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La République et le Peuple

Point-de-vue. Notre République va mal : Elle s’éloigne du peuple dont elle devrait être l’émanation et le peuple devrait être en permanence, de façon directe ou indirecte, un acteur de premier plan, selon l’ancien secrétaire d’État au Budget.

Christian Eckert, ancien secrétaire d'État au Budget (DR)
Christian Eckert, ancien secrétaire d’État au Budget (DR)

Par Christian Eckert

Ce post se veut une alerte. Les expériences que j’ai vécues ne me donnent aucun droit. Elles me donnent des devoirs :

  • celui d’abord de partager la connaissance pratique (et parfois théorique) que j’ai acquise sur l’organisation des pouvoirs, leur efficacité et leur concentration.
  • celui ensuite de parfois se transformer en lanceur d’alerte sur le risque de voir s’effondrer des valeurs que nous considérons comme fondamentales.
  • Celui enfin, avec humilité, de se risquer à proposer des remèdes ou des améliorations pour maintenir au pire, progresser au mieux, l’esprit Républicain issu de l’histoire de notre pays qui fut souvent en avance sur les autres pour cela.

Notre République va mal : Elle s’éloigne du peuple dont elle devrait être l’émanation et le peuple devrait être en permanence de façon directe ou indirecte un acteur de premier plan.

En France, une constitution, de temps en temps retouchée, régit les règles de fonctionnement de la République. Adoptée massivement en septembre 1959, elle a collé aux besoins d’une époque correspondant « grosso-modo » à la période d’après-guerre. Le pouvoir d’alors devait être fort et efficace pour reconstruire les ruines physiques et politiques engendrées par les conflits mondiaux et leurs atrocités. On oublie aujourd’hui, dans une période qui, jusqu’à récemment, semblait plus apaisée, que l’exercice vertical et parfois même personnel, exclut le peuple qui finit par tout rejeter en bloc quand les temps se durcissent.

Représenter le peuple

Cette verticalité de la décision comme de l’action publique se mesure aussi par la prédominance du Gouvernement sur le Parlement. J’ai été député de l’opposition, puis député de la majorité, et ensuite membre du Gouvernement. J’ai donc pu mesurer l’importance, l’utilité et la capacité, de là où j’étais, à changer les choses et à représenter le peuple. Sans nul doute, je peux dire que notre République, qui se prétend parlementaire, donne (presque systématiquement) tous les pouvoirs au Gouvernement.

Ce dernier dispose d’un arsenal de dispositions tout à fait constitutionnelles pour que la construction de la loi comme sa mise en œuvre soient « à sa main » : du maintenant mieux connu 49/3 à la fixation de l’ordre du jour, en passant par les votes bloqués, les secondes délibérations, les ordonnances, les renvois aux décrets, le funeste et méconnu Article 40 de la constitution… Tout permet aux Gouvernements de contourner le Parlement à sa guise. Tous les Gouvernements l’ont fait, quels que soient les rapports de force au Parlement, même s’il est vrai que le contexte d’aujourd’hui conduit le pouvoir actuel à en user beaucoup et à coup sûr beaucoup trop.

L’antiparlementarisme, très répandu

Comment accepter par exemple que début 2024, deux mois seulement après avoir fait entériner une loi de finances au Parlement, le Gouvernement annonce 10 Milliards d’économies sans même l’avis du Parlement (le seul à qui la Constitution confie la décision sur les finances). Je pourrais citer nombre d’exemples de même nature sous tous les Gouvernements, y compris ceux auxquels j’ai appartenu ! Il est alors peu surprenant que l’on s’interroge sur l’utilité des assemblées parlementaires, et que l’antiparlementarisme soit aussi répandu…

Le parisianisme domine

D’autant que le Parlement souffre de ne pas être représentatif : même si des progrès ont eu lieu sur la parité femmes hommes, une analyse objective fait constater les multiples raisons de faire douter le peuple sur le fait d’être représenté au Parlement : Après les enseignants barbus de 1981 omniprésents, ladite « société civile » dont on ne sait d’ailleurs ce qu’elle désigne, est devenue à la mode. Les professions libérales ont souvent bien garni les rangs, et je me souviens d’un débat sur la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » où il n’y avait dans l’hémicycle que des médecins et des pharmaciens hormis l’auteur de ce post.
Et que dire de la représentativité territoriale : le parisianisme domine, et l’interdiction excessive du cumul des mandats a contribué à l’augmenter. La plus stricte limitation du cumul des indemnités aurait suffi à moraliser, même pour les gens, l’émergence des barons locaux (noirs ou pas) qui ont souvent joué le rôle de vigie face à un pouvoir globalement très francilien. Socialement et géographiquement, le Parlement ne peut pas être qualifié de Représentation Nationale. D’autant que celles et ceux qui devraient être députés de la Nation privilégient les intérêts particuliers de leurs mandants à celui de la Nation.

Une réforme de la constitution s’impose

Ce constat qui peut et doit nous alarmer parce qu’il fait monter l’antiparlementarisme et les populismes nous amène à chercher et proposer des solutions. Une grande réforme de la Constitution s’impose. Plus qu’une évolution, c’est une révolution constitutionnelle qu’il faut construire pour remettre le peuple au centre de la République. Certains parlent de 6° République… La sémantique ne compte pas…

Je plaide, et j’en connais les inconvénients, pour une dose de proportionnelle. Soit par Régions, soit en mixant (à l’allemande) des députés locaux et nationaux… Et si la proportionnelle conduisait à favoriser les alliances pour gouverner, cela ne serait pas inutile. Cela pourrait sans doute aussi inciter à des compromis qui éviteraient les radicalismes dangereux. Le « bazar » actuel créé par une dissolution précipitée et une procrastination organisée serait peut-être mieux géré.
Et bien sûr, une Assemblée plus représentative doit pouvoir décider des lois librement et donc fixer son ordre du jour, être débarrassée des articles 40 et 49/3 comme des autres artifices techniques qui la musèlent aujourd’hui.

Je plaide pur la fin du bicamérisme

Je plaide aussi, même si je sais l’idée minoritaire, pour la fin du bicamérisme qui ralentit et brouille le message politique. Sans forcément aller aussi loin, on pourrait pour le moins rapprocher le rôle du Sénat de celui du CESE quitte à lui laisser sur quelques sujets majeurs (constitutionnels par exemple) un rôle législatif.

Je ne soutiens pas l’idée des conventions citoyennes. Leur téléguidage par le pouvoir en place est trop facile et si le Parlement devient représentatif, pourquoi lui prévoir un substitut tiré au sort ?

À l’heure d’Internet et de la Chaîne parlementaire, comment ne pas faire confiance au peuple pour se saisir des débats ? Pour cela, il faut sans aucun doute élargir le champ des référendums et réduire les conditions pour en déclencher un.

L’École de la République

Parallèlement, donner plus directement le pouvoir au peuple impose de donner, au sein de l’École de la République, la formation citoyenne qui fait tant défaut aujourd’hui. Une telle formation donnerait aux jeunes les bases nécessaires pour s’investir plus facilement dans les débats citoyens. Elle pourrait aussi redonner le goût du vivre-ensemble qui s’estompe aujourd’hui.

En résumé, des scrutins vraiment proportionnels, une assemblée plus représentative et des pouvoirs confiés réellement au Parlement obligerait à notre démocratie à faire travailler ensemble, pour l’intérêt général, toutes les sensibilités respectant les principes républicains.

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