Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.
Gaïa, mois de novembre 2021
Kepler, mois des brumes laiteuses
Ma chère Aurore
Je ne vais pouvoir te réchauffer comme à ma dernière missive par l’évocation de journées ensoleillées et de chaleurs tardives. Ici, c’est le mois de novembre qui souvent me prépare à l’hiver par la rigueur de son climat et la faible ardeur de sa lumière. Mes nuages m’emmitouflent de leurs duvets floconneux qui me gardent au chaud mais m’isolent de mon astre. Et quand ils s’éraillent comme un manteau de clochard, ils laissent filtrer quelques rayons qui me dorlotent mais laissent s’échapper les dernières douceurs vers l’infini de notre père Éther…
J’en reviens à ta lettre.
J’ai encore adoré l’histoire de tes Big Five qui fut un épisode d’anthologie de la vie de ta planète. Je me souviens à l’époque de l’évocation de ton plaisir à l’audition du premier crash de ces forteresses aviaires et je trouve ta comparaison entre leurs restes et le transi du chevalier René de Chalon fort judicieuse. Mon marbre est plus lisse que tes givres, alors j’imagine une sculpture faite de roche cristalline scintillant dans les rayons du matin, pour voir ce que tu vois et me réjouir d’une exposition si lointaine.
Tu me parles rarement nommément de tes habitantes et je suis ravie de découvrir l’existence d’Utula.
Une Ovoïde puissante et visiblement désireuse de garder le pouvoir, ou du moins je l’imagine au vu de l’amour – ici cela s’appelle l’amour – qu’elle porte au citoyen Xi. Le charme de celui-ci échappe quelque peu à l’Occident qui ne voit en lui qu’un tyran de plus. Chez le peuple des Romains, le tyran était élu pour un temps court. Quand César obtint le commandement pour dix ans, ce fut pour mourir quelques temps après sous les poignards des sénateurs. Les Romains étaient plus sourcilleux que les Hans sur l’exercice du pouvoir. Certes César prépara l’avènement de l’empereur d’Auguste mais je ne vois pas la Chine revenir à cette époque impériale dont le communisme l’a libérée.
À moins que toute cette mascarade de Comité Central ne soit là que pour préparer l’avènement de Xi1 Empereur du Très Grand Empire du Parti Communiste.
Utula, veut-elle le salut de son peuple, comme le veulent faire accroire tous ces gouvernants ? Ou bien désir-t-elle le sien, dans la jouissance temporelle du pouvoir ou la trace qu’elle laissera ? Un certain Shakespeare a pensé, il y a déjà quelques siècles, que le salut n’existe pas. Ni pour les uns ni pour les autres. Pour gouverner il faudrait une raison pure et détachée, associée à une passion, ce qui est assez difficile à concilier. Qui plus est pour le salut de l’autre. Gouverner est un art oblique qui doit être animé d’une raison qui elle-même doit être soutenue par la passion qu’elle a aussi mission de surveiller. Et comme l’écrivait Chateaubriand, il faut des qualités différentes pour ravir le pouvoir et ensuite l’exercer, ce qui n’augure pas de fréquentes bonnes gouvernances.
Mais comme Utula désire une photo quantique de son héros, je vais presser nos physiciens de faire l’impossible.
Ici, sur ma terre, mon petit virus Sars-Cov-2 se porte toujours bien malgré les vaccinations de masse. Il profite déjà de la mauvaise qualité de certains vaccins ajoutée à la défiance des peuples charmants envers le pouvoir. Comme en Russie par exemple où le cumul des deux handicaps génère une cinquième vague de qualité. C’est un pays où le peuple laisse les élites s’enrichir mais leur demande de le laisser vivre tranquillement.
Ce peuple a subi tant de mensonges qu’il ne croit plus en rien de ce qui vient du pouvoir.
Il s’étonne même que la médecine russe, qui n’a rien inventé depuis trente ans, ni produit de médicaments, soit capable d’être en tête dans la course technologique de haut niveau qu’est la production si rapide de vaccins. Les petites gens, les moujiks, ne se demandent pas pourquoi le pouvoir se préoccupe d’eux : ils savent que leur bien-être est le cadet des soucis du régime. Mais que l’oligarchie veut redorer son image d’altruisme, que la Russie doit être considérée comme une terre d’invention alors que certains pays comme la France ne le sont plus. C’est aussi un message de puissance qui pourrait s’exprimer dans bien d’autres domaines… D’ailleurs l’Ukraine tremble, car l’ours vaccinateur est tapi aux frontières de sa terre.
