Nicolas Authier, Université Clermont Auvergne
Tout le monde connaît le paracétamol, et pour cause : il s’agit du médicament le plus vendu en France. Plus de 200 spécialités pharmaceutiques en contiennent, qu’elles soient à visée antidouleur ou dédiées à la lutte contre la fièvre, à destination des adultes ou des enfants.
Ce que l’on sait moins, c’est que le paracétamol est aussi la première cause de greffe de foie d’origine médicamenteuse. Ce risque est rare, mais il est grave, puisque potentiellement fatal.
En raison de l’importance de l’usage de cette molécule, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) vient de demander aux laboratoires concernés de modifier les boîtes de médicaments contenant du paracétamol pour y faire figurer des messages d’alerte.
Un avertissement à destination des patients comme du personnel soignant.
Premier médicament consommé par les Français
En 2018, une étude de l’ANSM rapportait que les ventes de paracétamol seul, dans ses formes pour adultes, avaient augmenté de 140 % entre 2004 et 2015. Les ventes de formes associant du paracétamol à du tramadol ou de la codéine ont aussi augmentée respectivement de 62 % et 42 % sur cette période.
D’après l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA), en 2018, plus d’un Français sur deux a reçu au moins une ordonnance remboursée d’une spécialité pharmaceutique de paracétamol seul. Avec un âge moyen de 42 ans, ces délivrances concernaient des femmes dans 56 % des cas.
On constate par ailleurs que le nombre d’ordonnances de paracétamol délivrées augmente avec l’âge des patients, de 2 délivrances annuelles chez les 25-44 ans à plus de cinq délivrances chez les plus de 85 ans.
Le paracétamol est aussi très prescrit chez les enfants, 20 % des prescriptions concernant les moins de 14 ans. Il est probablement très utilisé dans le traitement de la fièvre occasionnée par les diverses infections infantiles. 78 % de ces prescriptions sont rédigées par des médecins de ville en exercice libéral. Les trois premières spécialités médicales impliquées sont les médecins généralistes (89,5 % des prescriptions), les chirurgiens-dentistes (3 %) et les pédiatres (2,7 %).
Attention au paracétamol « caché », source de surdosage
Malgré cette utilisation très répandue, le centre de pharmacovigilance de Nancy a montré que seul 14 % des patients connaissent le risque de toxicité hépatique du paracétamol.
Par ailleurs, des patients ignorent parfois certaines consommations de paracétamol. Il peut en effet arriver qu’ils méconnaissent la présence de paracétamol dans des médicaments portant un nom commercial (ou dit « de fantaisie »), par exemple le Doliprane, le Dafalgan ou l’Efferalgan, lesquels sont disponibles en automédication ou sur ordonnance.
Soit parce qu’ils bénéficient de la prescription de spécialités pharmaceutiques comprenant plusieurs substances dont du paracétamol à visée antalgique par exemple dans des antidouleurs comprenant de la codéine (Codoliprane, Dafalgan Codéiné, Klipal…), du tramadol (Ixprim, Zaldiar…) ou de la poudre d’opium (Lamaline, Izalgi).
Cette méconnaissance se traduit par un risque d’association de médicaments contenant du paracétamol et donc un risque de surdosage non intentionnel. Or les conséquences peuvent être dramatiques.
Un message d’alerte obligatoire sur les boîtes de paracétamol
Un surdosage avéré ou une suspicion de surdosage en paracétamol est une urgence médicale. Souvent asymtomatique dans les premières heures, il peut évoluer vers une défaillance de multiples organes et tissus comme les reins, le cerveau en plus du foie.
Il nécessite une hospitalisation pour mettre en œuvre un traitement par N-acétyl-cystéine qui neutralise la toxicité du produit de dégradation du paracétamol fabriqué en trop grande quantité. En l’absence de traitement ou d’une prise en charge trop tardive, la destruction du foie est irréversible en quelques jours et peut engager le pronostic vital si aucune greffe de foie n’est envisageable.
Afin de déterminer le message d’alerte le plus approprié à faire figurer sur les boîtes, pour prévenir de ce risque hépatique en cas de surdosage, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avait lancé en septembre 2018 une consultation publique. Près de 2 300 personnes y ont participé à la consultation de l’ANSM, dont 75 % de particuliers. 97 % des personnes se sont ainsi déclarées favorables à l’ajout d’un message d’alerte sur le risque hépatique sur la face avant des boîtes. « Surdosage = danger » est le message retenu par 85 % des participants.
Suite à ces travaux, qui confirment la nécessité de mieux informer les patients sur les risques liés au surdosage en paracétamol, les laboratoires devront modifier les boîtes de médicaments contenant du paracétamol afin d’y apposer ce message d’alerte. Ils auront 9 mois pour le faire.
Les règles essentielles de bon usage du paracétamol
Contre les douleurs aiguës légères à modérées, ou contre la fièvre, le paracétamol reste malgré tout le médicament à utiliser en première intention, y compris pendant la grossesse.
En automédication, pour limiter les risques d’effet indésirable, les règles essentielles de bon usage du paracétamol sont simples :
- commencer avec une prise de 500 mg,
- espacer les prises d’au moins 4 à 6 h,
- ne jamais dépasser 3 grammes par jour,
- ne pas allonger la durée de traitement en automédication au-delà de 5 jours.
L’absence d’effet contre la douleur ou la fièvre ne doit pas aboutir à une augmentation de la dose par prise ou quotidienne, ni au rapprochement des prises. En cas d’inefficacité constatée dans les trois premiers jours de traitement, il faut consulter un médecin, un dentiste ou un pédiatre.
Par ailleurs, comme le rappelle le réseau des centres de pharmacovigilance, certaines personnes ont un risque plus important de faire des effets indésirables ou un surdosage involontaire. C’est par exemple le cas des personnes âgées, des personnes dénutries ou déshydratées, des personnes ayant une maladie du foie ou consommant de l’alcool régulièrement, ainsi que des personnes ayant une insuffisance rénale sévère. Chez ces patients, l’intervalle entre deux prises doit être allongé et la dose journalière diminuée.
Ce message d’alerte sur le risque de surdosage étant indiqué sur les boîtes de médicaments contenant du paracétamol, seul ou en association, il faudra encourager les patients lors de leur délivrance en pharmacie de ne pas les déconditionner en jetant les boîtes et les notices associées.
Enfin, les parents doivent être vigilants à ne pas mélanger la pipette utilisée pour administrer les solutions buvables de paracétamol avec celles d’autres médicaments comme l’ibuprofène ou avec celle de certains antibiotiques, afin d’éviter tout risque de mauvais dosage.
Nicolas Authier, Médecin psychiatre, professeur des universités-praticien hospitalier, U1107 Inserm/UCA, Université Clermont Auvergne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.