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L’OCDE appelle à lutter contre « les intermédiaires fiscaux »

Les pays devraient intensifier leurs efforts pour mieux dissuader, détecter et neutraliser les activités des intermédiaires qui facilitent la fraude fiscale et autres délits financiers, selon un nouveau rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Ci-dessous, Interview exclusive de Grace Perez-Navarro, directrice adjointe du Centre de Politique et d’Administration fiscales de l’OCDE.

boite aux lettres aux Iles Caïmans (Pixabay)
Boites aux lettres aux Iles Caïmans (Pixabay)

Le rapport, intitulé En finir avec les montages financiers abusifs : Réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc, analyse les stratégies et les mesures pouvant être adoptées par les pays pour s’attaquer aux prestataires de services professionnels qui jouent un rôle essentiel dans la planification et la mise en œuvre d’activités à caractère criminel, appelés « intermédiaires fiscaux » dans ce rapport. La criminalité en col blanc, comme la fraude fiscale, les pots-de-vin et la corruption, est souvent occultée par des structures juridiques et par des opérations financières complexes facilitées par des juristes, des notaires, des comptables, des établissements financiers et autres intermédiaires fiscaux.

Frauder l’État

Le rapport souligne que la majorité des prestataires de services professionnels sont respectueux de la loi et jouent un rôle important pour aider les entreprises et les particuliers à comprendre leurs obligations législatives et à s’y conformer. Le but de ce nouveau rapport de l’OCDE est d’aider les pays à s’attaquer au petit nombre de professionnels qui mettent à profit leurs connaissances et leurs compétences spécialisées pour permettre à leurs clients de frauder l’État et de se soustraire à leurs obligations fiscales.

Les intermédiaires fiscaux jouent souvent un rôle décisif pour dissimuler des délits fiscaux et d’autres infractions financières commis par leurs clients. Ceux qui facilitent la dissimilation de ces délits mettent en péril l’état de droit et sapent la confiance du public envers le système juridique et financier, ainsi que l’égalité des règles du jeu entre les contribuables respectueux des règles et ceux qui les bafouent. Des scandales fiscaux récents amplement couverts par les médias ont mis en lumière la nature transnationale de ces pratiques, ce qui érode davantage encore la confiance du public dans l’intégrité du système fiscal.

Coopération internationale

« Les intermédiaires fiscaux détiennent souvent la clé de la réussite de la criminalité en col blanc telle que la fraude fiscale, les pots-de-vin et la corruption, qui passe par la protection de l’anonymat et la capacité à brouiller les pistes », a déclaré Grace-Perez Navarro, directrice adjointe du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. « Ils aident des criminels à dissimuler leur identité et leurs activités par le biais de sociétés fictives, de structures juridiques et de transactions financières complexes, en s’appuyant sur leurs connaissances spécialisées et sur un vernis de légitimité. Les travaux en cours de l’OCDE visent à aider les pays à élaborer et à renforcer leurs stratégies nationales et la coopération internationale afin de combattre ces soi-disant professionnels, dont les agissements mettent à mal les recettes publiques, la confiance des citoyens et la croissance économique ».

Stratégies nationales

Le rapport invite les pays à concevoir ou à renforcer leurs stratégies nationales afin de lutter plus efficacement contre les intermédiaires fiscaux. Ces stratégies devraient :

  • veiller à ce que les enquêteurs fiscaux aient les moyens d’identifier les groupes d’intermédiaires fiscaux opérant sur leur territoire, et de déterminer les risques liés à la manière dont ces derniers conçoivent, commercialisent, mettent en œuvre et dissimulent les délits fiscaux et financiers ;
  • veiller à ce que la loi confère aux enquêteurs et procureurs des pouvoirs suffisants pour identifier, poursuivre et sanctionner les intermédiaires fiscaux, dans une optique de dissuasion et de pénalisation ;
  • mettre en œuvre des stratégies pluridisciplinaires de prévention et de neutralisation, notamment en mobilisant les organismes de contrôle, sectoriels et professionnels, en vue de prévenir les pratiques abusives, d’encourager la divulgation rapide et la dénonciation des irrégularités et de mener une action répressive rigoureuse ;
  • veiller à ce que les autorités compétentes mettent spontanément à la disposition d’autres organismes nationaux et internationaux le plus grand nombre d’informations et de renseignements possible et leur confèrent les pouvoirs d’enquête nécessaires pour combattre les intermédiaires fiscaux qui mènent des opérations complexes et transfrontalières ;
  • désigner sur le territoire de compétence un responsable et un organisme chargés de superviser la mise en œuvre de la stratégie, de procéder à un examen de son efficacité dans la durée et d’y apporter des modifications le cas échéant.

Le rapport complet

 

« Nous voulons aider les autorités nationales à lutter contre les intermédiaires de la délinquance fiscale »

Grace Perez-Navarro (Flickr)
Mme Grace Perez-Navarro, directrice adjointe du Centre de Politique et d’Administration fiscales de l’OCDE (Flickr)

 

Questions à Mme Grace Perez-Navarro, directrice adjointe du Centre de Politique et d’Administration fiscales de l’OCDE

Le phénomène des délits fiscaux est devenu tellement massif et banal que même la fiction s’en sert pour créer des personnages à l’image du feuilleton de France 2 « Un si grand soleil » où le personnage d’Alicia Boisseron est actuellement en détention pour ce genre de crimes.

