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Thionville : Un audit pour remettre de l’ordre dans les transports en commun

Des bus en perdition, un transport en commun de haut niveau qui ressemble à un serpent de mer… mais un capitaine téméraire à la barre. Explications et interview choc de Rémy Dick, maire de Florange et président de Territoires et Mobilités Moselle Nord (TeMo).

Bernard Aubin,
Bernard Aubin,

Par Bernard Aubin

Il y a quelques années encore, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. 34 communes de la périphérie de Thionville étaient desservies par la « Trans Fensch ». Un réseau de bus fondé du temps de la sidérurgie lorraine, dont la vocation s’est par la suite concentrée sur un public varié : salariés, scolaires, retraités… Les bus étaient rarement en retard, le territoire était correctement desservi, les correspondances étaient assurées… Un véritable rêve qui a pris la tournure d’un cauchemar en 2020.

Faire des économies

Le SMiTU, établissement public chargé d’organiser les différents modes de déplacement sur Thionville et les 34 communes avoisinantes, avait décidé de refondre la totalité des dessertes. Avec à la clé des suppressions ou des réductions de lignes, des ruptures de correspondance… et de nouveaux horaires que les chauffeurs eux-mêmes ignoraient !!! La grogne des usagers allait donner lieu à un rétropédalage, puis à des ajustements portés au nouveau service finalement remis en place.
Pourquoi ce chaos ? Officiellement, il s’agissait d’anticiper la mise en place d’un réseau de Bus à Haut Niveau de Service, « Citezen», projet lancé par le même Syndicat Mixte des Transports Urbains (SMiTU) Thionville-Fensch. Mais en réalité, il s’agissait de faire des économies afin de concourir au financement du BHNS. Et aussi de réduire le déficit inquiétant de cette société publique locale, confrontée à un déficit de financement des collectivités locales.

Rémy Dick a commandité un audit sur les deux ponts de Thionville (DR)
Rémy Dick a commandité un audit sur les deux ponts de Thionville (DR)

Rien ne va plus

Le BHNS, cela fait plus d’une dizaine d’années que les élus ont décidé de se l’offrir. Deux lignes principales qui, telles deux grandes rivières, devaient drainer une partie du trafic « Citéline » autour d’elles. Des bus électrique, cadencés, situés en partie sur un réseau dédié, pour une couverture en croix autour de Thionville. Longueur totale des deux lignes : 32 km. Pour un montant de 50, 80, 180, 220 puis 300 millions d’euros, au gré du temps et des ambitions.
Alors que les bus du quotidien « Citéline » peinent à assurer des dessertes pratiques et fiables, « Citézen » semble prendre l’eau à son tour. Sa mise en service, envisagée initialement pour 2026, est reportée aux calendes grecques. En résumé, rien de va plus. La Trans-Fensch a disparu au profit de Keolis en 2024, le SMiTU s’est muté en TEMO au 1er janvier 2025. Mais surtout, un nouveau capitaine à pris la barre du navire en perdition fin 2023.

Un nouveau capitaine à la barre

Il s’appelle Rémy Dick. A 22 ans, il prenait la tête de la mairie de Florange, devenant ainsi le plus jeune maire de France en 2020. Tout cela après un passage par Science-Po précédé d’un second cycle… en ZEP. Il fut même un temps vice-président du département de la Moselle. Son aversion pour un parti d’extrême gauche le conduisit à s’exprimer ouvertement en faveur de l’autre bord lors des législatives de 2024. Cette expression libre lui valut le retrait de son mandat.
Mais depuis 2023, il a eu de quoi faire et plus encore aujourd’hui en prenant la barre de « Territoires et Mobilités Moselle Nord », nouvelle autorité organisatrice des transports urbains. Un organisme qui conduit la politique des transports collectifs urbains et scolaires dans un périmètre du nord mosellan où vivent 250 000 habitants. Nous l’avons rencontré pour faire le point sur les transports en communs actuels et à venir.

