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Découvrez les singes titis et leur système de communication unique

Un singe titi dans son arbre.
Geoffrey Mesbahi, Author provided

Mélissa Berthet, École normale supérieure (ENS) et Geoffrey Mesbahi, Université de Lorraine

L’étude de la communication animale peut nous renseigner sur l’évolution du langage humain mais aussi nous donner une idée de la diversité des systèmes de communication qui existent sur Terre. Nous avons mené une étude sur le singe titi qui suggère que leur système de communication suit des règles très précises et est différent de tout ce qui a été décrit jusqu’à présent.

Dans leur vie quotidienne, les humains ont la capacité de communiquer sur des objets, des personnes, des évènements extérieurs : c’est ce qu’on appelle la référence. Il a longtemps été considéré que cette capacité était propre à l’homme et que les animaux, eux, ne communiquaient qu’à propos de leurs émotions et ressentis. Mais en étudiant de plus près comment les animaux communiquent, on se rend compte depuis quelques décennies que de nombreuses espèces, comme les chimpanzés, les suricates, les chiens et même les mésanges, sont capables de référence. Ainsi, en comparant les systèmes référentiels des animaux à celui de l’humain, on peut étudier l’évolution de cette capacité sur plusieurs millions d’années.

Le singe titi à front noir (Callicebus nigrifrons) est un petit singe d’Amérique du Sud qui vit en famille de 4 à 6 individus. Il possède deux types de cris d’alarme, le cri A et le cri B, et il les émet en séquence les uns à la suite des autres lorsqu’il se sent menacé.

Le singe titi et l’humain ont divergé l’un de l’autre il y a 43 millions d’années : ainsi, si l’on trouve des caractéristiques physiques ou comportementales similaires chez les titis et les humains, alors notre dernier ancêtre commun d’il y a 43 millions d’années possédait déjà sûrement ces caractéristiques.

Dans notre étude, nous avons voulu comparer les capacités de référence des titis à celles des humains, en étudiant comment les singes titis communiquent lorsqu’ils font face à un prédateur.

Pour cela, nous avons conduit une série d’expériences sur six familles de singes titis sauvages dans la forêt atlantique brésilienne. Pour chaque expérience, nous avons placé un prédateur empaillé (un rapace, un petit léopard local ou une martre) soit au sol, soit dans la canopée, et nous avons enregistré les cris que les titis émettaient lorsqu’ils voyaient le prédateur.

Réaction d’un jeune mâle à la présence d’un petit léopard empaillé (oncille) dans un arbre. Crédit : Geoffrey Mesbahi.

Nous avons ensuite joué ces cris à d’autres singes titis et avons filmé leurs réactions, afin de voir quelles informations les singes titis pouvaient extraire de ces séquences d’alarme.

Réaction d’un jeune mâle à des cris qui indiquent la présence d’un petit léopard (oncille) dans un arbre. Crédit : Mélissa Berthet.

Des règles de communication précises

Une précédente étude suggérait que les titis pouvaient indiquer quel est le prédateur (est-ce un prédateur terrestre ou aérien ?) et où il se trouve (est-il au sol ou dans la canopée ?) avec ces séquences d’alarme. Les résultats de notre étude confirment ceci, et montrent que les singes qui entendent ces séquences comprennent toutes ces informations : ils peuvent savoir quel est le prédateur et où il se trouve juste en écoutant les séquences.

Cependant, les règles que les titis utilisent pour transmettre ces informations n’ont été décrites chez aucune autre espèce animale. La clé résiderait dans la proportion de combinaisons de deux cris B dans la séquence. Par exemple, un titi émet la séquence BBBABBB en voyant un prédateur : cette séquence est composée de 6 combinaisons de cris (BB, BB, BA, AB, BB, BB) parmi lesquels 4 combinaisons de deux cris B (BB) : la proportion de combinaisons de cris B est élevée (4/6), il est donc très probable que le prédateur qui est dans les environs soit un animal terrestre qui se trouve au sol.

Au contraire, si un singe émet une séquence où la proportion de combinaisons de cris B est faible (par exemple une séquence AAAAABB, où la proportion de BB est de 1/6), alors il y a de fortes chances que le prédateur soit un animal aérien dans la canopée. De plus, les singes qui entendent ces séquences sans voir de prédateur réagissent de façon tout à fait adaptée : si la séquence contient beaucoup de combinaisons BB, alors les individus regardent vers le haut-parleur, comme s’ils cherchaient un prédateur terrestre dans les environs de l’individu qui crie. Au contraire, si la proportion de combinaisons BB est faible, alors les titis regardent en l’air, comme s’ils cherchaient un prédateur aérien au-dessus d’eux.

Notre étude montre donc que les singes titis transmettent des messages complexes sur les contextes de prédation en combinant deux cris en séquences avec des règles particulières. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que ce système suggère que les singes titis ont un système de perception du monde qui les entoure bien différent de celui des humains.

Un système de communication probabiliste

L’humain a un système de perception et de communication catégorique : la plupart des éléments de notre environnement sont gradués mais l’humain les classe en permanence. Par exemple, les couleurs d’un arc-en-ciel forment un gradient continu, mais notre œil perçoit six ou sept bandes, que nous nommons « rouge », « orange », « jaune », « vert », « bleu », « violet » – et « indigo » pour les artistes parmi nous.

De la même façon, l’humain aurait tendance à classer les évènements de prédations auxquels sont soumis les titis en quatre catégories : « il y a un prédateur aérien dans la canopée », « il y a un prédateur aérien au sol », « il y a un prédateur terrestre dans la canopée » et « il y a un prédateur terrestre au sol ». Cependant, selon nos résultats, les titis ne feraient pas quatre catégories distinctes : ils transmettent les informations sur le type et le prédateur le long d’un continuum qui semble aller de « prédateur terrestre au sol » à « prédateur aérien dans la canopée », en utilisant la proportion de combinaisons de cris. Les titis transmettraient donc une information graduée à laquelle les receveurs répondraient aussi de façon graduée, en regardant plus ou moins vers le ciel ou l’émetteur du cri. C’est un système de communication probabiliste, c’est-à-dire un système basé sur des proportions de combinaisons de cris qui transmet des informations graduées.

En étudiant les autres espèces, l’humain a toujours cherché à expliquer les systèmes de communication en des termes catégoriques, car c’est son système de communication par défaut. Nos résultats suggèrent qu’il est trop anthropomorphique de chercher à étudier la communication catégorique des animaux : peut-être que ce mécanisme probabiliste est plus répandu que l’on ne l’imagine, ce qui expliquerait pourquoi nous avons du mal à comprendre les systèmes de communication d’autres espèces lorsque nous les étudions avec notre conception catégorique. La prochaine étape est donc de chercher si ce système probabiliste existe chez d’autres espèces : si c’est le cas, alors nous pourrions supposer que ce système probabiliste constitue l’ancêtre de la communication catégorique de l’humain.

En conclusion, notre étude montre que lorsqu’on étudie d’autres espèces, il est important de s’ouvrir à de nouvelles formes de communication inconnues à l’homme, afin de mieux comprendre ce qui rend le langage unique et comment il a évolué.The Conversation

Mélissa Berthet, Docteur en biologie spécialisée en comportement animal, École normale supérieure (ENS) et Geoffrey Mesbahi, Doctorant, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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