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Darmanin, le coucou peu reconnaissant. Dommage…

Prélèvement à la source (photo services de Bercy)
Prélèvement à la source (photo services de Bercy)

Point-de-vue.  L’ancien secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert, s’étonne que le gouvernement actuel s’approprie la réforme du prélèvement à la source.

Par Christian Eckert

Monsieur le ministre Darmanin multiplie les déclarations sur les bienfaits du prélèvement à la source. J’ai failli m’étrangler en l’entendant même affirmer que c’est le président Macron qui a eu le courage de faire enfin cette réforme que personne n’avait osé faire avant !
Je connais les dures lois de la vie publiques, et me souviens souvent de la phrase de Clemenceau : « En politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables. » Sans doute ai-je moi-même parfois fait un peu vite cette analyse.

Réforme ficelée

Mais le ministre au melon (lire ici pourquoi) devrait prendre un peu de hauteur et faire comme moi le constat du profond et grave fossé entre les Français, les femmes et les hommes politiques et leurs institutions. Les péripéties du prélèvement à la source depuis Macron sont aujourd’hui bien connues : propos ambigus pendant la campagne, report d’un an sans vraie raison et enfin période d’incertitude (c’est peu dire) en fin d’année dernière…
Par contre, l’engagement de la majorité de l’ancien monde est sans faille. J’y ai travaillé pendant un an et fait entériner cette réforme complexe au parlement. Ce gouvernement a trouvé la réforme ficelée en arrivant. Il l’a différée mais l’a reprise sans grande modification. Je le raconte en détail dans un chapitre de mon livre (lire ci-dessous).

La décence ou la simple politesse aurait pu conduire monsieur le ministre à dire un petit mot de celui qui a fait cette réforme. Mais cela n’est pas là le plus important : j’ai pris l’habitude des comportements vexatoires. Mais il aurait pu dire pour une fois publiquement que l’intérêt du pays était d’avoir fait sous une précédente majorité une œuvre intelligente reprise et mise en œuvre par la majorité qui l’a remplacée. Il aurait pu donner la preuve que les dirigeants sont capables de prendre dans la continuité le relai sur ce qui fait consensus. Illustrer le fait que la politique peut aussi parfois reconnaitre chez ses concurrents d’un jour quelques valeurs partagées sans polémique excessive.

Le prélèvement à la source est une bonne réforme. Elle profitera aux Français, même si des réglages risquent d’être nécessaires. Monsieur Darmanin a perdu l’occasion de souligner que des gouvernants de convictions frontalement opposées peuvent en revendiquer la paternité.

La victoire du prélèvement à la source

(Extrait de « Un Ministre ne devrait pas dire ça… » paru en mai 2018 chez Robert Laffont)

"Un ministre ne devrait pas dire ça" de Christian Eckert chez Robert Laffont. 19 €
« Un ministre ne devrait pas dire ça » de Christian Eckert chez Robert Laffont. 19 €

Depuis mon départ du gouvernement et mon échec aux législatives, je continue d’avoir des contacts avec François Hollande. Nous soulignions dans une conversation récente consacrée à l’ouvrage qu’il publie juste avant moi combien le gouvernement actuel s’emploie à défaire en quelques mois ce que nous avions fait en cinq ans. Le prélèvement à la source en est un exemple, même si, là, le report a heureusement été préféré à la suppression.
Lorsqu’au printemps 2015 le président Hollande, sans prévenir, annonce la mise en œuvre de cette mesure, j’en suis satisfait car j’ai toujours plaidé en sa faveur. Rendre l’impôt contemporain des revenus évite les ruptures de trésorerie des contribuables, et se révèle beaucoup plus juste.

Escalader l’Himalaya fiscal

Mais j’en suis aussi un peu effrayé, connaissant l’ampleur du travail à conduire. Une fois fini le marathon budgétaire de fin 2015, dès janvier 2016, nous entamons ce que j’appelais familièrement avec mes équipes « l’ascension de l’Himalaya ».
Une « task force » est constituée au sein de l’administration, une méthode et un calendrier mis au point : chaque lundi après-midi, Michel Sapin et moi, des membres de nos cabinets et de l’administration examinons et arbitrons un des points clefs du dossier. Tranchés si nécessaire par Michel Sapin et moi, ces choix sont présentés pour validation à l’Élysée et Matignon au cours de la semaine qui suit, et on passe… au camp de base suivant !
Sont ainsi progressivement réglés les questions des revenus fonciers, des travailleurs indépendants, des crédits d’impôts, de l’année blanche, des particuliers employeurs, des changements de situation familiale, des dons aux associations…

Pendant ce temps, je rencontre la France entière ou presque.

