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Brétigny : un accident imprévisible mais probable

Le 25 avril débutera le procès de la « catastrophe de Brétigny ». La SNCF, SNCF Réseau et un cadre de la SNCF vont comparaître devant le tribunal correctionnel d’Évry-Courcouronnes (Essonne) pour homicides involontaires et blessures involontaires. L’État, qui porte une responsabilité écrasante dans cet accident, ne semble pas figurer au rang des accusés.

Bernard Aubin

Par Bernard Aubin

Les faits

13 juillet 2013, 17 h 11 : le train Teoz Paris-Austerlitz/Limoges déraille en gare de Brétigny-sur-Orge (Essonne). La scène est apocalyptique : des voitures Voyageurs sont renversées ou se placent en travers des voies. Selon le rapport de la sécurité civile, le bilan est de 7 morts et de 70 blessés dont 9 graves.

Plusieurs enquêtes sont immédiatement lancées : par la SNCF, par la Justice, par le Bureau d’Enquête d’Analyses des Transports Terrestres, mais aussi par des organismes spécialisés mandatés par les CHSCT des Établissements SNCF en charge de la maintenance des infrastructures concernées.

La SNCF détermine très rapidement les « causes » du déraillement : une éclisse (pièce métallique servant à faire la jonction entre le rail et l’appareil de voie) s’est désolidarisée pour venir se ficher dans le « cœur » de l’aiguille. C’est cet obstacle qui a fait dérailler le train. Ce type d’accident nécessite des concours de circonstances multiples et malheureux. Si bien que le risque qu’il survienne était proche de zéro. Et pourtant il a bien eu lieu.

Les premiers éléments de l’enquête judiciaire

Le 6 juillet 2014, les experts judiciaires affirment que « la cause principale est un déficit de qualité de maintenance » et signalent « un état de délabrement – jamais vu par ailleurs – de l’armement de cet appareil de voie situé en zone à risque (en entrée de gare) à fort trafic… ». Ils soulignent que « le processus ayant abouti à la désagrégation complète de l’assemblage s’est… étalé sur plusieurs mois et a concerné l’ensemble de l’appareil de voie incriminé, sur lequel ont été relevées plus de 200 anomalies de divers degrés de criticité ». La SNCF dénonce alors des « propos outranciers ».

L’état de délabrement du Réseau Classique était connu de longue date

En 2005, la SNCF décide de faire appel à des experts externes (École Polytechnique Fédérale de Lausanne) pour faire évaluer de manière objective l’état du réseau ferré français. Victime de sous-investissements chroniques, le réseau « classique » s’est considérablement dégradé au fil du temps. L’État actionnaire n’a pas joué son rôle, refusant les investissements indispensables à la maintenance du réseau.
Dans ce genre de situation, le Président de la SNCF, nommé par le Gouvernement, se trouve placé entre le marteau et l’enclume. Confronté aux situations complexes, ce haut dirigeant a toujours devoir de prétendre que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… Sans quoi c’est la démission… ou la porte !

Ce « rapport Rivier »souligne :

  • « Le vieillissement très important du réseau classique ».
  • « L’état moyen de l’infrastructure, sur une part importante du réseau, (qui) se dégrade continuellement et les prémices d’une dégénérescence »
  • « La fiabilité des composants du système ferroviaire (qui) décroît lentement mais sûrement. La poursuite de cette situation ne peut qu’augmenter la fragilité du réseau ferré et menacer la pérennité du réseau classique ».

Il pointe « la baisse régulière des budgets alloués à la maintenance (entretien et renouvellement) » : depuis le début des années 2000, « les investissements en renouvellement semblent avoir également connu une tendance à la baisse de l’ordre de 20% au total ».

Premier responsable

En 2012, l’EPFL dresse un bilan des mesures mises en œuvre depuis la parution du précédent rapport. Si les experts soulignent qu’un « effort substantiel » a été réalisé depuis la parution de précédent audit, ils déclarent que celui-ci « n’a pas encore permis d’inverser la tendance au vieillissement ». Les experts concluent que « la pérennisation du réseau ferré national exige l’inévitable poursuite de la montée en puissance des budgets consacrés au renouvellement ».

En résumé, l’état de vieillissement et de dégradation du réseau classique était connu de longue date par la SNCF et RFF. Il a été porté par deux fois sur la place publique à travers la publication de deux rapports externes dont l’objectivité et les conclusions n’ont jamais été mises en doute.
L’État ne pouvait donc ignorer les conséquences probables de la précarité financière qu’il a infligée aux gestionnaires du réseau ferré français. De fait, il est le premier responsable de la catastrophe de Brétigny !

Soumise à ces contraintes financières insurmontables, la SNCF a réduit les effectifs et les budgets de maintenance alors que l’état inquiétant du réseau exigeait l’inverse.

Un audit réalisé en 2014 pour l’ « Infrapôle » SNCF en charge de la maintenance des installations à Brétigny souligne qu’au niveau de SNCF Réseau que :

  • « Jusqu’en 2009, les recrutements semblent simplement suivre les cessations d’activité, mais à un niveau très inférieur : certaines années, le taux de remplacement (rapport des entrées sur les sorties ou ici des recrutements sur les cessations) descend sous la barre des 10% et il est en moyenne à peine supérieur à 20% entre 2004 et 2009 ».
  • Concernant plus spécifiquement Brétigny : « On constate ainsi qu’entre 2005 et 2012, l’effectif de la brigade passe de 13 à 8, soit une perte de près de 40% ; mais surtout il a été divisé par deux entre 2000 et 2012 ».
  • Il alerte aussi sur la problématique de la transmission des compétences : « de tels niveaux ont surtout eu, comme nous le verrons, des conséquences très fortes en matière de gestion des compétences : sous la barre des 50%, il est très difficile de prétendre maintenir les compétences d’une activité aussi pointue et diversifiée que celle de la Voie ».

Pénurie d’effectifs

Enfin, il pointe globalement l’impact sur le terrain des manques de moyens :
« Par un effet de cascade, les remplacements (régénération, maintenance courante) refusés par les autorités décisionnaires (DMR, TP) reportent les contraintes au niveau du petit entretien. En dernier ressort, sur l’équipe de secteur dont les moyens sont insuffisants (effectif compétent réduit, matériel à la disponibilité aléatoire) ».

Dès 2014, 80 nouveaux agents ont été embauchés au niveau de l’Établissement qui couvre Brétigny, ce qui constitue un aveu implicite de la pénurie d’effectifs qui précédait l’accident.

Conclusion

L’État actionnaire, seul vrai décideur à la SNCF, est le principal responsable de l’accident de Brétigny mais aucun de ses représentants ne figure parmi les « accusés ».
La politique de sous-investissements menée des années durant par des gouvernements successifs, la politique de l’autruche faisant fi des signaux d’alarme tirés par deux rapports rendent les décideurs politiques coupables de non-assistance à personne en danger.

Pourtant, ce seront des cheminots qui devront répondre devant le Tribunal d’actes dont ils ne maîtrisaient réellement ni les tenants, ni les aboutissants.
Une fois de plus, ce sont les lampistes qui risquent de payer le prix fort…

Quant à la régénération du réseau classique, à ce jour, les investissements demeurent toujours insuffisants… et les infrastructures continuent de vieillir.
Mais ça, c’est une autre histoire !

Accident de Brétigny Poudou99, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
Accident de Brétigny (Poudou99, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons)
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