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Police, une remise en question nécessaire de l’organisation et du management

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Policiers sur le qui-vive avant une manifestation (juin 2008).
Roman Bonnefoy/Wikimedia, CC BY-SA

Pierre-Yves Sanséau, Grenoble École de Management (GEM) et Mathieu Molines, Ecole Supérieure de Commerce Extérieur – ESCE

Comme l’expliquait dès 1996 le sociologue Dominique Monjardet dans son ouvrage de référence, l’organisation policière a toutes les apparences et tous les traits formels de la bureaucratie, à savoir un haut degré de centralisation, une hiérarchie très marquée et une forte spécialisation. Elle est, par ailleurs, marquée par un socle juridique important. Les moyens et les missions des policiers sont très encadrés.

Néanmoins, comme le souligne encore Dominique Monjardet, l’organisation policière est avant tout marquée par la considérable autonomie opérationnelle des policiers et de leur encadrement sur le terrain. Celle-ci s’explique du fait de l’impossibilité de prescrire un travail essentiellement déterminé par le traitement d’évènements caractérisés par l’urgence, l’imprévisibilité et la singularité.

Dans les faits, cela se traduit par un processus de sélection informel et constant des tâches, lié au mode opératoire du travail policier. Dès lors, plusieurs problèmes émergent de cette contradiction entre les principes de la bureaucratie et l’essence même du métier de policier qui nécessite de la réactivité et de la souplesse.

Les trois dimensions du management dans la police

De cette tension entre organisation bureaucratique et nécessité de réactivité émerge un style de management renforçant le stress chez les policiers qui se caractérise autour de trois dimensions.

La première dimension consiste en l’application d’un modèle uniforme et autoritaire de management sur l’ensemble du territoire national. Ce style de management, qui découle de la structure bureaucratique, s’avère totalement inadapté sur le terrain. En effet, il ne reconnaît pas l’autonomie et la latitude décisionnelle des policiers sur le terrain. Cette situation place ainsi la hiérarchie en position d’imposer à ses collaborateurs des injonctions parfois contradictoires qui se traduisent par la transmission d’ordres irréalistes ou mal adaptés à la situation et qui la décrédibilise sur le terrain.

Deuxième dimension, si la hiérarchie a peu d’influence sur l’action, elle conserve un pouvoir important dans le cadre administratif. Elle garde ainsi la main sur une multitude d’éléments indispensables comme la gestion des relations avec la justice, les budgets ou encore le matériel. Elle a également le pouvoir de récompenser les membres de l’équipe. Mais comment juger et exercer un contrôle sans avoir de prise sur les éléments ? Ce manque de cohérence et ce sentiment de devoir constamment prouver son travail contribuent à épuiser les policiers. Ces éléments posent des questions sur le pouvoir et l’influence de la hiérarchie dans le modèle bureaucratique policier et rendent incompatibles un management de type autoritaire ou très directif.

La troisième dimension renvoie à ce que l’on appelle communément « la politique du chiffre ». Comme l’explique le sociologue Laurent Mucchielli, la performance policière est ainsi, en grande partie, évaluée sur la base de la statistique policière, c’est-à-dire sur un compteur administratif de l’activité policière que les policiers remplissent eux-mêmes et qu’ils font remonter ensuite tout le long de la hiérarchie. Dans ce système, la priorité est donnée à l’évaluation chiffrée qui conduit à privilégier la quantité aux dépens de la qualité. En effet, par définition, un tel système engendre la soumission à la hiérarchie et les arrangements divers avec la réalité.

Des pistes de solution

C’est pourquoi nous recommandons à l’institution policière de focaliser ces efforts sur le développement de climats de travail sains et positifs afin de réduire les effets négatifs de l’environnement de travail. En d’autres termes, il est important que l’institution se réforme en profondeur dans son fonctionnement.

En effet, dans la configuration actuelle, l’allocation de ressources supplémentaires en personnels et en matériels, l’allégement des tâches administratives visés, par exemple, par le projet de police de sécurité du quotidien annoncé le gouvernement français le 8 février 2018, ne permettraient probablement pas de diminuer efficacement le stress et d’améliorer la performance car les facteurs organisationnels de stress sont trop importants.

L’institution policière devrait aussi travailler à aplanir sa structure organisationnelle et proposer un style de management cohérent avec la réalité du terrain.

Une autre mesure consisterait à élargir et à sensibiliser les managers policiers au concept de leadership afin d’inclure une prise de conscience des dynamiques de groupe. Ainsi, le manager doit s’adresser à l’équipe dans son ensemble, au lieu de se concentrer sur la motivation et l’autonomisation des individus. Les programmes de management devraient ainsi davantage se tourner vers la dynamique du groupe plutôt que le développement individuel.

L’institution policière doit encourager les managers à développer un management homogène avec les membres de l’équipe. Il doit agir de manière uniforme et cohérente avec l’ensemble de ses collaborateurs et également transmettre les valeurs de l’organisation au-delà des stéréotypes de l’organisation policière.

Il pourrait également être intéressant de donner au supérieur hiérarchique davantage de latitude dans le choix des membres de son équipe. Il doit être ainsi en mesure de choisir les subordonnés avec qui il souhaite travailler et pouvoir construire une relation durable avec eux.

Une police happée par les tâches administratives.
Dickelbers/Wikimedia, CC BY-SA

Par ailleurs, nous suggérons de favoriser plus généralement les programmes de formation communs. L’organisation doit ainsi encourager au maximum les interactions entre les individus. Il s’agit d’essayer de développer une culture basée sur une communication bidirectionnelle. Les interactions de groupe doivent favoriser l’homogénéité. La mise en place de programmes de « team building » comme « le policier du mois », qui existe dans le contexte anglo-saxon, peuvent améliorer le moral du groupe et favoriser le développement de bonnes relations.

De la même manière, l’organisation doit essayer de formaliser des procédures afin d’inciter les supérieurs hiérarchiques à tenir des réunions d’équipe régulièrement.

The ConversationCes quelques propositions visent à inciter l’institution policière à adopter une approche plus humaine et plus « managériale » de l’organisation policière, davantage axée sur la compréhension des attitudes et des comportements dans l’organisation au travers de l’étude des processus psychologiques et des perceptions de l’environnement des policiers. C’est en remettant le policier, et plus particulièrement le supérieur hiérarchique, au cœur du contexte organisationnel que la police gagnera en efficacité.

Pierre-Yves Sanséau, Professeur de Gestion des Ressources Humaines, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-être au travail et Paix Economique à Grenoble Ecole de Management, Grenoble École de Management (GEM) et Mathieu Molines, Professeur assistant en Comportement Organisationnel, Ecole Supérieure de Commerce Extérieur – ESCE

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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