Asit Kumar Mishra, University College Cork et Gabriel Bekö, Technical University of Denmark
Bien que nous passions la majorité de notre temps à l’intérieur, cela ne nous protège pas pour autant de la pollution de l’air. Dans l’air intérieur se retrouvent en effet de nombreux polluants, tels par exemple que les produits chimiques qui entrent dans la composition des matériaux de construction, produits de nettoyage, et autres meubles ou ustensiles.
Ces substances peuvent exister sous forme gazeuse (on les appelle composés organiques volatiles), ce qui signifie que nous pouvons les inhaler. Mais il existe également des composés organiques semi-volatils : comme leur nom le suggère, ces composés existent non seulement sous forme gazeuse, mais ils peuvent aussi se déposer et persister sur les surfaces (s’y adsorber). Cela inclut non seulement les surfaces présentes à l’intérieur de l’habitation, mais aussi la poussière qui s’y trouve.
Or, si ces produits chimiques sont capables de pénétrer dans notre corps par inhalation, par ingestion ou par contact avec une surface sur laquelle ils sont adsorbés, ils peuvent également nous contaminer en passant à travers notre peau directement depuis l’air ambiant.
Une fois dans notre corps, ces substances peuvent nuire à notre santé, affectant potentiellement le système respiratoire, le système nerveux, la santé cognitive et le système hormonal.
Exposition cutanée
Parmi les nombreux groupes de composés organiques semi-volatils qui existent, le groupe des phtalates est celui auquel vous avez le plus de risque d’avoir été confronté. Ces substances sont en effet omniprésentes dans notre environnement, et nous y sommes presque continuellement exposés.
Les phtalates sont ajoutés à de nombreux produits afin de les rendre plus doux et plus flexibles (ce sont des plastifiants). On les trouve non seulement dans certains types de plastiques (comme les emballages alimentaires ou les tuyaux de jardin), mais aussi dans différents matériaux de construction (comme les revêtements de sol en vinyle), ainsi que dans les produits d’hygiène et de soin (dont des shampooings et des laques pour les cheveux).
Des travaux scientifiques ont établi qu’il existe des associations entre l’exposition à ces produits chimiques et divers problèmes de santé, notamment une moins bonne qualité du sperme, une moindre santé cardiovasculaire et des altérations de la croissance et du développement chez les enfants.
Une fois que les phtalates pénètrent dans le corps, ils se décomposent en quelques heures à quelques jours. Les produits de décomposition (métabolites) ainsi produits sont ensuite excrétés par l’urine. Mais malgré cette excrétion rapide, on trouve presque systématiquement des traces de phtalates dans nos organismes. En effet, nous sommes continuellement exposés à cette famille de produits chimiques au cours de notre vie quotidienne, et ce, de différentes façons.
Une idée reçue encore trop répandue est que l’on ne court un risque d’exposition aux produits chimiques qu’à condition de les ingérer ou de les inhaler. Mais divers travaux de recherche ont établi que l’absorption cutanée a un impact majeur sur les niveaux de phtalates qui se retrouvent dans notre corps.
Ainsi, au cours d’une étude menée en 2015, six participants ont été exposés, dans une chambre spéciale, à de l’air contenant deux sortes de phtalates, à des niveaux élevés. Concrètement, une peinture latex contenant de fortes concentrations de ces composés a été appliquée sur des plaques d’aluminium suspendues dans la pièce où se trouvaient les participants.
Afin que les scientifiques puissent discriminer la quantité de phtalates absorbée par inhalation par rapport à celle passant à travers la peau, les personnes impliquées dans cette étude ont été exposées deux fois – une fois en portant une cagoule ajustée filtrant l’air (elles étaient ainsi exposées uniquement via leur peau) et une autre fois sans la cagoule (elles se retrouvaient donc ainsi exposées à la fois par la peau et par inhalation). Afin d’augmenter la surface cutanée exposée, les participants étaient simplement vêtus de shorts.
Leur régime alimentaire a été contrôlé, et leur utilisation de produits d’hygiène et de soins, restreinte, car comme mentionné plus haut, ceux-ci peuvent constituer une source majeure de contamination aux phtalates. Après cette exposition, il leur a été demandé de collecter leur urine pendant plusieurs jours.
C’est en mesurant la concentration de métabolites de phtalates présents dans ces échantillons d’urine que les scientifiques ont pu estimer la quantité de phtalates absorbée suite à l’exposition à la peinture.
