Le contrôle parlementaire s’applique aux ordonnances, en amont et en aval.
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Michel Miné, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Cette procédure d’élaboration de la loi par ordonnances est prévue par la Constitution de la Ve République (article 38). Elle permet de modifier la loi rapidement, en évitant les navettes entre les deux chambres du Parlement (l’Assemblée nationale et le Sénat), le travail en commission dans chaque assemblée, les débats notamment lors du vote des amendements…
Les règles de cette procédure originale méritent d’être rappelées ainsi qu’une spécificité de l’élaboration de la législation du travail.
Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Un contrôle parlementaire en amont et en aval
Le Parlement peut donc accepter de se dessaisir de ses prérogatives et déléguer son pouvoir législatif au Gouvernement pour une durée limitée : pour cela, il vote une loi d’habilitation qui permet au Gouvernement d’élaborer la loi dans le domaine de compétence du Parlement. Sont notamment visés les « principes fondamentaux du droit du travail » (article 34 de la Constitution).
Le Gouvernement doit indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention ; cependant, il n’est pas tenu de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu’il prendra en vertu de cette habilitation (Décision du Conseil constitutionnel n° 2006-534 du 16 mars 2006, § 10).
Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres (après avis du Conseil d’État et d’organismes de concertation suivant les questions figurant dans le projet d’ordonnance).
Les ordonnances sont rédigées par le cabinet et les services de la ministre du Travail. Les parlementaires ne peuvent pas amender le texte.
Elles entrent en vigueur dès leur publication au Journal officiel.
Ces ordonnances doivent ensuite être validées par le Parlement. Le Gouvernement doit déposer un projet de loi de ratification devant le Parlement dans le délai prévu par la loi d’habilitation (à défaut, ces ordonnances deviennent caduques). L’ordonnance acquiert alors valeur législative (antérieurement elle n’a qu’une valeur réglementaire).
Le Parlement exerce donc un contrôle en amont (loi d’habilitation) et en aval (loi de ratification). À ces deux moments, le Gouvernement doit donc disposer d’une majorité qui le soutient sur ces textes.
Le Parlement devrait donc tenir une session exceptionnelle au mois de juillet. Les ordonnances envisagées pourraient techniquement entrer en vigueur au mois de septembre.
Des précédents emblématiques
Le Code du travail a déjà été, à de nombreuses reprises modifié, par ordonnances. Quelques exemples parmi les plus emblématiques : les ordonnances
- du 16 janvier 1982 de réduction de la durée légale du travail, d’octroi de la 5e semaine de congés payés et d’autorisation de l’annualisation du temps de travail (modulation) ;
- du 2 août 2005 relative au contrat de travail « nouvelles embauches » (CNE) – ce texte a été jugé contraire à la Convention n° 158 de l’OIT par le juge judiciaire et ensuite abrogé par une loi en 2008 ;
- du 12 mars 2007 de recodification du Code du travail (pour la partie législative).
Concertation préalable avec les organisations syndicales
Dans le domaine du droit du travail, tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle doit faire l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une négociation (article L 1 du Code du travail, introduit par la « loi Larcher » du 31 janvier 2007, inspiré de la procédure prévue par le Protocole social au Traité de Maastricht en 1992 et figurant aujourd’hui à l’article 154 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne du Traité de Lisbonne).
Pour ce faire, le Gouvernement leur communique un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options. Lorsqu’elles font connaître leur intention d’engager une telle négociation, les organisations indiquent également au Gouvernement le délai qu’elles estiment nécessaire pour conduire la négociation.
Cependant, cette procédure n’est pas applicable en cas d’urgence. Si le Gouvernement décide de mettre en œuvre un projet de réforme en l’absence de procédure de concertation, il doit alors faire connaître cette décision aux organisations syndicales et patronales représentatives, en la motivant dans un document qu’il leur transmet avant de prendre toute mesure nécessitée par l’urgence.
Des dispositions déjà largement esquissées
Concernant leur contenu, ces ordonnances devraient s’inscrire dans le prolongement de la loi du 8 août 2016 (dite « loi Travail » ou « Loi Valls–El Khomri »). En effet, cette loi prévoit une seconde loi, devant intervenir dans un délai de deux ans, destinée à décliner dans le Code du travail la nouvelle architecture des normes déjà mise en œuvre en matière de durée du travail depuis l’été dernier.
Sur chaque sujet retenu, le Code devrait préciser les règles d’ordre public, le champ de la négociation collective et les règles supplétives applicables en l’absence d’accord.
Il s’agirait notamment de définir les questions où les accords d’entreprises auraient priorité sur les accords de branche et sur la loi. Une nouvelle étape serait alors franchie sans que le bilan de la précédente n’ait été réalisé.
Ces ordonnances devraient également contenir des dispositions en réponse aux recommandations formulées par le Conseil de l’Union européenne, le 22 mai 2017, demandant notamment à la France :
- de consolider les mesures de réduction du coût du travail ;
- d’améliorer l’accès au marché du travail des demandeurs d’emploi, notamment les travailleurs les moins qualifiés et les personnes issues de l’immigration, y compris en revoyant le système d’enseignement et de formation professionnels ;
- de veiller à ce que les évolutions du salaire minimum soient compatibles avec la création d’emplois et la compétitivité ;
- de poursuivre la réduction des charges réglementaires pesant sur les entreprises, y compris en poursuivant le programme de simplification.
(Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2016 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour 2016).
D’autres dispositions sont susceptibles de figurer dans ces ordonnances, notamment le plafonnement des dommages et intérêts versés par les conseils de prud’hommes, en cas de contentieux, en réparation des préjudices causés par un licenciement injustifié (« sans cause réelle et sérieuse »), la fusion des institutions représentatives du personnel dans les entreprises (délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail) et la réforme des institutions d’indemnisation des demandeurs d’emploi.
Michel Miné, Professeur de droit du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.