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Lettre de juin 2021 d’Aurore Kepler à sa sœur Gaïa

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Mois des sources jaillissantes, sur Kepler
Mois de juin 2021 sur Gaïa

Ma chère Gaïa

Ah, ma soeur ! Comment ne pas te remercier pour ta dernière missive ? Car les descriptions que tu me fais des découvertes de ton Charmant me permettront d’avoir une longueur d’avance et peut-être de gérer des problématiques de surpopulation à venir sur ma terre. Ces adorables créatures virales sont de très élégants moyens de régulation des espèces.

La fusion des éléments

Ici sur Kepler, mes Ovoïdes se passionnent de plus en plus pour l’astronomie. Je ne sais si c’est en vue d’une téléportation massive sur une autre planète pour s’épargner mes sautes d’humeur. Indépendamment de cette crainte, mes Ovoïdes viennent de s’apercevoir que mon étoile le Grand Cygne est mortelle. Ils découvrent petit à petit l’origine de son éclat : les réactions thermonucléaires. Ils savent maintenant qu’une fois que sa réserve de combustible nucléaire sera épuisée, s’installera la fusion de ses éléments lourds. Mon astre prendra alors de l’ampleur et expulsera son manteau pour s’entourer d’une somptueuse nébuleuse, diaphane, aérienne mais privant ma terre petit à petit de la chaleur nécessaire. Ensuite la température baissant, la fusion se tarira et le noyau de mon étoile se contractera. Ainsi sa transformation en une Naine blanche fera de notre étoile non pas un cygneau au plumage duveteux palmant dans le sillage de sa mère sur les bords de tes rivières, mais un vieux cygne rabougri et chenu, se trainant sur un bras mort en attendant la sienne.

Cette triste fin a le mérite d’être douce. Car si nos étoiles sont plus massives, du fait des températures et des pressions énormes, le final est violent. Quand la fusion atteint le stade du fer, celui-ci est trop stable pour que la chaine de combustion nucléaire continue à le transformer en un élément plus lourd. Et la pression qui résultait des réactions disparaît pour ne plus s’opposer à la gravité.

Ainsi l’étoile s’effondre sur elle même. Les atomes sont si proches qu’une nouvelle force naît : l’interaction forte. Le cœur de l’étoile devient alors composé de matière d’une densité inouïe, une étoile à neutrons.

Et si l’étoile est encore plus grosse, la gravité l’emporte sur l’interaction forte et l’étoile à neutrons s’effondre encore pour former ce fameux trou noir dont tu as si peur.

Des rayons X et des raysons gamma

Quand leur cœur périclite, que ce soit pour faire une étoile à neutron ou un trou noir, ces étoiles éjectent dans l’espace une énergie monstrueuse qui éclaire l’univers d’une lumière plus grande que celle de toute une galaxie : on les appelle les Supernova. Je sais que tes Charmants observent ces phénomènes depuis longtemps : en ton année 1572, le Danois Tycho Brahe constata dans la constellation de Cassiopée l’apparition d’une étoile plus brillante que ta sœur Vénus. Si vive qu’il en fut ébloui, pantois et intrigué par la rapide baisse de son éclat.

Dans quelques cas, la lumière est plus vive et l’explosion s’accompagne d’un champ magnétique intense qui émet des rayons X et des rayons gamma de très haute énergie : on appelle cette étoile à neutron un magnétar. Il peut libérer alors un jet de plasma brûlant en même temps que le rayonnement gamma. L’étoile implose sous le jet et devient une Supernova dite Ic-BL, dix fois plus énergétique qu’une Supernova ordinaire. Elle émet dans ce cas une lumière mille fois plus brillante mais cent fois plus éphémère. Pour repérer une Supernova extrêmement lointaine, mes astronomes ont compris qu’il fallait détecter les rayons gamma pour orienter les télescopes et voir la lumière de la fin de l’étoile. Cette technique permet de cibler des variations lumineuses qui autrement seraient passées inaperçues et de voir un phénomène qui a pu se produire très très loin, il y a très très longtemps.

