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Finances du Grand Paris : la faillite du politique

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Quelle vision pour la Métropole du Grand Paris ?
Benh Lieu Song//Wikimedia, CC BY-SA

Alexandre Faure, École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Alors qu’une nouvelle réforme de l’organisation territoriale de la région parisienne est annoncée, la Cour des comptes vient d’adresser un bilan nuancé sur le Grand Paris Express, et plus particulièrement sur la gouvernance de la Société du Grand Paris (SGP). Cet Établissement public à caractère industriel et commercial (ÉPIC) a été créé par la loi de 2010 relative au Grand Paris, initiée par Nicolas Sarkozy. Structurée par Christian Blanc, qui fut directeur de la RATP de 1989 à 1992, la SGP ne doit pas être confondue avec la Métropole du Grand Paris, créée en 2016.

La SGP : un mode de financement du politique

Dans son bilan, la Cour des comptes pointe les dérives budgétaires de la SGP et du Grand Paris Express en liant ces travaux aux événements internationaux qui auront lieu à Paris entre 2023 et 2024 (l’exposition universelle de 2025 ne devrait pas avoir lieu en France). Selon les auteurs du rapport, le passage de 23 milliards d’euros à 38 milliards pose problème en termes de dépenses publiques et de solvabilité de la dette. Les aspects les plus gênants de ce dépassement concernent le remboursement de l’emprunt et l’instabilité des marchés financiers vis-à-vis de la dette souveraine et des emprunts obligataires.

Pour faire simple, la SGP se finance par des subventions, des taxes et, en grande partie, par un emprunt. Or, dans l’hypothèse d’un emprunt sur plusieurs décennies, il serait envisageable d’après la Cour des comptes qu’un emballement de la dette ait lieu, du simple fait d’une augmentation des taux d’intérêt. En effet, la SGP fonctionnera en partie sur un financement de ses emprunts par la contractualisation d’autres emprunts. Ce risque d’emballement serait extérieur à la Société du Grand Paris : il résulterait de conjonctures mondiales.

Le plan du Grand Paris Express, dont la Cour des comptes appelle à « réviser le périmètre ».

L’autre problème est la forme que prend la Société du Grand Paris. Elle est aujourd’hui directement attachée à l’État, mais l’emballement de sa dette ne pourrait pas être arrêté par les instances gouvernementales futures, si besoin était. La Cour des comptes préconise donc de donner une responsabilité à la SGP et de stabiliser les coûts des infrastructures en imposant un plafond à ne pas dépasser. Ce changement ne réglerait toutefois pas le problème central, à savoir son caractère profondément politique. Depuis le lancement de la SGP, ses compétences ont en effet été très élargies. Elle suscite désormais des attentes de plus en plus grandes en région parisienne, en particulier dans les territoires les moins bien connectés au réseau de transports existant.

Une surcharge potentiellement dangereuse

En plus du Grand Paris Express, qui constitue le cœur de l’activité de la SGP (et fut modifié en 2011 puis 2013 par des accords Etat-Région), les politiques ont ajouté successivement plusieurs modifications du réseau : prolongement de la ligne 11 à l’est, de la ligne 14 au nord et au sud (pour désenclaver l’aéroport d’Orly et désengorger la ligne 13 du métro vers Saint-Denis et Saint-Ouen), mais aussi création de la ligne EOLE (Est-Ouest Liaison Express) pour compléter le RER. Les nouvelles interconnexions entre tous ces réseaux sont à la charge de la SGP, tout comme l’achat des véhicules de maintenances du réseau existant pour un montant d’environ 400 millions d’euros. Une situation que la Cour des comptes dénonce.

Qui plus est, le Conseil Régional menace de ne pas tenir sa promesse de financer sa part des interconnexions (un tiers environ), ce qui alourdirait un peu plus les missions de la SGP. Cette dernière se retrouve en charge des activités refusées par les autres instances, or étant donné qu’elle fonctionne sur un modèle de financement par l’endettement et le réendettement, cette surcharge met en danger le modèle initial. Une situation potentiellement problématique…

La SGP, trop petite pour sa mission

Les critiques de la Cour des comptes sur la gouvernance de la SGP sont justifiées, mais le fond du problème viendrait de la faiblesse structurelle de cet ÉPIC dont les équipes restreintes n’arrivent pas à adapter leur mode de fonctionnement aux demandes politiques. Par exemple les annonces, sous la présidence Hollande, d’accélérer la construction des infrastructures posent de nombreuses difficultés, non seulement techniques, mais aussi économiques. La monopolisation par le Grand Paris de matériels spécifiques (engins de chantiers, tunneliers, équipes spécialisées) diminue fortement la situation de concurrence nécessaire à l’obtention de prix avantageux lors des marchés publics. Comme le note la Cour des comptes, il serait avantageux pour la SGP de s’appuyer sur des équipes élargies, afin de trouver des solutions adéquates, tant concerant les calendriers des chantiers que les techniques utilisables. Cette solution favorisait une baisse des coûts lors des commandes de marché public.

