Cyril Tarquinio, Université de Lorraine et Camille Louise Tarquinio, Université de Lorraine
Le masque s’est imposé dans l’environnement social comme un moyen de se protéger du COVID-19. Mais son port entrave tout un pan de la communication humaine non-verbale.
Les mimiques, les expressions faciales – alliées susceptibles de permettre des ajustements dans l’interaction – s’effacent sous le tissu. Seuls les yeux et le front accompagnent alors le processus de communication. Nous devons ainsi nous défaire d’un élément majeur du non-verbal, notre sourire.
Or, la recherche a depuis longtemps mis en évidence son importance dans le processus de séduction.
A mesure qu’avance l’été, période propice aux rencontres amoureuses, nous sommes aussi de plus en plus masqués. Comment séduire dans ces conditions ? Et au-delà, pouvons-nous nous passer de sourire ?
Un sourire ravageur
En latin, seducere signifie « tirer de côté, déplacer, écarter du chemin initial ». Dans l’hébreu biblique, quand Ève impute au serpent de l’avoir séduite, elle dit : « Il m’a levée » ou soulevée ; en somme, il l’a amenée à se décoller de sa posture initiale.
Cela suffit à indiquer qu’il y a chez tout un chacun un désir d’être séduit, c’est-à-dire d’être déplacé parfois très peu du chemin de sa routine ; un désir d’être mis en mouvement.
En septembre 2012, dans le magazine InStyle, Julia Roberts attribuait l’éclat de son sourire à son habitude de se laver les dents avec du bicarbonate de soude.
C’est pourtant un autre secret qu’ont découvert l’universitaire Vasiliki Koidou et ses collègues : la ligne reliant le bas de ses canines est presque parallèle à celle joignant le centre de ses pupilles.
Si le sourire est jugé plus beau quand cet angle est faible, ce serait parce que le visage est alors plus symétrique, sans doute parce que dans les théories de l’évolution la symétrie faciale peut être considérée comme est un signe de bonne santé (pas maladie, d’anomalies génétiques de perturbations dans le processus de développement).
D’autres travaux ont par ailleurs montré que le nombre de dents exposé par le sourire était également un paramètre susceptible de rendre plus attractif le sourire d’une personne. C’est ce qu’ont montré par exemple Sulieman Al-Johany et ses collègues en 2011.
Il existe ainsi une différence significative entre les célébrités et les autres, les célébrités étant plus nombreuses à montrer 12 dents lorsqu’elles sourient.
Ces données ont été corroborées par les conclusions de Pedro Oliveira et ses co-auteurs, qui ont indiqué que le fait de montrer 12 dents (contre 10 ou 8 en moyenne chez le tout-venant) était une caractéristique des sourires les plus attrayants.
Faut-il sourire ?
Le simple fait de sourire semble conduire à affecter bien d’autres dimensions comme la beauté du visage. Une équipe de chercheurs a pris des photos d’hommes et de femmes de différents âges obtenues dans une condition de demande de sourire ou de non-sourire.
Lorsqu’il y avait sourire, on a demandé aux personnes de prendre trois types de poses : sourire fermé (étirement des lèvres sans ouverture de la bouche), sourire haut (lèvres tirées mais ouverture de la lèvre du haut dévoilant les dents supérieures) et sourire large (lèvres étirées et dents supérieures et inférieures dévoilées).
Ces personnes étaient ensuite évaluées par d’autres hommes et femmes en termes d’intelligence, de gentillesse, de caractère heureux, d’extraversion, de sympathie, de soumission et d’ambition et, enfin, d’attrait physique. Pour cette dernière dimension, les résultats furent les suivants :
La simple présence du sourire suffit à accroître l’attrait de la personne mais on constate également que, au fur et à mesure que le sourire s’élargit, la même personne est évaluée plus positivement.
Le sourire embellit donc bien le visage et conduit même à considérer que la personne en question est plus heureuse. En outre, il n’affecte pas que cette dimension puisque ces mêmes chercheurs ont observé que la personne était considérée comme plus gentille, possédant un caractère plus agréable, plus extraverti, plus sympathique… avec le sourire.
Quand sourire rime avec beauté et compétences
L’ensemble des évaluations s’accroît au fur et à mesure que le sourire devient plus large. Un article scientifique de 1990 a retrouvé ces résultats en montrant qu’une même personne (homme ou femme) qui sourit était perçue comme plus attrayante physiquement mais également plus sociable, plus indépendante et plus compétente.
En outre, leur recherche a montré que le lien entre le sourire et l’évaluation de l’attrait était très élevé. En revanche dans cette même étude les auteurs montrent que les personnes souriantes étaient perçues comme plus féminines et moins autonomes.
À n’en pas douter le sourire semble renforcer l’attrait. Mais cela se vérifie plus chez les femmes que chez les hommes, ainsi que l’ont montré deux groupes de chercheurs ayant examiné des photographies de promotions d’étudiants.
