Muriel Michel-Clupot, Université de Lorraine et Serge Rouot, Université de Lorraine
L’Assemblée nationale a voté le 21 octobre 2017, la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages à horizon 2020.
Les débats font la part belle aux inquiétudes financières des collectivités locales : compensation totale et pérenne via des dotations de l’État ? Une perte pour les finances locales est redoutée à terme. Pourtant, même si le pouvoir central tenait toutes ses promesses sur la durée, la réforme serait lourde de conséquences pour le management territorial.
La gouvernance territoriale à l’épreuve
Nous passons sur ce sujet d’une autonomie de décision (pouvoir fiscal et liberté d’emprunt) à une autonomie de gestion (libre disposition de dotations étatiques). Il s’agit exactement du processus inverse à celui de la décentralisation.
Par conséquent, une compensation par des dotations étatiques entraînerait une grande confusion entre prélèvements obligatoires nationaux et locaux, ainsi qu’une déconnexion totale entre une contribution fiscale locale et le bénéfice de services publics locaux.
La gouvernance territoriale n’a pas d’autre choix que d’y répondre.
Déjà dans les problématiques connues de l’intercommunalité, « les électeurs sont certes capables de voir en tant qu’usagers, les réalisations municipales, mais dans l’incapacité, en tant que contribuables, d’en apprécier les coûts » (Huron, Spindler, 2003). L’évaluation des politiques publiques menées en deviendrait impossible par le citoyen. Comment l’administré pourrait-il considérer l’utilisation de deniers publics, dont le prélèvement serait devenu indolore, tant il serait devenu indéterminé ?
Indispensable communication financière
Comment rétablir l’évaluation de l’action publique locale, dans l’hypothèse d’une compensation financière de la part de l’État ? Nous préconisons au manager territorial et à l’élu local, une communication financière territoriale.
Celle-ci désigne l’information financière diffusée et commentée par les exécutifs locaux, pour susciter l’adhésion des citoyens aux politiques menées. Cette communication financière doit devenir « pédagogie de l’action » publique locale (Mégard, 2017), qu’il s’agisse d’expliquer les décisions budgétaires ou de permettre l’évaluation des politiques territoriales.
En plus de la reddition des comptes due aux administrés (selon l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), les enseignements de la théorie de l’agence s’appliquent à la relation d’agence, dans laquelle l’élu local n’est que l’agent d’un principal, incarné ici par l’administré du territoire.
Or, cet agent assume un coût de dédouanement, consistant à tenir informé son principal, pour le persuader qu’il prend les décisions pertinentes. C’est la raison d’être de la communication financière. C’est aussi le moyen de remporter l’adhésion du citoyen, dans une optique de réélection (Michel-Clupot, Rouot, 2014).
Ainsi, pratiquer une communication financière permettrait à l’exécutif de gérer la relation avec l’administré de son territoire, une fois la réforme effective, puisque l’élu est sur le point de perdre un moyen simple et efficace de communiquer sur sa saine gestion des finances locales, c’est-à-dire l’absence d’augmentation des taux de taxe d’habitation. Or, si 80 % des contribuables locaux n’en assument plus la charge…
Muriel Michel-Clupot, Maitre de conférences en Sciences de Gestion, Université de Lorraine et Serge Rouot, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.