Alors que s’achève le procès des huit « terroristes » de Tarnac devant le tribunal de Paris, le mystère de la revendication allemande que nous avions révélé dès 200ç (1) n’est touours pas levé. Envoyé Spécial revient dessus.
L’actualité violente de ces derniers jours a fait passer le procès de Tarnac au second plan. Pourtant, mercredi, les deux représentants du parquet de la 14ème chambre du TGI de Paris ont requis des peines modérées contre les principaux prévenus, Julien Coupat, 43 ans et Yildune Lévy, 35 ans. Soit six mois pour le premier, deux mois pour la seconde, c’est-à-dire le temps de leur détention provisoire. Ils sont soupçonnés, l’un et l’autre, d’avoir saboté la ligne TGV-Est à Dhuisy, en Seine-et-Marne dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008.
Pourtant, les débats sont passés à côté d’un point essentiel de ce dossier : la revendication des actes de sabotage par des écologistes allemands. L’émission de France 2 Envoyé Spécial revient sur ce mystère de la revendication.
Voici ce que nous écrivions dans le livre « Le Coup de Tarnac » publié en 2009 chez Florent Massot.
« En souvenir de Sébastian »
Le rapport de la SDAT (sous-direction anti-terroriste) au procureur de Paris du 15 novembre 2008 fait état d’une revendication des actes de sabotage. Les policiers de la SDAT précisent que leur « analyse était confirmée par une revendication parvenue le 10 novembre 2008 par courrier au quotidien allemand Berliner Zeitung posté le 9 novembre 2008 de Hanovre (Allemagne) évoquant de récentes actions ayant eu pour objectifs de perturber le trafic ferroviaire en France et en Allemagne et précisant que les actions s’inscrivaient dans le cadre de la vague de protestations liées au transport de France vers l’Allemagne par le train Castor de déchets nucléaires retraités pendant le week-end du 8 novembre 2008. Ce texte précisait, après des revendications d’ordre anti-capitaliste, ‘ils ont ainsi agi cette nuit au moyen de crochets métalliques’’. Citant les actions menées en France ainsi que des actions menées conjointement sur le réseau ferroviaire allemand, informations confirmées par les services de police allemands. Cette revendication était signée ‘’en souvenir de Sébastian’’ en référence au nommé Sébastien Briat, activiste mort lors du passage d’un train Castor en 2004. La police ferroviaire allemande nous informait alors que des actions de sabotage par usage de crochets métalliques placés sur les caténaires des voies ferrées avaient été perpétrées à plusieurs reprises en Allemagne. Notamment une procédure judiciaire aurait été diligentée en Allemagne en 1999 contre un nommé Hauke B. pour des faits de sabotage contre le réseau ferré commis en 1996-1997 à l’aide de crochets métalliques ayant été posés sur les caténaires, procédure au sein de laquelle avait été impliquée la nommée Sandra G., relation de Julien Coupat. Il nous était précisé qu’une action du même type avait été commise le 12 octobre 2008 sur la commune de Bischofsheim (Allemagne). »
Les policiers semblent donc avoir une parfaite connaissance de ce texte. Ils n’ignorent ni le lieu ni le jour de l’envoi, ni le destinataire. Mais, surtout, ils peuvent en citer le contenu, jusque et y compris dans la signature « à l’allemande » du prénom ‘’Sebastian’’. (…)
« Nous en avons marre »
Le texte rédigé en allemand sur papier sans en-tête et sans logo, ne porte aucune date ni aucune signature. Il est intitulé « Parce que nous en avons marre ». En voici les principaux passages :
« Nous en avons marre que les élus continuent de nous mentir…que des responsables utilisent les déchets nucléaires dont les dangers sont incommensurables pour les générations futures… qu’on nous dise que le dépôt de Gorleben est sûr alors que le dépôt expérimental de Hasse risque de s’effondrer et menace de polluer les nappes phréatiques de la région… que l’Etat allemand garantisse un prêt de 500 milliards pour sauver le capitalisme alors qu’il ne donne rien pour la faim dans le monde… que la loi du marché et les intérêts nationaux décident de l’endroit où il y a de la richesse et où il y a de la misère, où l’on vit bien, où l’on meurt, où l’on mange, où on a faim… A cause de tout cela, nous avons exprimé notre colère, aujourd’hui, à l’aube, contre les lignes de transport nucléaire en commettant des attentats à l’aide de substances incendiaires et avec des crochets, cette nuit, sur les lignes Paris-Strasbourg, Paris-Lille, Paris-Rhône-Alpes, Paris-Bourgogne, Ludwigshafen-Mainz, Kassel-Ruhrgebiet, Ruhrgebiet-Hannover, Bremen-Hambourg et plusieurs lignes de la région berlinoise. »
Les auteurs demandent aux voyageurs « leur compréhension » pour la gêne occasionnée mais ils doivent comprendre qu’il s’agit de faits de dimension politique. « On se fout de nous, on nous rend crétins, on nous pollue et on nous appauvrit ». Le texte se termine : « En mémoire de Sebastian ». C’est à dire de Sébastien Briat, un jeune militant antinucléaire lorrain mort accidentellement, le 7 novembre 2004, écrasé par un train transportant des déchets radioactifs destinés à l’Allemagne.