Rémy Dick : « Un audit pour définir les responsabilités »

Rémy Dick, maire de Florange (57) photo DR
Rémy Dick, maire de Florange (57) photo DR

Lors de votre prise de pouvoir à la tête du SMiTU le 27 novembre 2023, vous vous étiez fixé comme objectif de « retisser du lien entre les collectivités et le Syndicat, redonner confiance aux usagers tout en lui rendant une certaine crédibilité ». Peut-on faire le point sur la réalisation de cet objectif ?

La méthode employée, c’était de la concertation, des réunions publiques, ça nous a structurés jusqu’à la fin du premier semestre de l’an dernier. Les 14 réunions ont été très utiles pour identifier les petits sujets qui cassent la confiance. Le deuxième sujet essentiel était les institutions. Ce sont les financeurs, c’est d’abord les collectivités qui nous financent. De ce côté, le résultat est total, à une petite alerte près. L’agrandissement du périmètre nous permet de prouver que le territoire nous fait confiance, alors qu’à la base, on n’avait rien de sexy. Nous avons des enjeux de mobilité commun, notamment sur la frontière luxembourgeoise.

Pouvez-vous dire quelle est la différence entre l’ancien SMiTU et TeMo ?

Ce sont 19 communes de plus à gérer, essentiellement en milieu rural. Elles sont la porte vers le Luxembourg. Trois pôles d’entrées vers le Luxembourg sont marqués par le syndicat. Nous ne sommes plus que l’héritier de la Trans-Fensch, nous sommes devenus un syndicat de mobilités. Nous étudions les mobilités alternatives comme Urbanloop, du P+R, des projets de pôles multimodaux comme Thionville, Uckange, Hettange-Grande menés avec le SERM. Il y a des scénarios ferroviaires vers Fontoy mais aussi vers Bouzonville, vers Apach de l’autre côté. Tout ça a besoin d’un syndicat qui dépasse les EPCI (NDLR : établissements publics de coopération intercommunale permettant à plusieurs communes d’exercer des compétences en commun). C’est un gage d’efficacité. Nous avons vocation à coordonner les transports pendulaires et transports quotidien.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le SERM (service express métropolitain)?

Avant d’être un organisme parapublic, c’est d’abord un projet politique : créer un RER urbain. Il y a deux SERM dans le Grand-Est. L’enjeu est de créer des quasi-RER autour de pôle de centralités. On considère que nous sommes la banlieue de Luxembourg, on doit concevoir une voie ferroviaire qui nous permet d’aller travailler. Le SERM aura vocation à accueillir des co-financements de Nancy jusque Luxembourg pour cofinancer des projets de mobilité. Une des ambitions est le développement du ferroviaire et non le remplacement du ferroviaire par du bus. L’enjeu est de décongestionner les routes.

Ne craignez-vous pas que l’ajout d’un organisme supplémentaire aux Régions, autorités organisatrices des TER et à TeMo, qui partagent une vocation ferroviaire, ne vienne freiner les démarches plutôt que de les hâter ?

Le Service Express Régional Métropolitain n’est pas un nouvel organisme en tant que tel. C’est une mutualisation de toutes les organisations publiques qui parlent de transports : Etat français, Etat luxembourgeois, SNCF, Région, deux métropoles, TeMo. C’est une convergence de ces institutions pour accélérer la temporalité. Et par ailleurs, on limite les acronymes.

Prenons un exemple concret : le développement des trois pôles multimodaux. Qui fait quoi ?

Le BHNS est déjà déployé partiellement avec deux ponts, un P+R réalisé par Thionville. Les choses sont morcelées mais peuvent amener à une vision de pôles multimodaux aux accès multiples. Aujourd’hui, les villes ont confié la mobilité à TeMo qui est responsable des accès gares. Il faut restituer au BHNS sont vrai but : non pas faire de l’interurbain comme Hayange-Basse-Ham, mais comment faire Hayange-gare d’Uckange…. Le BHNS doit faciliter l’accès aux différentes gares par bus. L’enjeu est de créer des étoiles autour des gares.

Quel rôle pour le SERM dans ces projets ?

Le financement ! Le BHNS ne figurait pas dans le contrat de Plan Etat-Région. Aujourd’hui le SERM pilote le contrat de plan. En intégrant le BHNS nouvelle formule, avec les pôles, dans le contrat de plan Etat-Région, il pourra être cofinancé en partie par la Région. Quand j’annonce que le BHNS ne coutera pas plus que 100 millions d’euros au TeMo, je confirme.

