Point-de-vue. Qu’est-ce que l’article 40 de la Constitution qui pourrait faire capoter la proposition de loi du groupe LIOT visant à supprimer le recul de l’âge de départ à la retraite ? Ancien secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert nous explique.
Par Christian Eckert
Le débat fait rage sur l’application de l’article 40 à la proposition de loi devant être examinée le 8 juin prochain visant à abroger le recul de l’âge de départ en retraite. Ancien député, membre de la commission des finances, ancien rapporteur du Budget de ladite commission, ancien secrétaire d’État en charge du Budget, j’ose m’exprimer sur le sujet.
Un exemple de subtilité juridique
L’article 40 de la constitution stipule que : « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
Cet article normalement connu des parlementaires est pointé dans tous les cours de droit comme un exemple des subtilités à connaitre. L’utilisation du singulier et du pluriel est ici essentielle :
- Ainsi, les parlementaires peuvent agir sur les ressources sans GLOBALEMENT les baisser. Ils peuvent par exemple diminuer un impôt, mais doivent alors simultanément augmenter à due concurrence une autre recette !
- Par contre, ils ne peuvent pas augmenter une dépense, même s’ils proposent de compenser cet alourdissement par une économie ailleurs ou par une recette nouvelle. (Une dérogation est maintenant possible dans une même mission, c’est-à-dire entre dépenses très proches).
Une véritable République parlementaire
Cette exigence restreint considérablement les pouvoirs du Parlement et mérite (entre autres choses) d’être supprimée dans une prochaine réforme constitutionnelle, pour assurer une véritable République parlementaire.
Il semble que les élus de la minorité macronienne souhaitent que le texte du groupe LIOT (le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires, a été créé le 28 juin 2022 et compte 20 membres) soit rejeté au nom de ce principe.
L’article 40 est clair et porte sur les propositions de loi comme sur les amendements. La proposition de loi doit donc respecter l’article 40.
Le règlement de l’Assemblée (détaillé ici) stipule que la recevabilité doit être examinée préalablement au dépôt du texte par le bureau de l’Assemblée. Celui-ci, sur ce dossier, n’a pas soulevé de problème concernant l’article 40.
Le règlement prévoit aussi que : « Les dispositions de l’article 40 de la Constitution peuvent être opposées « à tout moment » au cours de la procédure législative, par le Gouvernement ou par tout député, aux propositions, y compris celles qui auraient été préalablement déclarées recevables par le Bureau de l’Assemblée ».
C’est semble-t-il l’intention des macroniens.
Mais qui statue alors ?
L’alinéa 4 de l’article 89 du règlement de l’Assemblée Nationale est un peu flou :
« Les dispositions de l’article 40 de la Constitution peuvent être opposées à tout moment aux propositions de loi et aux amendements, ainsi qu’aux modifications apportées par les commissions aux textes dont elles sont saisies, par le Gouvernement ou par tout député. L’irrecevabilité est appréciée par le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet. »
Le Président de commission est LFI, le rapporteur général est Renaissance. Gloups…
Ramener l’âge de départ à 62 ans augmente incontestablement une dépense publique par rapport à la nouvelle loi votée par 49.3.
Il est pour autant inconcevable, sur ce sujet, d’empêcher un vote sur une question qui frappe des millions de Français, choqués en plus par la méthode d’adoption jalonnée d’arguties juridiques.
Les Macroniens oseraient ici en faire une autre, pour empêcher encore une fois le Parlement de s’exprimer ? Le reste de confiance entre le peuple et ses représentants n’y survivra pas. Les Milliards en jeu sur ce dossier ne justifient en rien cet entêtement présidentiel, qui révèle plus un regrettable trait de caractère que la qualité d’un homme d’État.