On peut quand même s’interroger sur l’origine de ce texte que semblent bien connaître les enquêteurs français. La seule explication qui vient à l’esprit, c’est que « l’info » leur a été discrètement repassée par leurs collègues allemands qui, avant chaque transport de matière nucléaire par train Castor, surveillent étroitement les militants antinucléaires de leur pays dont ils connaissent les écarts.
Ecoutes, filatures, ouverture systématique du courrier sont devenus des pratiques courantes Outre-Rhin comme on le verra plus loin. Dorothea Hahn [correspondante à Paris du journal TAZ] publiera un premier papier sur cette histoire dans son journal du 13 décembre mais pas dans la version en ligne. L’Est Républicain révèlera à son tour l’information le samedi 13, le Journal du Dimanche y fait allusion le 14 et, enfin, le journal de Nancy titre à la Une, le lundi 15 décembre : « Sabotages SNCF : l’axe Paris-Berlin » en expliquant qu’il existe des liens entre les militants antinucléaires Français et Allemands.
Autre fait troublant, les policiers français pas plus que les policiers allemands ne se sont intéressés à ce bout de papier, pourtant déterminant dans le cadre d’une enquête terroriste. Des analyses de laboratoire au microscope électronique à balayage auraient permis de connaître tous les constituants du papier : la nature des fibres végétales issues du bois ainsi que les autres composants (paille, coton, lin, chanvre…) afin de déterminer les propriétés mécaniques de résistance, les propriétés optiques (la blancheur, opacité…) mais aussi le grammage, la porosité etc. Ainsi, les enquêteurs aurait-ils pu déterminer avec certitude le pays dans lequel le lot de papier a été fabriqué, et sans doute identifier l’usine d’où il est sorti. Ils auraient su accessoirement dans quelle ville voire dans quel magasin il a été vendu : en France, en Allemagne ou ailleurs ? Ce travail n’a pas été fait. Y a-t-il des traces d’ADN sur le papier ? Des empreintes digitales que l’on pourrait éventuellement comparer avec celles des gardés à vue ou avec d’autres suspects ? Ces questions resteront sans réponse.
Triste anniversaire
Voilà pour la forme. Regardons de plus près le contenu de la revendication. Les sabotages auraient été commis « en mémoire de Sebastian ».
Sébastien Briat était un jeune homme de 22 ans originaire de la Meuse. Il est mort le 7 novembre 2004 à 14 h 34 à Avricourt, près de Lunéville, en Meurthe-et-Moselle, après avoir été heurté par un train de déchets radioactifs destinés à l’Allemagne. Ce 7 novembre 2004, le train chargé de 12 containers fut d’abord bloqué vers 11 heures à Laneuveville-devant-Nancy par des manifestants enchaînés aux voies. Il est reparti à 13 h 20. Peu après la gare d’Avricourt, le convoi roule à 98 km/heures environ. Trop vite ? En tout cas, à la sortie d’une courbe, le conducteur du train actionne le freinage d’urgence. Quatre jeunes militants ont passé leur bras dans un tube placé sous la voie. Trois d’entre eux ont juste le temps de se dégager. Mais Sébastien a peut-être mal apprécié la distance et la vitesse du convoi. Déséquilibré par les turbulences, il est happé par le train et décèdera peu après.
« C’est un accident qui n’aurait pas dû se produire si le train avait roulé à vitesse lente comme il aurait dû » explique Michel Daniel, porte-parole de l’association Cacendr (actions contre l’enfouissement des déchets radioactifs) et militant actif du réseau Sortir du Nucléaire. Michel a participé au blocage du convoi à Laneuville le jour du drame.
Pour lui, « il n’a jamais été question de sabotages de lignes LGV par des antinucléaires français car ces lignes ne sont pas utilisées pour le transport de déchets radioactifs. S’il y avait eu une revendication de notre part en mémoire de Sébastien nous aurions mis notre logo et aurions authentifié le texte. Cette revendication ne me paraît pas claire. Nous faisons des actes militants, à visage découvert, pour sensibiliser l’opinion aux dangers du nucléaire. Rien à voir avec des sabotages. Cette revendication à un journal allemand ne me paraît pas vraisemblable. »
Et pourtant ! Le ou les auteurs de cette missive semblent être parfaitement bien informés des actes illégaux commis tant sur le territoire français qu’allemand au cours du week-end du 7 au 9 novembre 2008. Il y est question en effet de quatre crochets placés sur les lignes Paris-Strasbourg, Paris-Lille, Paris-Rhône-Alpes et Paris-Bourgogne. Ce qui est exact. Il y est aussi question de plusieurs actions par des engins incendiaires sur plusieurs lignes, notamment dans la région de Berlin. Ce qui, là encore, s’avère être tout à fait exact bien que la presse n’en ait pas ou peu parlé, sans doute en raison d’une excessive discrétion de la part de la police et de la Deutsche Bahn.
Il est vrai que la technique de fabrication et de pose des crochets sur les caténaires est une vieille pratique Outre-Rhin. Entre 1994 et 2.000 ce sont plus de 200 actes de vandalisme qui ont été perpétrés au préjudice de la Deutsche Bahn en réaction aux trains Castors et plusieurs dizaines de crochets sensiblement identiques à ceux découverts en France en novembre 2008 qui furent placés sur les fils de contact des lignes ferroviaires. De ce point de vue les Allemands ont une nette avance sur les apprentis saboteurs français, quels qu’ils soient.
(1) Le Coup de Tarnac de Marcel GAY (Florent Massot éditeur) 2009.