Dominique Bourg, Université de Lausanne et Bastien François, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Il y a un an nous étions nombreux à y croire. Un jeune Président accédait au pouvoir, se revendiquant et de gauche et de droite. Au parcours romanesque, un tantinet mystique, il se targuait d’associer le savoir-faire Rothschild à la philosophie de Paul Ricœur, autrement dit la compétence technique d’un côté, la vision du futur d’une société désirable et le sens de la justice de l’autre.
Le bêtisier en action d’une certaine partition des tâches entre droite et gauche allait être remisé aux oubliettes de l’histoire. Fini la gauche qui dépense à court terme, sans liens avec les milieux entrepreneuriaux, sans connaissance des contraintes à la production de richesse. Fini la gauche qui se prend pour la droite et qui se coupe des aspirations populaires.
Fini la droite qui entonne la chanson de l’austérité tout en organisant en catimini une répartition de plus en plus inégale de la richesse, sans pour autant ouvrir de voies nouvelles, qui laisse les banlieues en déshérence et organise les menaces futures, celles de l’islamisme comme de l’incurie écologique. L’ère du « en même temps » allait s’ouvrir !
Le choix d’Édouard Philippe et de Nicolas Hulot au sein d’un même gouvernement semblait confirmer cette logique du « en même temps ». D’un côté un maire pragmatique, les semelles un peu nucléarisées toutefois ; de l’autre, le chouchou des Français, le regard fixé sur les grands indicateurs environnementaux depuis des décennies.
La montagne accouche d’une souris
Ce gouvernement allait redresser la France, en tous cas son image à l’étranger, allait redonner de l’élan à une économie atone sans pour autant désespérer Billancourt. Dans le même temps, sans trop prendre à rebrousse-poil la société, il allait préparer l’avenir, réorienter lentement mais sûrement le bateau France pour le conduire à affronter une mer environnementale dont tous les indicateurs annoncent la tempête à venir.
Des mesures vigoureuses allaient être prises pour rendre progressivement l’économie circulaire, moins gourmande de ressources sur une planète sous pression. Les grands enjeux environnementaux allaient être pris à bras le corps et on allait se donner les moyens institutionnels de les traiter.
Au lieu de quoi, la feuille de route de l’économie circulaire, élaborée par le ministère de la Transition écologique et solidaire en concertation avec les acteurs et rendue récemment publique, permet une avancée mesurable… en millimètres. Elle prévoit ainsi une réduction du taux de TVA à 5,5 % pour la prévention, la collecte séparée, le tri et la valorisation des déchets ; une baisse qui concernera également l’acquisition de sacs biodégradables et compostables. Ces réductions seront compensées par une augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes.
Intéressant, mais fort limité par rapport à ce qui avait été soumis au ministère par la Fondation 2019, la FNH (ex-Fondation Hulot) et la Fondation genevoise Zoein, à savoir une réduction du taux de TVA de 10 % sur les biens dont les externalités environnementales sont nettement moins élevées que la moyenne, pour au moins aligner leur prix sur les biens équivalents mais sales, avec d’autres mesures compensatoires.
Autre exemple : il avait été proposé d’ouvrir un cadre légal, progressif et contraignant, pour une substitution progressive de matières premières secondaires ou biosourcées aux matières premières. La feuille de route envisage plus modestement des accords volontaires pour intégrer davantage de matières issues du recyclage dans les secteurs suivants : l’emballage, le bâtiment, l’automobile ou les équipements électroniques et électriques. Rien non plus sur la fin de la mise en décharge. Mais au moins, si modestes soient-elles, il s’agit bien d’avancées.
Ce n’est nullement le cas de la réforme des institutions proposée par le gouvernement. Elle est illisible et dépourvue d’ambition, voire régressive. Annoncée en juillet 2017, cette réforme se décline en trois projets de loi. Le premier volet, constitutionnel, est présenté ce mercredi 9 mai en conseil des ministres ; il prévoit notamment la transformation du Conseil économique, social et environnemental (CESE), cette assemblée dont le rôle est de conseiller le gouvernement, les députés et les sénateurs avant leurs prises de décision.
Une croix sur la « chambre du futur »
Quid donc de cette réforme constitutionnelle ?