La dernière observation de sursaut gamma a permis de repérer une émission transitoire liée à l’explosion d’une étoile distante de – attention le vertige intersidéral va te saisir – de 11,4 milliards d’années lumière…

Moi, cette immensité m’impressionne à chaque fois que j’y suis confrontée. J’essaye toujours d’éviter d’y penser. Mais la réalité est celle-là et pour comprendre ma vie, mon passé et mon avenir, je dois bien accepter d’en passer par là. La nausée que me procure ces distances abyssales est un peu compensée par le fait que tu m’en parais plus proche. Mais bien loin quand même si l’on considère la lenteur de tes vaisseaux spatiaux. J’espère que mes savants de l’ICL vont bientôt trouver un moyen de courber notre espace temps pour nous créer d’adorables petits trous de vers dans lesquels nos habitants se faufileront comme des vermisseaux dans un bois tendre pour s’étreindre et s’enrichir de leurs expériences respectives.

L’éternité est une illusion

Quand on étudie la mort des étoiles, bizarrement on songe à notre avenir. Car toi comme moi pourrions nous sentir éternelles. Il est vrai que si l’on compare la longueur de notre vie à celle d’un papillon de tes nuits estivales ou à celle d’une de mes chenilles chronophages, nous le sommes. Plus j’en apprends, plus je me rends compte que l’éternité est une illusion. Pas si rassurante que cela d’ailleurs, car l’éternité a quelque chose d’angoissant. Ne jamais pouvoir en finir avec le temps. Subir l’avenir sans échappatoire. Se savoir encore là demain alors que la souffrance perdure. Je ne comprends pas comment tes Charmants se sont entichés longtemps d’une vie éternelle. Cela doit dater d’une époque où la vie était si courte qu’ils n’avaient pas eu le loisir d’en épuiser les bienfaits. Même un plaisir, s’il est trop souvent renouvelé et identique, par sa répétition et son manque d’innovation devient lassant.

Je suis presque heureuse de savoir que quand mourra mon astre, je disparaîtrai.

Après une longue vie à servir l’Univers et nos créatures, j’aurai bien droit à un repos total, définitif, sans rappel. Dans la paix sidérale, je ne me saurai plus, je ne m’inquiéterai plus, je ne gouterai plus mon repos, je serai le repos. Bon, trêve de rêvasserie, je n’y suis pas encore.

Une mentalité d’espèce

Ma tendre Gaïa, je ne mène pas la vie d’insouciance de mes créatures. Mes Ovoïdes eux mènent une vie sans beaucoup d’angoisse. Comme ils ne sont pas obligés de travailler pour se nourrir – chaque Ovoïde possédant un pouloïde pour ce faire – beaucoup sont oisifs. J’ai l’impression qu’ils s’ennuient. Ce qui explique sans doute leur indifférence quant au passage dans un batteur qui, dès qu’ils seront blessés ou vieux, les recyclera en plasma pour engraisser la terre et faire pousser l’herbe pour alimenter les pouloïdes. Mes Ovoïdes manquent d’ambition individuelle si on les compare à tes Charmants. Leur ego est sous-dimensionné. Ils ont une mentalité d’espèce. Un comportement qui s’apparente à celui de tes fourmis.

L’individu c’est la fourmilière, la fourmi n’en est qu’une cellule.

