La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy dira le 7 décembre 2017 si Jacques Maire, définitivement acquitté pour l’assassinat de Nelly Haderer il y a 30 ans, doit être entendu en tant que témoin assisté. Retour sur une affaire qui soulève un épineux point de droit.
Les erreurs judiciaires sont relativement rares en France. Elles n’en sont pas moins dramatiques. Des exemples récents nous montrent que, parfois, enquêteurs et juges se sont lourdement trompés. L’affaire d’Outreau, Loïck Sécher, Marc Machin, Patrick Dils pour ne citer que les plus récentes, en témoignent.
En revanche, un accusé définitivement acquitté ne peut plus être poursuivi même si sa culpabilité peut, éventuellement, être prouvée grâce à l’évolution de la science. Au nom du principe de l’autorité de la chose jugée qui évite les procédures sans fin.
Pour éviter de tels drames, la justice ne se contente plus désormais de simples aveux pour condamner ou absoudre un délinquant. Elle a besoin de preuves matérielles. Scientifiques. La recherche de la preuve est devenue un élément incontournable de l’enquête criminelle.
Pour rechercher les auteurs (et parfois les victimes) de crimes et de délits, la justice s’appuie sur des services d’enquête spécialisés composés de policiers et de gendarmes ayant une formation scientifique et disposant de moyens techniques à la pointe du progrès. Ce sont « les experts » rendus célèbres par des émissions de télévision plutôt bien faites, de l’aveu même des scientifiques.
En France, il existe deux structures chargées de missions de police techniques et scientifique (PTS). Il s’agit de l’Institut national de police scientifique (INPS) rattaché à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Et de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).
L’INPS dispose de six laboratoires. Celui de Lyon est le premier laboratoire de police scientifique au monde créé en 1910 par Edmond Locard. Il en existe aussi un à Lille, un à Marseille, un à Paris, un à Toulouse. Ainsi qu’un laboratoire de toxicologie à Paris.
L’IRCGN, issu de la Section technique d’investigations criminelle créée en 1987 après l’affaire Grégory, est basé à Rosny-sous-Bois, dans la banlieue parisienne. Près de 250 personnes y travaillent dont une trentaine de civils.
Les enquêteurs ont besoin d’éléments matériels pour traquer la vérité. Mais la vérité judiciaire est parfois difficile à saisir. Elle peut être complexe, multiforme, elle peut être très longue à se manifester. La difficulté de cerner la vérité peut donner lieu à des décisions contradictoires. Faute de preuves absolues, de témoignages directs et incontestables, il arrive que la justice se trompe lourdement. On l’a vu avec l’affaire du double meurtre de Montigny-lès-Metz, en 1986 pour laquelle Patrick Dils a été condamné à deux reprises avant d’être finalement acquitté après avoir purgé quinze années de prison.
La chose jugée
L’erreur judiciaire soulève un point de droit épineux. Il s’agit de savoir si une preuve découverte après un acquittement définitif peut remettre en cause l’autorité de la chose jugée ?
Jusqu’ici, la reconnaissance de l’erreur judiciaire est à sens unique : un condamné à tort, comme Patrick Dils, a pu bénéficier de la révision de son procès et être innocenté. Mais un individu définitivement acquitté ne peut plus être poursuivi, même si la preuve de sa culpabilité est ensuite rapportée.
Ainsi prévaut le vieux principe non bis idem de la procédure pénale emprunté au droit romain selon lequel nul ne peut être poursuivi deux fois pour les mêmes faits. Cette règle, affirmée à l’article 368 du code de procédure pénale est également prévue par le code pénal, à l’article 113-9 qui dispose « (…) qu’aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite ».
L’autorité de la chose jugée éteint l’action publique. En droit international, ce principe est consacré par l’article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH).