Résultat : même lorsque seule leur peau était exposée, les participants ont absorbé des doses substantielles de phtalates. Logiquement, leur exposition s’est avérée plus élevée lorsque les deux voies d’exposition, peau et voies respiratoires, étaient impliquées.
Les vêtements peuvent être protecteurs ou contaminants
Dans la même étude, un individu a participé à une autre sorte d’expérimentation, pour mieux comprendre comment la peau absorbe ces produits chimiques, ainsi que pour déterminer si les vêtements ont un effet protecteur.
Ce participant a été lui aussi exposé aux phtalates deux fois, mais en portant systématiquement une cagoule filtrante, pour s’assurer que sa peau était la seule voie d’absorption possible. Durant la première expérimentation, cette personne portait des vêtements propres. Au cours de la seconde expérimentation, les vêtements portés avaient été exposés à l’air de la chambre pendant plusieurs jours avant que le participant ne les enfile. Les résultats ont ensuite été comparés à ceux des participants à la peau nue.
Les chercheurs ont ainsi découvert que l’exposition aux phtalates du participant était réduite lorsqu’il portait des vêtements propres, mais qu’elle était trois à six fois plus élevée lorsqu’il portait les vêtements contaminés (par rapport aux personnes ayant participé à l’essai « peau nue »). Ce résultat révèle que les vêtements peuvent également constituer un « réservoir » de polluants.
En 2016, des résultats similaires ont été publiés. Ils avaient été obtenus au cours d’une étude de suivi mettant en œuvre des expériences quasiment identiques, à ceci près que le produit chimique de test était la nicotine contenue dans la fumée de cigarette. Plus récemment (résultats publiés en 2023), des travaux de recherche menés au domicile de plusieurs personnes (et non en laboratoire) ont, elles aussi, donné des résultats similaires.
Des études de modélisation ont également indiqué que les substances perfluoroalkyles et polyfluoroalkyles (PFAS), un autre type de composé organique semi-volatil couramment utilisé, peuvent également être absorbées par la peau.
Tous ces résultats mettent en évidence le rôle potentiellement significatif de l’absorption cutanée dans l’exposition à la pollution de l’air – et le rôle protecteur des vêtements.
Quels risques pour la santé ?
Les dommages que peut causer un produit chimique donné diffèrent en fonction de la manière dont il pénètre dans le corps. Les produits chimiques ingérés passent par les intestins et le foie avant de passer dans le sang. Les produits chimiques inhalés passent d’abord par les poumons, où ils peuvent entrer directement dans le sang. Enfin, les produits chimiques qui pénètrent via la peau peuvent eux aussi passer directement dans le flux sanguin. Il n’est même pas nécessaire que la peau soit blessée, car certains produits chimiques peuvent être absorbés directement à travers une peau saine.
Par ailleurs, pour des niveaux d’exposition similaires, la concentration de polluants au sein de notre organisme diffère en fonction de la voie d’exposition. Ainsi, une étude a modélisé la concentration dans le foie et le rein d’un produit chimique appelé bisphénol A, selon que l’absorption avait eu lieu par ingestion ou via la peau. Les résultats ont révélé que, selon la voie d’exposition, les concentrations différaient notablement dans ces deux organes.
En conclusion, plus nous sommes exposés à des composés chimiques, plus la probabilité qu’ils s’adsorbent sur notre peau et que celle-ci devienne une voie d’exposition importante augmente. Heureusement, il est possible de réduire cette vulnérabilité de diverses façons :
- Utiliser des matériaux de construction (peintures, adhésifs…) à faible émission lorsque c’est possible.
- Nettoyer les surfaces intérieures pour éliminer tout produit chimique qui pourrait s’y être déposé (en particulier les surfaces poussiéreuses).
- Laver les vêtements et la literie régulièrement, ainsi que les nouveaux vêtements avant de les porter. Cela aidera à prévenir l’absorption chimique par la peau.
- Aérer régulièrement son domicile (à moins que ledit domicile dispose d’une ventilation mécanique contrôlée – VMC efficace). Cela aidera à réduire la concentration de polluants dans l’air.
- Prendre un bain et se laver les mains après une exposition peut également aider à réduire l’absorption cutanée.
En améliorant ainsi la qualité de l’air intérieur, il est possible de réduire le risque d’être exposé à de multiples polluants nocifs pour la santé.
Asit Kumar Mishra, Research Fellow in School of Public of Health, University College Cork et Gabriel Bekö, Associate Professor, Department of Environmental and Resource Engineering Indoor Environment, Technical University of Denmark
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.