Je vois d’abord mes collègues ministres principalement concernés : Stéphane Le Foll pour les agriculteurs, Jean Yves Le Drian pour les militaires, Laurence Rossignol pour les différences femmes/hommes, Marylise Lebranchu pour la fonction publique, Myriam El Khomri pour les organisations syndicales des salariés, Marisol Touraine pour la cohérence avec les cotisations sociales, Emmanuel Macron en charge des entreprises. J’appréhende un peu cette dernière rencontre. Emmanuel Macron s’est toujours montré réservé sur le sujet. Pourtant, devant nos deux directeurs de Cabinets, il se montre parfaitement conciliant : « Je n’ai aucun problème avec ça, vas-y, les entreprises s’adapteront… Maintenant, si on pouvait leur faire un petit geste, genre crédit d’Impôt, ça serait bien, mais ce n’est pas un souci… ».

Je sais que les personnels et les syndicats des fonctionnaires de Bercy sont par nature opposés à cette réforme. Bercy pense qu’une de ses missions – le recouvrement – finira par lui échapper. Je crains donc la résistance des chefs de service et des directeurs. Il n’en est rien. Si les hauts fonctionnaires de Bercy savent souvent montrer leur force, ils sont aussi profondément attachés à réussir les missions que leur confie le pouvoir politique. Le Président de la République avait parlé, ils allaient s’exécuter. Je reçois une par une, puis toutes ensembles, les organisations syndicales de la maison. La pédagogie est difficile. Je répète inlassablement que la Direction générale des finances publique est au centre du dispositif. Sans être complètement convaincus, les personnels de Bercy finiront par admettre que leur administration n’est pas menacée, ce qui fera baisser la pression. La mise en place de moyens supplémentaires pour assurer la transition y contribuera aussi.

D’autres parties prenantes sont concernées, notamment au sein du monde économique, et je multiplie les échanges avec eux, souvent plusieurs fois : les experts-comptables, les éditeurs de logiciels de paie, les chefs d’entreprises – le MEDEF comme les autres –, les DRH, les syndicalistes agricoles, les associations d’assistantes maternelles, les représentants des professions indépendantes, la Fédération de particuliers employeurs, les représentants des Restos du Cœur et de plusieurs associations caritatives, les professionnels de l’immobilier… J’écoute beaucoup, rassure aussi, convainc le plus souvent. Chaque cas particulier trouve réponse. La Directrice de la Législation fiscale a fait, avec ses équipes, et bien sûr avec mon cabinet, un travail de bénédictins.

Mon Tour de France du prélèvement

J’entame aussi un véritable tour de France du prélèvement à la source. Nos réflexions nous ont convaincus que la réussite de cette réforme passera par son appropriation par les contribuables et les entreprises chargées du prélèvement. Je fais une douzaine de déplacements partout dans l’Hexagone, pour animer des tables rondes, entendre les craintes, tant des agents que des contribuables et anticiper les bugs possibles. Ces rencontres de terrain ont été formidablement instructives pour mes équipes et moi. On dit souvent que les ministres sont trop enfermés dans leurs bureaux. C’est en partie vrai… Casser cette réalité m’a permis d’adapter mon propos au niveau des préoccupations concrètes des Français.

Il fallait néanmoins traiter toutes les questions juridiques et constitutionnelles de la démarche. Pour cela, nous déposons début juin 2016 au Conseil d’État un projet de texte relatif au prélèvement à la source en l’avertissant qu’en fait, ce texte sera intégré au projet de loi de finances fin septembre. Ainsi, le Conseil d’État disposera du temps nécessaire à l’examen détaillé du texte, et pourra apporter ses précieux conseils que nous suivrons le plus souvent.

Le projet de loi de finances pour 2017 intègrera donc, conformément à la commande du président, un article entier afin de faciliter la mise en œuvre du prélèvement à la source au 1° janvier 2018. Un vote malheureux sur un amendement mal apprécié à l’Assemblée nationale conduira à un examen public du texte à un jour de faible audience. Il sera adopté sans grand changement fin 2017, malgré une opposition finalement mesurée de la droite au Parlement.

La gestion technique de la réforme, celle de la formation des personnels ou de l’adaptation des systèmes informatiques, ne nous avait pas échappé. Depuis début 2016, la DGFIP met en place une organisation très structurée et tient systématiquement le même discours : C’est serré, mais possible ! Le système d’information est en cours d’adaptation, des milliers d’agents entrent en formation, des tests sont prévus pour l’été 2017. Les entreprises représentatives sont choisies pour faire ces essais à blanc.