Ce qui ne va pas sans poser, parfois, de gros problèmes. Le 30 janvier 2014, l’Est Républicain révèle qu’un profil ADN correspondant à celui de Jacques Maire, 64 ans, vient d’être identifié sur le pantalon de Nelly Haderer, une jeune mère de famille de 22 ans assassinée… 27 ans plus tôt, en 1987, et dont le corps mutilé a été retrouvé dans une décharge de Rosières-aux-Salines, près de Nancy. Jacques Maire, un maçon de Dombasle en Meurthe-et-Moselle, a été condamné puis acquitté au terme de son troisième procès.
L’affaire commence en fait au début des années 80 avec la disparition inexpliquée, à Dombasle, de deux jeunes femmes : Sandrine Ferry, âgée de 16 ans et Odile Busset, 20 ans. Leur corps ne sera jamais retrouvé.
La première a disparue en 1985 en sortant d’une boite de nuit. La police privilégie la thèse de la fugue et ne fait aucune enquête. En 1987, le nom de la jeune fille est effacé du fichier des personnes recherchées dans l’intérêt des familles puisqu’elle est devenue majeure.
La seconde a mystérieusement disparu deux ans plus tôt, en 1983. Mais la police ne semble pas s’intéresser à cette disparition. Il faudra attendre une plainte avec constitution de partie civile en 1995 pour que la justice s’empare de l’affaire.
Au cours de l’enquête, la police apprend qu’un témoin a vu Jacques Maire au volant d’une voiture devant la maison des parents de la victime. Ce témoin affirme avoir vu Odile monter dans le véhicule. Le lendemain de la disparition de leur fille, les parents de la jeune femme expliquent aux enquêteurs que Jacques Maire est venu les voir en leur laissant entendre qu’il était étranger à cette disparition.
Réputé violent et bagarreur, videur occasionnel de boites de nuit, Jacques Maire est interpellé chez lui en 1997. Il est mis en examen et écroué pour enlèvement et séquestration d’Odile Busset. Mais aussi pour l’assassinat de Nelly Haderer car les deux affaires présentent de sérieuses similitudes.
Erreur fatale
Le vendredi 30 janvier 1987, Nelly Haderer se dispute avec son compagnon. Elle quitte le domicile et deux enfants en bas âge pour se rendre à Dombasle, chez son frère. Mais il n’est pas là. Elle attend quelques heures dans un café tout proche et revient sonner à la porte, une deuxième puis une troisième fois, vers minuit. En désespoir de cause, elle glisse un mot sous la porte, le priant de la rappeler le plus rapidement possible.
Plus personne ne verra la jeune femme.
Quelques temps plus tard, un témoin expliquera aux enquêteurs avoir vu une voiture blanche devant l’immeuble, ce jour-là, vers minuit. L’enquête permettra d’identifier la voiture de Jacques Maire.
Jacques Maire comparaît en 2004 devant la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle à Nancy. Il écope de 15 années de réclusion pour l’enlèvement et la séquestration d’Odile Busset le 15 mars 1983 à Saint-Nicolas-de-Port. Mais il est acquitté du meurtre de Nelly Haderer.
Le maçon de Dombasle fait appel.
Devant la cour d’assises des Vosges, à Epinal, le procès se déroule dans des conditions de tension extrême. Il faut dire que les avocats de Jacques Maire sont de brillants pénalistes, rompus aux arcanes de la procédure pénale : Mes Liliane Glock, Alexandre Bouthier, Luc Girard et Dominique Boh-Petit, mènent la vie dure à la présidente. Mais ils ne parviendront pas à sortir leur client des griffes de la justice puisque Jacques Maire écope de vingt ans de réclusion. Il est reconnu coupable des deux crimes.
Au terme de ce procès houleux, le soir du dernier jour d’audience, la greffière, épuisée, est hospitalisée. Elle oublie de signer les 32 pages du procès-verbal d’audience.
Erreur fatale. La Cour de cassation ne peut pas laisser passer. En 2007, la haute juridiction casse et annule la condamnation d’Epinal pour vice de procédure et renvoi l’affaire devant la cour d’assises de la Moselle.
