Après avoir identifié le fiancé de la Pucelle, puis dévoilé l’histoire inconnue du Livre de Poitiers, l’avocat parisien A.-P. Turton révèle, dans un troisième ouvrage, le plan caché de l’évêque Cauchon.

Six siècles après son incroyable épopée, on croyait tout savoir, ou presque, sur notre Pucelle nationale. Et voilà qu’un avocat du barreau de Paris, A.-P. Turton, réexamine les pièces du dossier de Rouen avec un œil de juriste. Et son raisonnement juridique le conduit sur des pistes jusqu’ici inexplorées.
L’auteur rappelle que deux procès se sont tenus à Rouen. Le premier est le procès de lapse ou d’abjuration (du 9 janvier 1430 au 23 mai 1431) au terme duquel l’accusée est condamnée à la prison à vie. Le second est un procès de relaps (du 28 au 30 mai 1431) sanctionné par « l’abandon à la justice séculière » autrement dit, l’accusée est promise au bûcher. Mais pour l’auteur, c’est l’affaire elle-même qui est bicéphale, car l’histoire du Livre de Poitiers se poursuit discrètement à Rouen pour s’agglomérer au procès de Jeanne.
Le double jeu de l’évêque Cauchon
L’auteur articule son propos autour de trois éléments. Il dénonce d’abord « une mystification » : pour lui, la prétendue « notoriété publique » de l’affaire de Rouen telle que proclamée au travers du procès de réhabilitation relève de la poudre aux yeux, car tout montre au contraire que les Rouennais ne connaissaient pas Jeanne et que Cauchon n’avait que faire de l’édification du public de Rouen.
Il révèle ensuite que le procès de Jeanne est avant tout « le procès intenté au Livre de Poitiers », issu du procès conduit sous l’autorité de Regnault de Chartres, chancelier de France, où « Jeanne a tout dit » et qu’il s’agit de détricoter à Rouen. C’est pourquoi le volume a pour thème central « L’empreinte effacée du Livre de Poitiers ».
Enfin, troisième point, la cible principale étant le Livre, le plan caché de l’évêque de Beauvais consistait à épargner l’accusée. C’est d’ailleurs pourquoi Cauchon tenait à ce que Jeanne demeure une inconnue pour les Rouennais.
Deux procès imbriqués l’un dans l’autre à Rouen ?

L’avocat parisien nous fait entrer dans les coulisses de l’affaire et de la prison où Jeanne est détenue. Nous croisons dans ces coulisses quelques-uns des acteurs du procès, notamment le vice-inquisiteur Jean Le Maistre et ses suivants, mais l’intéressant est que certains sont affublés d’un faux nez : c’est le cas des « moutons » que l’on introduit dans la prison de Jehanne ; pour les autres, il restait encore à les démasquer : nous apprenons ainsi les noms des messagers du « Livre » et surtout celui du Gardien du « Livre » dont Cauchon a ordonné la « comparution ». Nous apprenons au passage par quel étonnant marché Cauchon a pu arracher le Livre à Regnault de Chartres. Tout cela est le fruit d’un décryptage méticuleux du contenu des procès-verbaux qui nous sont parvenus, avec une analyse des mouvements qu’ils induisent de la part des uns et des autres à la lumière du calendrier, car rien n’est jamais affirmé gratuitement.
De la cédule enchantée au document oublié
Après avoir rappelé qu’il n’y a pas de jugement de condamnation et pas de procès-verbal d’exécution du bailli de Rouen, l’avocat A.-P. Turton éclaire d’un jour nouveau la scène de l’abjuration au cimetière de Saint-Ouen que l’on comprend assez difficilement, puisqu’il est question d’une cédule de quelques lignes que va signer Jeanne, en riant, alors que celle trouvée dans les minutes du procès est beaucoup plus longue. « Mais qu’est-ce au juste qu’une cédule » interroge Me Turton ? Il est le premier, à notre connaissance, à poser la question. Non seulement l’auteur répond, mais il décrypte complètement l’épisode de ce qu’il nomme la cédule enchantée et dit pourquoi les Anglais ont raison de crier à la trahison.
Car la complicité entre l’évêque Cauchon et Jeanne est de tous les instants, malgré les apparences. C’est ainsi que l’évêque fait porter à la captive une carpe, le vendredi Saint. Jeanne sera malade. Cauchon se porte à son chevet accompagné de six docteurs et lui demande si elle souhaite des processions pour accélérer sa guérison ! Il faut savoir que Jeanne la sorcière, l’hérétique, n’est pas détenue dans une cellule ordinaire : elle dispose d’une vraie chambre, avec un lit, et partage même un appartement avec un garde du corps.
S’agissant des voix, on sait qu’elles sont présentes autour de Jeanne durant sa captivité. Me Turton lève ici encore un coin du voile, car il montre que l’évêque en personne favorise leur action.
« Emmenez, emmenez ! »
Reprenant les moments clés du procès de Jeanne, l’examen s’achève sur la question du document oublié. De quoi s’agit-il ? D’un document administratif. N’ayant jamais été caché, ce document était parfaitement identifié et connu des historiens, mais inexploité. L’auteur permet de redécouvrir son texte : les mots ayant un sens, il montre en quoi il enlevait au bailli de Rouen toute qualité pour prononcer la sentence de mort qui incombait au bras séculier ! Voilà pourquoi le bailli de Rouen n’a rien pu faire d’autre que de dire à propos de Jeanne : « emmenez, emmenez ! ».
Le roi de France et le roi d’Angleterre
Au final, cet ouvrage est une avancée majeure dans la compréhension du (ou des) procès de Rouen : « la mort de Jeanne n’était pas au programme de Pierre Cauchon, explique l’auteur. Et personne n’avait encore été en position de prouver que Cauchon travaillait au but opposé à celui qu’il faisait mine de poursuivre ».
Reste à savoir ce qu’est devenue Jeanne après que le bailli de Rouen a donné l’ordre de l’emmener. C’est ici que s’opposent traditionalistes et survivalistes. L’auteur ne se positionne pas à ce stade. De notre point de vue, l’évêque Cauchon agit avec la bénédiction du roi de France et du roi d’Angleterre puisque, selon nous, Jeanne semble être liée aux deux familles royales.
En tout cas, l’avocat parisien, qui ménage le suspense, promet une suite aux « Coulisses interdites de l’Affaire de Rouen »*.
* « Jeanne d’Arc en procès : Les coulisses interdites de l’Affaire de Rouen. – 1ère partie : L’empreinte effacée du Livre de Poitiers » de A.-P. Turton, avocat au barreau de Paris, 212 pages. Disponible auprès de l’auteur. Adresse mail : poitiers1429@proton.me