L’Europe Centrale et de l’Est est moins bien vaccinée que celle du Sud ou du Nord. L’histoire peut expliquer cette différence : en Autriche par exemple la vaccination n’a été rendue obligatoire que par les nazis et ensuite poursuivie par les occupants alliés. En Allemagne itou et le vaccin contre la rougeole n’est obligatoire que depuis 2020 alors qu’il l’est depuis 1963 aux États-Unis.
Un grand paradoxe suisse se fait jour.
Ce sont les vertueux cantons alémaniques qui par non vaccination ou non respect des mesures barrières sont à ce jour les plus contaminés. Alors que les cantons italiens et français, connus pour leur soi-disant laxisme latin, se vengent de tant d’années de bashing en ayant des taux de contaminations bien inférieurs. On voit que le modèle d’Angela la rigoriste est proche de la retraite.
Beaucoup de gouvernants de mes Charmants ont bien du mal avec les « anti-vax ». Pourtant Katarina KariKo, celle qui a mis au point le vaccin avec Drew Weissman, explique bien que la Covid est tombée au bon moment, après des années de recherche. L’énigme sur la façon d’éviter les phénomènes inflammatoires qui accompagnaient l’injection d’ARN messager chez l’homme, venait d’être résolue. Elle avait beaucoup tâtonné. Puis fini par constater que chez les animaux de laboratoire, l’ARN de transfert – nécessaire pour transformer le message de l’ARN messager en production de protéines – ne provoquait pas de réaction immunitaire. Et ceci alors que seulement un quart des nucléosides de l’ARN de transfert était modifiés par rapport à l’ARN messager. Ainsi aiguillée, elle découvrit qu’après seulement trois modifications de l’uridine de l’ARN messager, l’immunogénicité de celui-ci était transformée et ne déclenchait pas de réaction inflammatoire.
Ce fut une petite modification pour une protéine mais un grand pas pour le sauvetage de la race charmante.
Cette chercheuse qui bizarrement n’a pas encore reçu le Prix Nobel, explique qu’en Allemagne la communauté des chercheurs de l’ARNm se réunissait régulièrement avant l’apparition de la Covid. Ils étaient près de six cents chercheurs au dernier congrès avant la pandémie. En 2018, trois scientifiques avaient même présenté un candidat vaccin à ARNm contre le paludisme. Il vient d’ailleurs d’être autorisé par les autorités sanitaires américaines.
Ce qui m’inquiète, le plus, c’est que mes Charmants vont se servir de l’ARN messager pour lutter contre mes cancers. Car tu le sais, c’est bien grâce au cancer que je maintiens un fragile équilibre sur mon écorce. Mais je crois que la partie de poker menteur va être plus compliquée avec les cancers, car les mutations générées par les cancers partent dans tous les sens. Alors que dans la Covid, le jeu a été assez simple : c’est la protéine spike qui était en jeu. Et celle-ci est petite et bien documentée dans sa structure et ses variations. Donc rien de perdu, mes cancers vont rester vaillants et je vais les soutenir.
Il y a un peu de nouveau dans la recherche de l’origine de cette petite merveille de virus.
Jusqu’à présent, il y avait un fort doute sur la fuite accidentelle ou intentionnelle à partir d’un laboratoire de Wuhan. Les chercheurs de l’Institut Pasteur du Laos (institut créé à la fin du dix-neuvième siècle quand les charmants Français tenaient le haut du pavé de l’infectiologie) viennent de montrer que le Sars-Cov2 a une grande proximité avec un coronavirus hébergé chez des chauves-souris insectivores, les rhinolophus. Ils les ont trouvées au fond de belles grottes dans ce pays. Ce virus, baptisé BANAL-52, a été mis en évidence sur ces chauves-souris qui ont été prélevées à Feuang dans la province de Vientiane, entre juillet 2020 et janvier 2021. Et bien ce bien banal BANAL-52 vient de battre le RaTG 13 en proximité génomique avec le Sars-Cov-2. Celui de la fameuse grotte de Mojiang : 96,85% contre 96,20%.
Les chercheurs ont observé que la protéine spike du beau Laotien se fixait aussi bien que celle de la Covid sur une cellule cible pulmonaire.