Jacques Mairie est donc jugé une troisième fois. Le 17 octobre 2008, au terme de six heures de délibération, l’accusé est purement et simplement acquitté.
C’est un homme groggy, en pleurs, secoué de spasmes qui reçoit le verdict auquel personne ne s’attendait. Jacques Maire vient d’être définitivement lavé des accusations qui pesaient sur lui dans les deux affaires. Il sera même indemnisé pour « détention injustifiée » et percevra à ce titre 200.000 €.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Grâce aux progrès de la science, un rebondissement de taille va tout remettre en cause cinq ans et demi plus tard.
La science et le droit
La famille Haderer réclame de nouvelles analyses ADN sur les scellés. La justice rouvre le dossier le 27 juillet 2009. Les pièces à conviction sont confiées au laboratoire d’hématologie médico-légale du Pr Christian Doutremepuich à Bordeaux. Ce laboratoire, spécialisé uniquement dans les analyses génétiques destinées à l’identification humaine, est l’un des plus en pointe du monde. Ses techniciens parviennent à isoler un profil masculin. Cette empreinte génétique provient d’une tache de sang qui se trouvait sur le jean porté par la victime au moment du meurtre.
Les avocats de la famille Haderer, Me Pierre-André Babel et Me Amandine Lagrange, demandent une comparaison avec ceux contenus dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Mais aussi avec les 16 protagonistes du dossier dont, bien entendu, celui de Jacques Maire.
Le résultat est connu fin janvier 2014. L’échantillon d’ADN correspond à celui de Jacques Maire. Le doute n’est pas permis. Reste à savoir comment l’empreinte génétique de Jacques Maire a pu se retrouver sur le pantalon de la victime qu’il prétend ne pas connaître et pourquoi ces recherches n’ont pas été effectuées plus tôt ?
« Je maintiens que je suis innocent, hurle Jacques Maire. Je n’ai rien à me reprocher. Je ne la connais même pas cette fille, Nelly Haderer. » L’ancien maçon de Dombasle affirme qu’il avait lui-même demandé ces analyses ADN pour preuve de son innocence.
L’un de ses avocats, Me Liliane Glock s’étonne dans le journal de Nancy : « Ce pantalon a été saisi il y a 27 ans et on ne se serait pas aperçu pendant tout ce temps qu’il y avait une tache de sang à l’intérieur ? Nous les avions demandées, nous aussi, ces expertises, six mois après l’acquittement. Car les gens ont toujours un doute. Et l’on n’est jamais aussi innocent que quand on a trouvé le vrai coupable. »
L’avocate ajoute : « Je n’y crois pas. Il y a un problème quelque part, une confusion, un mélange, un problème de manipulation des scellés. » Me Alexandre Bouthier, autre avocat de Jacques Maire, se demande s’il ne pourrait pas s’agir « d’une pollution des scellés » ?
En effet, la question peut se poser. Si l’ADN est souvent présenté comme « la reine des preuves », celle qui peut accuser ou bien innocenter un suspect puisque, par définition, la science n’a ni amis ni ennemis, cette preuve n’est quand même pas infaillible. Une empreinte génétique peut circuler, être déplacée, volontairement ou non. Par exemple, un mégot de cigarette, un verre dans lequel une personne a bu, un vêtement que l’on a porté peuvent se trouver sur une scène de crime sans que celui ou celle à qui appartient l’empreinte n’y soit jamais allé. Dans certaines situations, l’ADN doit être considéré comme un indice, une présomption forte, pas comme une preuve absolue.
Les commentaires sont évidemment tout autres du côté des parties civiles. « C’est énorme. Si l’information devait être confirmée ce serait un événement unique dans l’histoire judiciaire française » déclare à l’Est Républicain Me Pierre-André Babel, avocat de la famille Haderer. « C’est l’élément matériel qui a manqué lors des procès » constate Me Olivier Nunge, conseil de la famille d’Odile Busset.
La déception est d’autant plus grande pour les familles des victimes qu’elles savent bien que, désormais, Jacques Maire ne peut plus être poursuivi. La loi est ainsi faite que le recours en révision d’un procès n’est pas possible pour les victimes et leurs familles.