Dans les deux études, les auteurs montrent clairement que, quel que soit le type de circonstance de pose photographique, les hommes sourient moins fréquemment que les femmes. De plus, les femmes tendent également à plus recourir au sourire large que les hommes comme le montrent les travaux de Piotr Szarota.
Un sourire genré
On pourrait penser que le sourire devient un comportement prototypique du sexe féminin au fur et à mesure du développement. Ainsi, le sourire serait « genré » et ferait en quelque sorte partie de manière plus marqué des attributs des femmes.
C’est ce que semble montrer une étude de 1999 dans laquelle les chercheurs ont observé et évalué les sourires des élèves en fonction de leur année scolaire (nous avons retraduit les « années scolaires » du système américain en âge pour plus de lisibilité dans la Fig. 4).
Si au départ on trouve un taux de sourire identique entre les deux sexes dans les photos de classe, c’est à partir de l’âge de 9 à 12 ans que les différences significatives apparaissent entre les garçons et les filles
Or, c’est à cet âge que les conduites et apprentissages de séduction entre les garçons et les filles se développent et se renforcent. Le sourire apparaît donc bien ici comme un marqueur psychosocial de la différence entre les sexes.
Le sourire nous influence-t-il ?
Si le sourire est susceptible de nous embellir, on sait aussi que cela affecte le comportement de celui qui en est la cible. On a pu montrer que le sourire conduisait à apporter plus facilement son aide à quelqu’un comme de l’aider à trouver une lentille de contact qu’il avait prétendument perdue, ou de donner une direction.
On a également montré qu’une serveuse souriante recevait plus de pourboires. Le sourire semble toutefois beaucoup plus bénéficier aux femmes.
Dans une recherche de Nicolas Guéguen et Jacques Fischer-Lokou, des compères, garçons et filles de 20 ou 21 ans, d’attrait physique jugé moyen, faisaient de l’auto-stop en regardant le conducteur dans les yeux.
Selon le cas, ils ou elles souriaient au conducteur. On mesurait alors le taux d’arrêt. Huit cents conducteurs hommes et femmes ont été testés dans les différentes conditions. L’analyse a montré que, lorsque les autostoppeurs étaient des femmes souriantes, les automobilistes s’arrêtaient plus souvent, ce qui n’est pas le cas lorsque les autostoppeurs sont des hommes.
Une étude déjà ancienne montre qu’une serveuse de bar qui, au moment où elle remet une boisson au client, dispense le sourire minimal (mouvement des lèvres mais pas de mise en évidence des dents) ou un large sourire (sourire avec dents largement découvertes) voit ses pourboires varier.
Un large sourire augmente ses revenus mais cet effet est surtout lié aux comportements des hommes qui sont servis. Si cette tendance s’observe aussi chez les femmes, elle est bien moins flagrante que chez les hommes. Ces derniers auraient même tendance à se rapprocher de la femme qui leur sourit… dans les ascenseurs.
Interprétations erronées
Pour d’autres chercheurs, lors d’interactions entre hommes et femmes, le fait que les hommes abordent plus facilement les femmes qui leur sourient proviendrait du fait qu’ils interprètent cela comme un plus fort désir de leur part qu’il ne l’est en réalité.
Ainsi, de nombreux hommes interprètent les comportements amicaux des femmes comme des tentatives de séduction alors que les femmes interprètent ces signes comme des signes simplement amicaux.
Cette distorsion de l’interprétation de ces signes pourrait donc expliquer pourquoi les hommes s’intéressent plus à une femme qui leur a souri ou pourquoi ils vont alors plus souvent faire des tentatives pour rentrer en contact avec elles.
De plus on sait que le sourire embellit la personne qui l’affiche, surtout s’il est symétrique. Or, les hommes sont très sensibles, beaucoup plus que les femmes à l’effet de l’apparence physique, notamment des visages comme cela a été indiqué.
Jouer sur d’autres atouts que le sourire
Mais le sourire n’est qu’une dimension de la séduction. Il existe bien d’autres signaux qui vont entrer dans l’équation de la séduction afin de faire comprendre au partenaire qui nous approche qu’il est le bienvenu ou non.
On trouve par exemple, le regard soutenu, le geste désinvolte tout en regardant l’autre dans les yeux… En ce qui concerne le regard, c’est aussi un comportement utilisé par les hommes qui veulent séduire ou se rapprocher d’un·e partenaire.
Ainsi, notre été est peut être sauvé car même si notre sourire de séducteur/trice sera cette année caché par le masque, rien n’est perdu, car nous pouvons faire nos « yeux de velours » pour attirer l’autre, que nous soyons un homme ou une femme.
A défaut de sourires éclatants qui laisseraient paraître au moins dix de vos plus belles dents, multiplier les contacts visuels, dodeliner la tête ou incliner votre tête du côté semblerait tout aussi bien fonctionner.
Cyril Tarquinio, Professeur en psychologie, Université de Lorraine et Camille Louise Tarquinio, Doctorante en Psychologie, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.