
Il l’est à tous points de vue, d’abord par ses contours évanescents. Il s’inscrit dans un système régi par des principes complètement oubliés que personne n’explique. Il est étrange parce que personne ne semble y être à sa place, les rôles étant mal définis. Il est étrange parce que les Voix s’en mêlent et que le surnaturel semble ainsi s’y inviter. Le procès est étrange par son déroulement et son issue. En un mot, sa singularité le rend sans pareil dans les annales judiciaires. Le plus étrange sera le mot de la fin, dont le propre est d’être insoupçonnable au moment d’aborder le dossier. Je n’en dis pas plus: Jehanne nous réserve une véritable «surprise du chef».
-Selon vous, ces premiers procès, notamment celui de Rouen qui a duré cinq mois et celui en nullité de condamnation de 1456, reflètent-ils la réalité des débats ou ont-ils été en partie truqués ?
Il faut sans doute faire la part des choses entre les motivations plus ou moins saines d’un procès et le trucage d’une procédure. Les deux procès que vous citez sont des procès politiques : ils sont par nature orientés et, quelle que soit la teneur des débats, ils ne peuvent aller que dans un sens prédéfini. Pour ce qui est des trucages, «Jehanne d’Arc en procès» démontre de quelle manière les enquêteurs de 1456 ont manipulé certains témoignages pour que l’on ne puisse pas comprendre ce que fait Jehanne dans le prolongement direct du procès de Toul, ceci tout en nous laissant suffisamment le moyen de rétablir le sens véritable de l’histoire. Car, chose inédite, le procès de Toul s’articule avec l’ultime phase de préparation de Jehanne. Où, quand, comment les choses furent-elles gérées, et par qui ? -Le livre y répond de manière circonstanciée.
-Au terme d’une brillante démonstration, vous donnez deux informations essentielles : vous révélez le nom du fiancé de Jeanne. Et vous donnez son âge véritable qui n’est pas celui de nos manuels d’histoire qui la font naître le 6 janvier 1412. Pouvez-vous nous expliquer ?
Un autre que moi avait déjà deviné l’identité du fiancé et le livre lui attribue ce mérite, ainsi qu’il se doit. Le mérite du livre est de parvenir à confirmer ce qui était supposition. L’autre mérite du livre est effectivement d’arrêter l’âge officiel de Jehanne au moment du procès, mais aussi son âge officiel au moment de ses fiançailles. Pour des raisons juridiques, les deux se trouvent chevillés, si bien que l’on peut vérifier l’un par l’autre dans les deux sens, étant précisé que le livre détermine la date exacte des fiançailles et situe avec précision l’époque de la sentence.
-Avez-vous l’intention d’analyser les autres procès de Jeanne avec votre regard de juriste ?
«Jehanne d’Arc en procès» est un titre générique: il regroupe déjà deux travaux: «L’étrange procès devant l’Official de Toul» et la «Bibliographie des procès Johanniques». S’agissant d’un titre générique, il appellerait logiquement un second volume: c’est dire qu’il devrait y avoir une suite.
Propos recueillis par Marcel GAY