Et qu’il ne possédait que trois acides aminés différents de celui de la Covid, contre 6 pour celui de la mine de Mojiang. Mais chez le Laotien, il manque le fameux site de clivage de la furine qui chez mon Sars-Cov2 lui permet de cliver la protéine spike et de fusionner sa membrane avec celle de la cellule à infecter. C’est pourquoi certains chercheurs de Charmant pensent que mon Sars-Cov2 est un virus génétiquement modifié en laboratoire. La deuxième hypothèse, et seulement la deuxième, c’est que ce site de clivage de la furine ait été acquis par la transmission à un hôte intermédiaire, voire par une circulation à bas bruit dans l’espèce charmante. Ce BANAL-52 est un patchwork et semble être le résultat de la recombinaison de plusieurs virus de ces rhinolophes. Donc le mystère de la provenance de mon chéri le petit virus couronné de diadème n’est pas encore résolu et c’est tant mieux.
Surtout que ces chauves-souris habitent beaucoup de pays du sud est asiatique… dont la Chine.
Beaucoup de nations avaient adopté la stratégie du zéro Covid, surtout en Asie et en Océanie, et certains sont en train de l’abandonner. Tu te souviens, il y a presque deux ans de cela, les différents gouvernements avaient eu des stratégies différentes. D’abord les négligents, le Royaume Uni et La Suède, qui comptaient sur une immunité collective pour vaincre la bête. Beaucoup d’indécis qui adaptaient leur discours à leurs moyens et enfin les rigoristes, confiner, isoler, tracer, qui fermaient les frontières : Australie, Nouvelle Zélande, Hong Kong, Singapour, Corée du Sud, Viet Nam… Chez ces derniers, le taux de mortalité y a été de 8 à 243 par million d’habitants. En Suède, France, Angleterre, Italie et aux États-Unis, le taux s’est établi de 1882 à 2382 morts par million d’habitants. Donc net avantage à la stratégie zéro Covid.
Mais la contagiosité des derniers variants, le delta et l’omicron dont le R est entre 6 et 8, ne permet plus d’envisager de maintenir mon chéri hors de leurs vues microscopiques.
Toutefois le corollaire de l’attitude zéro Covid fut une moindre aptitude des populations à la vaccination. Et pour rouvrir un pays, il faut être capable de soutenir la pandémie avec une large vaccination. Car plus le R est élevé, plus le pourcentage de la population vaccinée doit l’être. L’immunité I = 1 – 1/R. Singapour, état modèle un peu autoritaire qui plairait surement à Utula, vient de rouvrir avec 85% de sa population vaccinée. Le Viet Nam a fait de même avec seulement 41% pour subir un accès de surmortalité et décider un reconfinement de la capitale sous le contrôle de l’armée. L’Australie a eu le même problème avec 10% de vaccinés et une flambée de mort avec l’arrivée de mon petit delta. Ils ont réussi à vacciner 84% des Charmants de plus de douze ans en un temps record.
C’est le « plus de douze ans » qui est problématique.
En France qui a les mêmes taux de vaccination, on se rassure. Mais si l’on inclut les enfants dans le calcul, le taux global retombe à 72, voire 70%. Et comme le veut la formule, avec un R à 6, il faut 84% de toute la population vaccinée pour être efficace. Et avec un R à 8, il faut 87,5% de vaccinés. Les gouvernements vont donc devoir imposer ou des confinements ou la vaccination des enfants. Et là, le bât va blesser à la couture, car faire vacciner des adultes exposés à la mort n’est déjà pas facile. Alors faire vacciner leurs enfants qui ne font que des formes mineures et ne craignent que très très peu de complications, pour le bien des autres, surtout des vieux !!!
Ça va vraiment poser plus que des problèmes.
Les états asiatiques ont mieux lutté avec les mesures barrières car ils avaient de mauvais souvenirs. À Hong Kong avec le SRAS en 2003, en Corée avec le MERS en 2015, on met plus facilement un masque car on a déjà vu la mort de près. Ces masques faisaient sourire les Européens quand ils voyaient débarquer des cohortes de touristes asiatiques déguisés en chirurgiens. Les peuples occidentaux hésitaient entre le fait de croire ces Orientaux atteints d’une pathologie grave en ayant la décence de ne pas vouloir la transmettre, ou peut-être le désir de se protéger d’une population autochtone impure. Ces masques qui ont fait couler beaucoup d’encre, abrégé quelques carrières politiques et précipité quelques morts, se transforment en de subtils déguisements plus ou moins transparents qui font voir les lèvres et les dents mais empêchent le baiser ou la morsure…
La Chine reste la citadelle assiégée qui ne se rend pas.