-Les intermédiaires fiscaux qui facilitent la criminalité financière sont-ils si répandus que vous leur consacriez un rapport ?

Les intermédiaires fiscaux qui facilitent la fraude fiscale représentent un petit groupe parmi une majorité de professionnels intègre et qui remplit une mission importante en aidant ses clients à comprendre et à respecter la loi. S’il s’agit d’un groupe assez réduit, ces professionnels mettent tout de même leurs compétences à profit pour donner les moyens à ses clients de frauder l’État et de se soustraire de leurs obligations fiscales. Pendant la dernière décennie les opérations de cette nature ont acquis une dimension politique internationale et nationale de premier plan et ont fait l’objet d’une large couverture médiatique. Ce nouveau rapport a comme objectif d’aider les autorités nationales à lutter contre les activités de ces intermédiaires, qui assistent leurs clients à commettre des actes illégales.

-Que représente cette fraude au niveau national (français) et mondial ?

Si le rapport n’effectue aucune estimation des coûts de la fraude facilitée par les intermédiaires fiscaux, certains exemples, fournis par les pays membres du Groupe d’action en délits fiscaux de l’OCDE, illustrent des dommages de plusieurs millions, voire milliards d’euros. Par exemple, le scandale « cum-ex » d’arbitrage de dividendes, facilité par des intermédiaires, a fait perdre à l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et le Danemark plus de 55 milliards d’euros de recettes fiscales au cours des 15 dernières années.

-Bien souvent, les professionnels du chiffre (notaires, experts-comptables, avocats fiscalistes etc.) utilisent les subtilités juridiques du droit pour favoriser l’optimisation fiscale de leurs clients. Sont-ils pour autant hors la loi ?

La délinquance fiscale est illégale par hypothèse et les professionnels qui sciemment aident ou facilitent sa consommation sont des complices du délit. Ceci est le cas dans la plupart des pays, y compris en France. La différence entre la plupart des professionnels et les intermédiaires fiscaux ciblés par ce rapport se trouve dans le fait que ces derniers conçoivent des stratégies manifestement illégales et interdites. L’emploi des zones grises du droit, bien que critiquable, est légal tant qu’il n’est pas interdit par la législation pénale. Le OCDE s’attaque au problème de l’optimisation fiscale à travers le projet contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

-Le rapport de l’OCDE que vous cosignez préconise une série de mesures pour lutter contre les intermédiaires fiscaux fraudeurs. Quelle est la principale sachant que le phénomène est, par définition, international et que la coopération judiciaire n’est pas très efficace ?

Le rapport recommande une série de contre-stratégies pour lutter contre les intermédiaires fiscaux dans le domaine national. En effet, s’attaquer aux intermédiaires nécessitera souvent une coopération multi-agences et un cadre pour des échanges de renseignements effectifs, y compris avec les ordres et les conseils déontologiques des professions concernées. Concernant la coopération internationale, le dialogue d’Oslo, engagé par l’OCDE, préconise des échanges de renseignements entre les diverses autorités nationales pour empêcher, détecter et poursuivre en justice les criminels et recouvrer le produit de leurs activités illicites.

Bien évidemment qu’il reste du travail à faire, mais si on prend les programmes de divulgation volontaire mis en place entre 2009 et 2019, les pays ont pu identifier plus de 100 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Ceci peut s’expliquer en grande partie par le fait que la coopération internationale est de plus en plus efficace, d’où que cacher sa fortune dans un pays tiers soit désormais plus difficile que jamais.

– Quelle est l’importance des cryptomonnaies dans les montages financiers abusifs actuels et surtout depuis la pandémie de COVID-19 ?

Le rôle des cryptomonnaies dans les montages financiers abusifs, a déjà été mis en évidence par le Groupe d’action financière internationale (GAFI), dont l’OCDE est membre observateur. De plus, nous travaillons en ce moment, en concertation avec les pays membres, pour établir des normes d’échange de renseignements en matière fiscale sur les cryptomonnaies.

En ce qui concerne le rapport, nous appelons les pays à rester en garde en particulier face à l’emploi de services de mixage de cryptoactifs. Il s’agit d’outils très efficaces pour empêcher de tracer la transaction originale, d’où leur popularité parmi les intermédiaires de blanchiment de capitaux. Aux Pays-Bas, par exemple, un tel service de mixage a permis le blanchiment de plus de 27 000 bitcoins en 2019, soit 200 millions de dollars américains à l’époque, avant d’être bloqué par les autorités.

– Où en est la France concernant les référents formés pour détecter les montages illégaux et former leurs collègues ?

Nous travaillons côte à côte avec la France dans la lutte contre la délinquance fiscale, y compris contre les intermédiaires. En France, la loi 2018-898, du 23 octobre 2018, a introduit une nouvelle amende fiscale et des sanctions administratives pour les intermédiaires qui favorisent les manquements graves des contribuables à leurs obligations. De même, le Parquet français est très actif en ce qui concerne l’ouverture d’enquêtes pénales contre les intermédiaires fiscaux, et la justice a condamné des avocats et des institutions financières pour avoir participé à l’organisation de montages illégaux.

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