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Le dialogue social enterré ou mis entre parenthèses ?

Point-de-vue.  Les représentants du personnel  ont-ils encore un rôle à jouer dans les entreprises ? Laurent Paté, avocat spécialiste en droit du travail et de la protection sociale, s’interroge après les nouvelles dispositions prises par le gouvernement.

Me Laurent Paté
Me Laurent Paté

Par Laurent Paté

En cette période inédite et stupéfiante, le gouvernement devait-il mettre entre parenthèses le rôle des représentants du personnel dans l’entreprise ?
Le comité social et économique doit être consulté par le chef d’entreprise sur toutes les questions affectant la situation économique et financière de l’entreprise mais aussi la politique sociale, la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés.
La consultation des représentants du personnel passe par un échange d’informations, un dialogue, qui précèdent nécessairement la décision du chef d’entreprise, sinon elle ne sert à rien.
Avec l’Ordonnance n° 2020-323 du 25 mars dernier, le Gouvernement autorise les entreprises à prendre des mesures qui dérogent aux conventions collectives et aux accords d’entreprise sur la prise des congés payés et même à des règle d’ordre public s’agissant des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail (jusqu’à 12 heures par jour et 60 heures par semaine ) pour les entreprises « relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation et à la continuité de la vie économique et sociale ».
Nous voyons tous quotidiennement, dans quelles conditions de très grande précarité sanitaire, faute des moyens élémentaires de protection, nos concitoyens œuvrent avec un dévouement qui force l’admiration.

La voix des travailleurs

Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, les représentants du personnel exercent leur rôle avec la conscience accrue de leurs compétences et de leurs responsabilités. Plus que jamais ils sont le relai, le pont, entre des salariés isolés et inquiets et leurs directions, à la recherche du plus juste équilibre entre la protection de la santé et les « nécessités du service » comme on dit dans la fonction publique.
Associer les partenaires sociaux aux décisions graves qui affectent la santé des salariés, leur sécurité dans la vie des entreprises aujourd’hui, renvoie à ce qui fonde notre dialogue social : entendre la voix des travailleurs.
Les employeurs ne s’y trompent pas, les services RH sont mobilisés et les réunions s’enchainent avec le recours à la visioconférence, à la conférence téléphonique et la messagerie instantanée qu’autorise l’ordonnance du 2 avril dernier (article 6) ; les partenaires sociaux sont au travail.

Changement de paradigme

Alors pourquoi le Gouvernement, dans la même ordonnance du 2 avril, a-t-il déjà modifié son ordonnance du 25 mars pour autoriser les chefs d’entreprise qui voudraient déroger au droit des congés payés ou à la durée légale du travail, à ne plus consulter les élus du personnel ?
C’est un changement de paradigme : l’on passe de : « j’envisage de prendre la décision d’augmenter la durée quotidienne du travail pour la passer à 12 h dans tel service, qu’en pensez-vous ? » à : « je vous informe que j’ai décidé que l’on travaillera 12H dans tel service et vous me direz plus tard ce que vous en avez pensé ». L’on passe de la consultation à une simple information préalable.
Comment comprendre cette régression à l’heure où le dialogue social a une place éminente dans les choix d’organisation de l’entreprise pour assurer au mieux « la vie économique et sociale de la nation » ? Le gouvernement voudrait démontrer un peu plus que les comités sociaux et économiques ne … servent à rien, qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

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