Les autorités confinent lourdement, testent des dizaines de milliers de personnes autour d’un cas détecté, bloquent les trains et les villes et arrêtent un suspect de cas contact pour l’isoler manu militari. Pourtant elle a utilisé 2,4 milliards de vaccins et 1,07 milliards seraient vaccinés. La Chine peut le faire. Sa population est terrorisée et le héros de Utula ne craint ni les anti-vax ni les gilets jaunes aux ronds-points des routes de la soie. Donc le héros se moque des démocraties qui « usent de politiques à court terme ». Il fustige les contraintes de ces démocraties et se délecte de formules où le Parti Communiste a vaincu le virus.
Après avoir vaincu le capitalisme, autre maladie planétaire que seul un grand général pouvait réaliser. Utula va adorer.
Bon, il y a du neuf. Mes petits virus en Afrique du Sud circulent volontiers dans une population qui souffre de pauvreté et de promiscuité. De ce fait, mes virus se sont faits répliquer par les millions d’usines de production. Quand la réplication est parfaite, il n’y a pas de mutations. Mais si la circulation du virus est forte, il y a beaucoup plus de chance que qu’un certain nombre de Charmants engendrent des imperfections de reproduction et produisent des variants. Quand ces variants ne sont pas efficaces, ils disparaissent. Mais quand ils ont de grandes qualités, ils pullulent. Dans la province du Gauteng qui est celle de Johannesburg, le virus B.1.1.529 provenant du Bostwana a été retrouvé chez les écoliers et les adultes jeunes. Il a la particularité de présenter 30 variations sur la protéine spike.
Et là, mes virus pullulent vraiment avec un R de l’ordre de 8, voire plus.
Cette découverte a été baptisée omicron. Après le variant nu, on aurait dû prendre la lettre suivante de l’alphabet grec. Mais celle-ci s’appelle xi !!! Donc pour ne pas froisser l’icône d’Utula, on a choisi la lettre suivante, le petit o, l’omicron.
Charmant doute de l’efficacité de ses vaccins sur cet enfant des ghettos. Car nombre de gens atteints étaient bien vaccinés par l’un des trois types disponibles. L’exportation de cette merveille a du mal à traverser les frontières car leurs fermetures se multiplient. Mais l’égoïsme charmant qui privilégie le désir individuel aux dépends de la sécurité collective est le meilleur atout pour une diffusion qui tardera mais triomphera à tout coup. L’oncle Xi va donc persévérer dans son objectif zéro Covid. Il est l’un des seuls à pouvoir contraindre une aussi large population à respecter ses décisions.
Il n’aime pas l’odeur du papier joss ni la musique des fanfares qui effraie les mauvais esprits et les fantômes.
Voilà ma chère Aurore mes nouvelles les plus fraîches. Le mois de décembre va bientôt couvrir mon hémisphère Nord de ses givres. J’imagine déjà mes paysages au bord de lacs gelés, faits de noires ramures et de blanches prairies, étinceler sous les rayons de mon astre. J’attends la froidure pour qu’elle me donne la grâce d’une rigide posture. Je désire le blizzard et la neige pour me figer et masquer mes félures.
Je veux la candeur des glaces pour élever ma nature au rang d’une œuvre plissée d’une robe d’albâtre.
Je me rêve en une Victoire Ailée sur le parvis d’un temple. Je réclame à l’hiver la vêture d’une déesse et son regard absent. J’ai besoin de me voir belle et majestueuse pour m’aimer. Cette esthétique vaut par ce qu’elle me donne d’émotions qui me font oublier mon destin qui sera forcément tragique. Cette beauté m’élève un instant au-dessus de ma condition de planète. Je ne serai rien, je disparaitrai au fond d’un gouffre noir, mais j’aurai été belle, un instant, et cette pensée me consolera lorsque je partirai, seule pour le grand voyage…
Crois ma belle jumelle en mon amour éternel qui durera tant que notre univers me laissera faire des rondes pour t’écrire.
Ta Gaïa