C’est encore moins cher que ce que vous aviez annoncé très récemment. Vous aviez évoqué 130 millions d’euros.

Ça dépend de ce qu’on intègre dans la somme. Si l’on extrait les ponts et les voies déjà réalisés, on n’irait pas au-delà de 100 millions d’euros, dépôt compris.

Lors de la rencontre du baptême de TeMo à Yutz, on avait presque l’impression d’en savoir moins en sortant de la salle que lorsqu’on y est entré… Pouvez-vous éclairer notre lanterne ?

En fait, le projet n’était ficelé en rien. Il n’était ni financé ni finançable. Sur un projet affiché à 300 millions d’euros, on avait 50 millions payés. Tout le reste, c’est de l’emprunt. Ça ne tient pas. Aucun maire n’était content du tracé et du passage dans sa ville. Le projet n’avait ni queue ni tête. Le conflit yussois est le premier exemple : passer en force contre un maire, c’est quand même crétin. C’est se tirer une balle dans le pied.

La demande d’itinéraire alternatif présentée par Mme Pouget, Maire de Yutz, a-t-elle fait l’objet d’une suite favorable ?

J’y reviendrai… Le Département de la Moselle, en charge des Départementales, était opposé au projet (NDLR : de BHNS ancienne version). Depuis le BHNS a été financé par une contribution exceptionnelle. Les deux agglomérations ont été d’accord pour payer plus. On a aujourd’hui les possibilités d’emprunter. Le SERM a donné un sens politique et un financement au projet. Les bus sont adaptés à certains parcours. Le BHNS, c’est pour éviter les bouchons… Une nouvelle carte du BHNS va bientôt sortir dans la presse avec des parties obligatoires… Le BHNS n’est pas le Mettis qui ne s’applique pas à notre territoire, on n’a pas la même densité, sauf dans la Fensch. On a un BHNS léger. On va développer les voies dédiées sur les points de congestion. Ailleurs, la priorité sera donnée au bus.

Les voies dédiées qui figurent sur les tracés originels sont-elles appelées à évoluer ?

Tout va évoluer, parce que les villes nous l’ont demandé. Le maire de Yutz nous a demandé de revoir le projet, avec beaucoup moins d’aménagements à réaliser. On a validé le trajet proposé par le Renouveau Yussois. On a convenu qu’on arriverait à Basse-Ham à Hamélys (pôle touristique) en BHNS et plus dans une ZAC quelconque. On devra élargir où il y a des risques de bouchon : Thionville mais avec moins de contraintes qu’initialement prévues. Une voie propre doit émerger à Yutz à la sortie de Cormontaigne. Le rond-point Couronné devra y être aménagé ainsi que l’arrivée côté Basse-Ham. L’enjeu n’est pas de faire un BHNS mais d’améliorer le transport.

Les usagers sont unanimes : « on n’en a rien à faire du BHNS ». La seule chose qu’ils attendent, ce sont des bus fiables qui desservent correctement leurs territoires dans des horaires qui répondent à leurs besoins. Les problèmes du quotidien ne sont toujours pas résolus.

Pour certaines associations et certains élus, le BHNS est passé d’un outil à une fin en soi. Je pense qu’il faut remettre l’église au milieu du village. On s’en fout du projet Citézen, ce n’est pas une fin. Le but, c’est que le réseau fonctionne et que les gens puissent être transportés en gagnant du temps. Plein d’outils peuvent améliorer la situation. Le BHNS n’en est qu’un parmi d’autres, mais dans ce territoire, on en a fait un principe du ça ira mieux après. On ne doit pas avoir de totem. On doit s’adapter et le BHNS était devenu un totem. Cet outil doit être mis en place là où il est nécessaire, c’est-à-dire là où il y a des bouchons. Le réseau était unitaire au départ et on y a fait un rajout… et ça ne passe pas auprès de certains élus. Il faudra refaire un réseau unitaire et ça va coûter de l’argent à tout le monde…. Le SMiTU a été recapitalisé…. grâce aux contribuables et grâce aux EPCI et à l’extension du périmètre…. Tous les cars ne seront pas en électrique. Certains seront en HvO c’est-à-dire mixtes bio éthanol ou diesel. Dès qu’on sort de l’urbain, l’électrique n’est pas adapté.