Ou comme tes cigales périodiques d’Amérique qui sortent de terre tous les treize ou dix-sept ans pour se reproduire : elles sortent toutes en même temps ce qui rassasie les prédateurs et permet à un certain nombre d’entre elles de survivre en nombre suffisant pour pérenniser la race. Le sacrifice de quelques parties pour la sauvegarde du tout. Si l’on est supposé sans conscience, il faut être programmé. Mais programmé par quoi ? Par un désir de vivre qui sélectionne les individus aptes au sacrifice. C’est paradoxal et pas facile d’imaginer comment ça fonctionne. On peut appeler cela l’intelligence pré cognitive. Elle est à la base du développement des espèces les plus élémentaires aux plus sophistiquées, en passant par nos petits virus, et la source de la pérennisation de ces espèces. Pourquoi certaines finissent par disparaître ? Les espèces s’étant protégées de leurs prédateurs par divers moyens dont la satiété, ce sont d’abord les facteurs environnementaux comme les changements climatiques qui sont souvent la cause des disparitions. Ton Charmant en est une autre.

Sa puissance est telle qu’il peut faire disparaître des espèces pour se nourrir – le thon rouge – en les chassant pour leur valeur – les rhinocéros et les éléphants – en s’administrant des antibiotiques pour éradiquer des bacilles comme celui de la peste, ou en s’immunisant par une vaccination et faire ainsi disparaître la variole.

 

Une vie de béatitude au royame des Cieux

Chez tes êtres supérieurs les Charmants qui ont la conscience d’être, le premier réflexe est de survivre individuellement plutôt que de sauver l’espèce. Ton Charmant ne passe au sacrifice individuel que s’il espère une récompense divine. Au cours de tes croisades, tu m’as raconté il y a fort quelques siècles, que certains Croisés acceptaient de mourir pour que leur corps aille combler les fossés devant St Jean d’Âcre. Et facilite ainsi, d’une infime façon, la prise de cette place forte qui devait permettre d’ouvrir le chemin de Jérusalem. Mais dans leur credo, (qui vient de « kredh » en Sanscrit qui veut dire donner son coeur et sa force vitale en espérant un retour. La croyance religieuse et le crédit économique ont la même origine), ces Croisés manifestaient un espoir de retour sur l’investissement sacrificiel, celui d’une vie éternelle de béatitude au royaume des cieux.

Alors que ces insectes que j’ai mentionnés ne sont pas supposés avoir des croyances. Ils n’ont pas besoin de croire. Leur comportement collectif a sélectionné le sacrifice individuel pour la survie globale.

Carpe diem

Je sais que sur ta terre, ma Gaïa, ce comportement apeure tes Charmants démocrates. Car ils ne voient dans la promotion du sacrifice individuel qu’une manipulation au profit d’une oligarchie. Comme beaucoup d’autres espèces sont régies par le sacrifice d’une partie pour la survie du tout, tes démocrates ne se l’avouent pas encore, mais sur le long terme, ils ne peuvent pas exclure la possible suprématie d’une dictature sacrifiant une partie du peuple pour la survie de la race charmante. Ton démocrate est un individualiste qui s’ignore. Il a permis la prise de pouvoir de tes charmants individus sur le groupe. Mais comme tu m’en a déjà instruit, il est à craindre que ce soit le groupe qui reprenne le pouvoir, et ce, sous la forme d’un autocrate ou même d’un tyran.

Oublions tout cela. Carpe diem. Oh, quelle beauté ! En cette soirée sur mon hémisphère nord, mes hautes herbes sauvages ondulent sous les zéphyrs qui descendent des Monts Anathéiques. Elles frissonnent sous les vents comme la crinière d’une licorne. Elles dansent comme un bouquet de ballerines envoutées de musique. Elles embaument comme un jasmin à la nuit tombée. Leurs couleurs chatoient sous les rais obliques de mon astre au couchant. Elles sont la jouvence de ma terre et guérissent ses ulcères. Une vie d’herbe, d’herbes folles, d’herbes sauvages, d’herbes ensorceleuses. J’attends chaque vesprée pour m’enivrer de leur jeu.

Voilà ma douce Gaïa. j’en ai fini avec mes histoires.
Rien n’est vrai, tout est possible.
Seule la façon m’importe.
Les beaux contes font les bons peuples.

Je t’enlace d’ondes et de lumière.

Ton Aurore

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