Faut-il changer la loi ? C’est ce que proposent un certain nombre de juristes parmi lesquels le député Georges Fenech (UMP) ancien juge d’instruction et co-rapporteur avec Alain Tourret (RRDP) de la mission d’information sur la révision des condamnations pénales définitives.
« Depuis 1945 il n’y a eu qu’une dizaine de révisions de condamnations en matière criminelle, déclare le parlementaire dans le Journal du Dimanche. Avec Alain Tourret nous avons voulu ouvrir la possibilité d’accélérer à cette procédure. La question s’est posée : faut-il rendre aussi possible la révision d’un acquittement ? » Il ajoute : « Il me semble difficile de dire aux familles de victimes ’’circulez, il n’y a rien à voir ’’ »! Aujourd’hui, l’ADN mais aussi l’analyse des odeurs, des voix, des écritures, fournissent de nouveaux moyens de toucher la vérité. Il faut les utiliser. La science a toujours fait évoluer le droit. »
Le député a présenté un projet de loi réformant cette procédure à l’Assemblée nationale le 27 février 2014. Il propose qu’un procureur puisse saisir un juge d’instruction pouvant rouvrir une nouvelle enquête pénale sur la base de charges nouvelles. Car, explique Georges Fenech : « Un innocent en prison, c’est une idée insupportable et un trouble à l’ordre public. Mais qu’un coupable d’un viol ou d’un assassinat dont on a la preuve de la culpabilité soit en liberté, c’en est un aussi. Il faut trouver un équilibre entre la vérité et l’autorité de la chose jugée. »
L’érosion de la preuve
La France va-t-elle changer son système judiciaire ? Pas si sûr. Des voix fortes s’y opposent. Ainsi, le célèbre pénaliste Eric Dupond-Moretti juge « effrayante » l’idée de permettre aux parties civiles de demander la révision d’un acquittement. « On viendra renforcer l’idée, aux yeux de l’opinion, qu’un acquitté peut ne pas être innocent ! La prescription correspond, dans notre tradition judiciaire, à une période au-delà de laquelle on pense qu’il n’est plus sain de remettre la justice en route. Elle a une fonction de pacification sociale. »
Selon Me Dupond-Moretti, on ne peut pas comparer un innocent en prison et un acquitté en liberté. Il rappelle la formule de Voltaire : « Mieux vaut un coupable en liberté qu’un seul innocent en prison ».
Le ténor Lillois, surnommé Acquittator pour avoir obtenu plus de cent acquittements devant les cours d’assises, déplore à propos de l’affaire Jacques Maire que soit fait « un procès médiatique, sans avocats, sans contradictoire, sans rien. » Il se demande quel est le sens de rendre la justice 20 ou 25 après les faits, alors qu’il y a un risque d’érosion de la preuve ? « Il faut s’interdire de légiférer sur des cas particuliers, dit-il. La politique pénale doit être au regard de l’intérêt général et non d’une situation particulière. Là, je trouve qu’on va trop vite. On a consacré ces dernières années la dictature de l’émotion, préjudiciable à la sérénité judiciaire. »
Co-rapporteur de la loi de révision des erreurs judiciaires avec son homologue Alain Tourret (PS), Georges Fenech député (UMP) du Rhône a déposé en fin de session parlement un amendement visant à revenir sur un acquittement quand un fait nouveau intervient après le procès. Mais l’amendement dit « Haderer » a été rejeté le 27 février 2014. La garde des Sceaux a expliqué que « sur un sujet aussi lourd, avec une (telle) dimension éthique et juridique, il n’était pas possible d’intervenir par le biais d’un amendement. » Car, dit-elle, revenir sur les acquittements, c’est revenir sur un principe de droit et cela mérite plus qu’une discussion entre une dizaine de députés en fin de session parlementaire.
« Je ne touche pas le droit à la légère ».
Marcel GAY