Considérons en premier lieu cette transformation du CESE en « chambre de la participation citoyenne ». Cette dernière devrait être consultée pour les projets de loi dans les domaines économique, social et environnemental, sans qu’il soit toutefois fait état de la transformation de sa composition. On change son nom, donc sa mission, mais on garde les mêmes collèges issus des mêmes composantes de la société civile…
Comment peut-on croire que cette chambre qui fleure bon la société civile organisée d’autrefois – avec ses corps constitués et où les syndicats sont fortement représentés –, présidée par un représentant du Medef, va pouvoir incarner un renouvellement des pratiques démocratiques ?
Et quid de l’articulation entre cette chambre, nullement conçue ni équipée pour organiser une telle participation, et la Commission nationale du débat public (CNDP), instance chargée d’organiser la concertation et le débat public autour des grands projets d’aménagement du territoire ?
Ou alors, ce qui est plus probable, doit-elle elle-même être considérée comme l’incarnation des citoyens, de ce public qui ne relève d’aucun corps particulier, qui n’a aucun mode d’expression hors des périodes électorales, mais auquel s’appliquent toutes les lois et règlements ?
Et où est passée « la chambre du futur », évoquée Emmanuel Macron devant le Congrès en juillet 2017 et portée depuis des années par Nicolas Hulot ? Le Parlement étant par fonction rivé aux enjeux présents et de court terme (et aux contradictions qui les caractérisent), l’idée était d’instituer un contrepoids institutionnel sous la forme d’une chambre parlementaire, mais non composée d’élus et dédiée aux enjeux de très long terme comme le climat ou la biodiversité ; une institution dotée de moyens d’intervention dans le processus d’élaboration de la loi, sans pour autant disposer de la capacité à voter les lois.
Un projet de réforme qui embrouille
Quelle est la cohérence entre le discours du Président fin avril 2018 face au Congrès, américain cette fois, déplorant l’état de la biodiversité et du climat, et le projet de réforme constitutionnelle présenté ce mercredi 9 mai ?
Car il est ici question d’introduire l’« action contre les changements climatiques » à l’article 34 de la Constitution, lequel délimite le domaine de la loi et, en conséquence, celui des prérogatives du parlement. La belle affaire ! Qu’est-ce que cela change ? La France, en tant qu’État signataire de l’Accord de Paris, n’a pas d’autre choix que de légiférer sur le changement climatique. Pis, l’actuel article 34 évoque déjà l’environnement.
Autrement dit, cet ajout à l’article 34 n’ajoute rien à ce qui est déjà ! En revanche, écrire à l’article 1er de notre Constitution que « la République veille à un usage économe et équitable des ressources naturelles, qu’elle garantit la préservation de la diversité biologique et qu’elle lutte contre les changements climatiques dans le cadre des limites planétaires », aurait été autrement ambitieux.
Ajouter en outre qu’« une génération ne peut assujettir les générations futures à des lois moins protectrices de l’environnement que celles en vigueur » (voir au sujet cette réécriture de l’article 1, l’ouvrage Inventer la démocratie du XXIᵉ siècle. L’Assemblée citoyenne du futur) aurait permis d’engager l’avenir dans de bonnes conditions.
Las, en cantonnant la question du climat au domaine législatif (l’article 34 définit le domaine privilégié de la loi, autrement dit le climat, c’est le Parlement et non le gouvernement), cette réforme va même jusqu’à exonérer l’exécutif de ses responsabilités, la lutte contre ledit changement passant aussi par le pouvoir réglementaire (voir a contrario les récentes actions et décisions prises en faveur d’une justice climatique).
Enfin, parler de la protection du seul climat, sans l’associer à celle de la biodiversité dans le cadre des limites planétaires, pourrait légitimer des actions en apparence utiles à cette protection, mais nuisibles à d’autres paramètres environnementaux. Tel a été le cas pour la pêche électrique, l’est avec le nucléaire et pourrait l’être avec la géo-ingénierie, cet ensemble de techniques cherchant à manipuler certains aspects de l’équilibre climatique (en répandant, par exemple, des aérosols soufrés dans l’atmosphère ou en dopant le plancton afin qu’il absorbe plus de carbone…).
Pourquoi dès lors soumettre un tel projet au Parlement ? Ce projet de réforme brouille et embrouille. Aucune vision, aucun concept, de la mauvaise technique. Un gouvernement de comptables prétendant s’intéresser à ce qui semble le dépasser infiniment, la lutte contre le changement climatique et l’existence de citoyens à côté des institutions !
Dominique Bourg, Philosophe, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement, Université de Lausanne et Bastien François, Professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.