Cette faiblesse institutionnelle traduit la difficulté de créer un échelon métropolitain en Ile-de-France. La SGP a été créée par le gouvernement, sous la tutelle de l’État. Elle est indépendante de la RATP, de la SNCF et du Syndicat des Transports de la région, le STIF. Or, ce dernier a pour rôle de coordonner l’action des collectivités territoriales (Conseil Régional, Conseils Généraux, intercommunalités) en lien avec les deux exploitants de réseau que sont la RATP et la SNCF, et avec d’autres entreprises ou collectivités ayant des réseaux spécifiques (mairies, Keolis, aéroports…).

Pour des raisons politiques, Nicolas Sarkozy et Christian Blanc n’avaient pas fait coopérer le STIF et la SGP, de peur que les élus locaux majoritairement de l’opposition prennent le contrôle du nouvel EPIC. Cette situation est aussi à l’origine de la contradiction de la loi relative au Grand Paris de 2010, qui veut réorganiser la région parisienne autour de nouvelles infrastructures de transports sans toutefois proposer de réorganisation institutionnelle.

Une Métropole du Grand Paris dépourvue d’ambition

De son côté, la Métropole du Grand Paris est entrée en fonction le 1er janvier 2016. Malgré son budget conséquent (de l’ordre de 3,4 milliards d’euros, dont 3 à 4 millions sont consacrés au fonctionnement et un peu plus de 20 millions à l’investissement), ses compétences sont peu nombreuses. La Métropole n’a ni la compétence logement (restée aux communes), ni la compétence transport (gérée par le STIF et le Conseil Régional). En conséquence, les projets financés par la Métropole sont souvent des aménagements de voiries, des achats de véhicules municipaux électriques, des rénovations de bâtiments publics tels que les écoles…

Construire un nouveau métro ne suffira pas à changer la géographie sociale de la région.
DR

Ce fond est avant tout pensé comme un soutien aux initiatives municipales, et non comme un levier pour donner à la Métropole une place propre sur le territoire. Ainsi, les travaux du Grand Paris servent-ils en grande partie à créer des liens entre les zones d’emplois et les zones de résidences. Les nouvelles lignes sont décrites par les élus comme un outil de compétitivité et d’attractivité pour Paris et la France, tout en ayant vocation à connecter les plus défavorisés aux avantages de la mondialisation. Cependant, construire des transports ne changera pas la géographie humaine et sociale de la région. Au contraire, on risque ainsi de faire augmenter les prix de l’immobilier aux abords des nouvelles stations, et donc d’éloigner encore davantage les populations les moins aisées. Au risque, dans quelques décennies, de devoir procéder à un rééquilibrage par un nouveau maillage de transport.

SGP et Métropole du grand Paris : un manque de vision globale

Où passent les 3,4 milliards d’euros restants ? La Métropole du Grand Paris renvoie directement l’argent aux communes, en répartissant la somme comme elle l’aurait été si la Métropole n’avait pas existé… En effet, la majorité des élus métropolitains ne veulent pas utiliser les pouvoirs dont ils disposent. Ils optent pour une Métropole faible, garantissant ainsi les libertés locales des différentes communes, au détriment de la péréquation et du rééquilibrage de la région parisienne.

En définitive, la critique de la Cour des comptes sur les dérives budgétaires de la SGP révèle l’incapacité à penser une Métropole du Grand Paris cohérente. Aujourd’hui, ce qui coûte le plus cher à la collectivité, ce n’est pas le nouveau métro (nécessaire à de nombreux égards), mais plutôt la faillite du personnel politique à produire une politique globale de la ville, ainsi que l’impossibilité, pour les institutions existantes, de réguler la métropolisation.

Conseil Régional, Métropole du Grand Paris, STIF, RATP, SNCF, Conseils Généraux, communes, Établissements Publics Territoriaux, Syndicats techniques, administrations étatiques, gouvernement… Sans vision globale pour la métropole, tous ces acteurs resteront chacun maîtres de leurs compétences, mais esclaves d’une concurrence institutionnelle dont le principal perdant est l’habitant d’Île-de-France.

The ConversationCette semaine, le gouvernement, par la voix de la ministre des Transports, Élisabeth Borne, a annoncé aux élus d’Île-de-France que le Grand Paris Express demeurait confirmé dans son intégralité. Reste désormais à voir si ces promesses seront tenues, et permettront de pallier les faiblesses de la Société du Grand Paris sans réellement amoindrir le projet.

Alexandre Faure, Doctorant en sciences sociales, École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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