Une réforme plus égalitaire

Cette réforme, j’y tiens car elle met fin à bien des anomalies de notre système fiscal :
Aujourd’hui, on paie en 2018 les impôts dus au titre de ses revenus de 2017. Si entre temps, on a perdu ou cessé son emploi, pris sa retraite ou réduit son temps de travail, on paie un impôt qui ne tient pas compte de la baisse de ses revenus et la trésorerie est difficile.
Aujourd’hui, si on a eu un enfant en 2017, la demi-part ou la part fiscale supplémentaire ne fera effet qu’en septembre prochain. C’est aussi le cas d’un mariage.
Aujourd’hui, on paie le 15 du mois un dixième de son impôt alors qu’avec le prélèvement à la source, c’est un douzième prélevé sur le salaire ou la pension chaque fin de mois seulement.

Mais un événement a lieu… Les élections présidentielles interviennent entre temps. Même si Emmanuel Macron s’était montré favorable au projet, son élection risquait de tout remettre en cause. Et ça n’a pas loupé… Le président Macron, nouvellement élu, et quelques uns de s’est très vite exprimé sur le sujet pour critiquer le vote des parlementaires :
« Il faut aussi comprendre l’impact que ça aura pour nos concitoyens, psychologiquement : parce que vous allez recevoir votre feuille de paie, où votre salaire, optiquement, aura baissé. »

La mauvaise blague de Macron

Après quelques jours de confusion, on a compris que la nouvelle majorité souhaitait différer d’un an l’entrée en vigueur du dispositif. Officiellement parce qu’il faut faire des tests, et qu’un bug n’est jamais exclu… Cet argument montre la suspicion, ce mépris du Nouveau Monde par rapport à l’Ancien. Bien sûr, les choses étaient parfaitement prêtes, preuve en est qu’un an plus tard, le gouvernement remet en route le projet dans une version quasiment identique à celle votée fin 2017.

En réalité, le Nouveau Monde souhaite mettre en évidence sur la fiche de paie l’augmentation des revenus nets d’une partie des salariés causée par la réduction de certaines cotisations salariales combinée à une augmentation de la CSG début 2018. Si le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu – qui réduit sur la fiche de paie le salaire net versé – était mis en œuvre en même temps, il leur serait difficile d’y voir clair.

Avec le recul, Emmanuel Macron a commis là une erreur : les salaires de janvier ont connu des majorations très faibles qui sont passées complètement inaperçues. Par contre, la hausse de la CSG a été durement ressentie par les retraités… La mise en œuvre en janvier du Prélèvement à la source aurait rendu la hausse de CSG moins visible en couplant les deux mesures, qui d’ailleurs concernent à peu près les mêmes personnes. Cette erreur a d’ailleurs ouvert le débat sur le pouvoir d’achat qui vaut au président bien des déboires.

Nos successeurs ont jeté le doute sur la qualité du travail exemplaire que nous avions conduit avec minutie et précision. Je ne compte pas dans ce travail, mais les agents de Bercy ont été exceptionnels. Ils ont eu comme seul défaut d’avoir été cornaqués par des ministres n’ayant pas fait allégeance à La République En Marche.

8 000 h de travail, quarante-quatre informaticiens réquisitionnés, dix-sept réunions aux quatre coins de France, tous les ministères concernés, pour quel résultat ? Ils appellent ça l’alternance, le besoin de modernité…

Avant de quitter Bercy, j’ai réuni autour d’un verre la centaine de fonctionnaires ayant ciselé ce qu’on nous prétendait inabouti. C’était au moment où le report par le nouveau gouvernement se confirmait sous la plume d’Edouard Philippe :
« S’agissant de l’argent des Français et des recettes de l’État, je ne veux pas m’engager dans cette réforme sans avoir la certitude que, techniquement, tout se passera bien. »

Ce fut un moment d’émotion pour tous et de tristesse pour moi. Dans un propos improvisé d’une bonne demi-heure, j’évoquais en détail cette ascension de l’Himalaya effectuée ensemble, dont j’avais fouillé le moindre détail, et dont nous constations la remise en cause sans vraie raison.

Depuis, heureusement, avec quelques micro-modifications, le prélèvement à la source a été confirmé par le Parlement, avec cette fois un démarrage au 1° janvier 2019.
On aura perdu un an et nos successeurs en revendiqueront la paternité. Mais le pire, sa suppression, aura été évité. On mesurera vite combien cette réforme majeure marquera l’histoire fiscale de notre pays. Le prélèvement à la source, au moins, aura résisté à l’acharnement des macroniens à détruire les modestes acquis du précédent quinquennat.

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