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Retraites : En Marche vers la dictature…

Point-de-vue. Dans ce nouvel article sur la réforme des retraites, l’ancien secrétaire d’Etat au Budget, constate que  » le gouvernement piétine gravement la démocratie parlementaire » et que si elle doit être « améliorée, elle ne doit pas être dévoyée. »

Christian Eckert, ancien secrétaire d'Etat au Budget (DR)
Christian Eckert, ancien secrétaire d’Etat au Budget (DR)

par Christian Eckert

Le rôle du Parlement est souvent un sujet de conversation lors des repas de famille… J’ai eu l’honneur de siéger sept ans comme député à l’Assemblée Nationale. Sans prétention, mais avec conviction, je m’emploie à décrire avec précision son utilité. Un livre entier n’y suffirait sans doute pas. Mais au moment où on aborde le dossier fondamental des retraites, il faut connaître quelques règles importantes pour comprendre les exactions envisagées par Emmanuel Macron.
Contrairement aux idées reçues, c’est le Parlement qui décide de la loi et lui seul. Certes, la plupart du temps le gouvernement est issu de la majorité parlementaire, mais la nuance s’est souvent manifestée bruyamment. Le gouvernement prépare les textes de loi et les soumet au Parlement. Ce dernier peut les modifier (par des amendements) lors de leur examen. Il décide ensuite d’adopter ou de rejeter le texte issu de ses travaux. Enfin, le Conseil Constitutionnel décide seul et sans appel de valider ou d’annuler les dispositions adoptées.

Mais d’autres aspects sont déterminants

La précision des mots et la rédaction des textes peuvent se révéler essentielles. La présence ou le choix d’un adverbe peut bouleverser les sens d’un texte. Par exemple, lorsque le Parlement a souhaité lutter contre la fraude fiscale, il a voulu interdire les montages « essentiellement, principalement, notoirement, exclusivement ou possiblement » à but d’optimisation fiscale. Mettre ou pas un de ces adverbe et le choisir a fait l’objet de discussions sans fin… In fine, le Conseil Constitutionnel a tout annulé, considérant le terme « montage » trop vague pour figurer dans la loi ! Quand on est parlementaire, on n’est pas juriste, on le devient… On a même parfois intérêt à être linguiste…

Le Parlement ne peut pour autant pas écrire des textes si précis qu’il faudrait des mois pour qu’il les finalise. Ainsi, il se contente de fixer des principes dans la loi et renvoie souvent les détails à des décrets qui précisent les modalités d’application. Prenons un exemple : on veut majorer des aides de l’Etat au tiers des foyers les plus pauvres. On écrira dans la loi qu’un décret d’application fixera le détail des modes de calculs pour choisir les foyers éligibles. C’est le gouvernement qui prendra le décret. Ce point est important car si les décrets d’applications ne sont pas pris, la loi ne pourra pas être appliquée… De même, il faut être sûr que le décret sera efficace pour satisfaire la volonté du législateur. Nombreux sont les exemples où l’absence de décret ou le choix de leur contenu ont permis aux gouvernements de contourner ou même de trahir la volonté du législateur…

Par ordonnances

Pire encore, on peut décider de légiférer par ordonnances. Souvent, cette procédure est (faussement) utilisée pour répondre à l’urgence d’adopter un texte. Le gouvernement introduit alors dans un projet de loi, un article qui « autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance » sur un sujet qu’il décrit plus ou moins précisément. Une fois l’article adopté, il est « habilité » à écrire seul la loi sur ce thème. Il doit s’engager aussi à faire « ratifier » le texte par le Parlement à postériori dans un délai raisonnable. C’est là souvent une façon de court-circuiter le Parlement, d’empêcher le débat public et d’imposer sa volonté sans aucune modification… Sur le dossier des retraites, le gouvernement demande au Parlement l’autorisation de créer ou modifier par ordonnance l’âge pivot ou l’âge d’équilibre. C’est évidemment un point majeur…ET SCANDALEUX…

Mauvaise façon de réformer

Le Conseil d’Etat doit être saisi sur tous les projets de loi. Il est chargé de donner un avis sur la conformité des projets de loi. En clair, il s’assure de la cohérence du texte lui-même, de sa clarté et de son applicabilité, de sa compatibilité avec les textes existants… Il donne aussi un avis sur sa constitutionnalité. Un simple avis car seul le Conseil Constitutionnel en décidera à la fin. En l’occurrence, le Conseil d’Etat a été exceptionnellement sévère avec le projet de loi. Outre la méthode et le temps donné pour l’étudier, il a dénoncé l’indigence des éléments chiffrés de l’étude d’impact. Cela pourrait conduire d’ailleurs le Parlement à saisir le Conseil Constitutionnel sur la base de l’incompétence négative : comment statuer sur un texte qui ne décrit pas ses effets financiers et que le Gouvernement se réserve le droit de modifier par ordonnances après le vote et la concertation syndicale qui a déjà duré deux ans et qu’il renouvelle en catastrophe ces prochaines semaines !

Indépendamment du fond, sur lequel j’ai déjà beaucoup écrit, y compris avec Guillaume Duval dans « Le Monde » avec une tribune qui faisait des propositions, ce dossier des retraites est l’archétype de la mauvaise façon de réformer. En plus de détruire un modèle qui peut être toiletté et amélioré sans révolution sociale, le gouvernement piétine gravement la démocratie parlementaire qui n’a vraiment pas besoin de cela. Elle a parfois mal fonctionné, même avant ce Gouvernement. Elle aussi doit être améliorée. Pas dévoyée.

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