Deux ponts à Thionville, très chers et mal conçus (DR)
Deux ponts à Thionville, très chers et mal conçus (DR)

On a découvert des problèmes de géométrie au niveau des deux nouveaux ponts… Second point, quelles raisons vous ont déterminé à commanditer un audit ? Quel est son cahier des charges, sera-t-il rendu public ?

Ce sont les mêmes sujets ! Je suis aujourd’hui signataire de tous les documents administratifs. Et je ne veux pas signer n’importe quoi. On a senti un flottement politique et administratif dont on veut mesurer les conséquences. Il a vocation à me permettre d’être serein. Je poserai toutes les responsabilités si je devais être amené à ne pas être serein. Tout ce qui est lié à cet audit nous amènera à aller chercher des responsabilités qu’elles soient politiques, administratives, financières, juridiques ou pénales. Les relations entre mandataire et maître d’œuvre sont terriblement conflictuelles et c’est ça l’enjeu de l’audit. Quand on demande à deux bus de Keolis de se croiser sur le pont De Gasperi, les deux bus ne se croisent pas même à 10 <km/h. C’est la faute de qui ? La maitrise d’œuvre et le mandataire déclarent que ce n’est pas leur faute, les anciens administratifs du TeMo qui disent qu’ils avaient missionné le mandataire et les élus découvrent la situation. L’audit devra examiner la chaîne de responsabilité. Ça va nous coûter 100 000 euros de plus.

Qui paie ?

On avance la somme et on ira au contentieux par la suite. Mais il y a plein de choses qui sont bizarres : le cahier des charges du dépôt était bizarre, avec un peu trop de candélabres, la puissance électrique était douze fois supérieure aux besoins… En réexaminant les coûts du dépôt, on est à moins de 20 millions contre près de 33 avant… La question c’est pourquoi ? Pourquoi Keolis en a profité pour faire un cahier des charges omnipotent, pourquoi les élus se sont fait avoir et ont validé le principe, pourquoi les services internes n’ont pas regardé avec un esprit critique, c’est leur but ! Pourquoi notre mandataire nous encourage à avoir un cahier des charges qui est surévalué ? Pourquoi notre maîtrise d’œuvre nos renvoie vers un projet de 28 millions d’euros alors qu’on aurait pu faire pour moins cher ? Et que s’est-il passé sur les ouvrages d’art ? Et je n’en sais rien ! Le but de l’audit, c’est d’éclaircir ces points.

La situation des bus quotidiens reste très en retrait par rapport aux services jadis rendus par la Trans-Fensch, malgré les efforts opérés. Quel message d’espoir pourriez-vous adresser aux usagers ?

Je vais être franc. On a aujourd’hui l’un des pires réseaux de France, surtout en termes de qualité. Ça se travaille sur le temps. Quand on commande des bus, ça prend du temps. Les résultats vont se voir progressivement. Les premiers mois, on a fait du palliatif. Maintenant on est en train de restructurer et ça prend du temps, soit 18 à 24 mois avant d’avoir des résultats complets concrets. Le plan de charge, c’est des bus neufs ou quasi-neufs HVO et électrique, une billettique moderne avec possibilité d’acheter dans le bus ou en ligne, une application, une gestion en temps réel de l’itinéraire, 4 pôles en plus des pôles multimodaux permettant de rejoindre tout point du réseau avec une correspondance maximum, toutes les problématiques de logistique interne devront être gérées : girouettes, radios, … Aujourd’hui, on a deux, trois nouveaux bus par mois qui arrivent mais on ne fait pas de com pour l’instant parce qu’il n’y a pas d’effet de masse, mais on commence à ressentir les premiers effets sur le réseau. On avance petit pas par petit pas. On va connaître plein de petites évolutions d’ici la fin de l’année, ce sera mieux que de se taper la révolution de 2020, et d’être confronté à une nouvelle crise de confiance.

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