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Les enjeux géopolitiques de notre planète vus depuis Kepler 452b

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire. Aujourd’hui, Aurore Kepler disserte sur les enjeux géopolitiques du moment et aborde les limites de la démocratie.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Par Gilles Voydeville

Lettre des givres fulminants sur Kepler

Ma chère Gaïa

Je viens de te lire et j’ai bien peur que tu ne sois au bord d’un gouffre qui attire ton monde comme l’un de nos maudits trous noirs absorbe la matière dont nous sommes faites.

Ici ma situation est un peu différente, mes Ovoïdes se complaisent dans des jeux qui les amusent et les distraient du désir de se constituer en nations. Il y a bien quelques hurluberlus qui par volonté de régner commencent à exacerber des fibres nationalistes, mais en général, comme il n’y a pas de frontières, pas de douanes, qu’ils ne payent pas d’impôts et qu’ils ne passent pas de permis de conduire, les peu de fois quand ils ont besoin de régler des problèmes administratifs, ils ne savent pas toujours où s’adresser car ils ne savent souvent pas à quel pays ils appartiennent.
Le pays des Deux Lunes est l’un des seuls à se démarquer des autres du fait de l’originalité de la petite Utula qui a la soif du pouvoir. Tu te souviens d’elle, celle qui admirait les décisions de ton Oncle Xi et sans doute enviait l’invasion de ton Ours de l’Oural. Au fait qu’est devenu ce sympathique animal après qu’il ait supprimé son alter ego l’ours blanc ? A-t-il été inquiété par la marche des Walkyries de la horde du blanc, a-t-il été affaibli par ses échecs militaires, envahi par les doutes… ou fini par écraser son voisin ? Tu avais imaginé un scénario dans lequel l’ours blanc prenait le pouvoir au Kremlin. Si cet ours blanc avait bien commencé à rêver du pouvoir, il ne l’avait pas fait assez fort pour s’autoriser à aller jusqu’au bout. Les hommes de pouvoir, les vrais, ceux qui le prennent et le conservent, sont des obsédés, des drogués à l’amphétamine du règne sans partage qui jouissent de la soumission des autres et de la vénération de leurs obligé(e)s. C’est tout simple, celui qui gagne est celui qui le veut le plus jusqu’à la névrose. C’est à dire qu’il y a peu de chance pour qu’ils partagent quoi que ce soit une fois arrivés, sinon quelques lambeaux de gloire pour fidéliser la meute. Pour pouvoir régner, je constate que sur ta terre, le maître doit tout sacrifier à son exercice, sa famille, ses amis, ses loisirs et même parfois ses plaisirs.

Il faut qu’il ait au cœur une singulière jouissance pour abandonner ce qui fait le bonheur ordinaire de tout un chacun, Charmant ou pas.

Quand je regarde l’histoire de tes peuples, je constate que malheureusement l’intelligence et la culture ne protègent pas de la barbarie. Bien au contraire, d’après ton philosophe Walter Benjamin, toute culture serait porteuse de domination et n’hésiterait pas à s’imposer par tous moyens, à s’ancrer dans cette barbarie. J’ajouterai, surtout dès que l’orage menace de saccager l’étendue de ses champs. Tu pourrais aussi remarquer que cela conforte ta théorie de la guerre des alphabets, alphabets qui sont d’éminents représentants culturels.
Pourquoi soudain la barbarie ose-t-elle montrer le bout de son nez, sans que la honte qui la réprime et la tient en laisse ne puisse plus la contenir ? En fait, je crois comprendre que c’est une alliance de tous les diables qui sommeillent au fond de chacun de tes êtres. Quand ils se sentent isolés, ils n’osent pas s’exhiber pour piétiner les valeurs que la civilisation leur a imposées. La force leur manque. Mais ils sont là, tapis et quand le climat devient favorable, quand l’exaspération déborde, quand ils aperçoivent pointer les tridents rougeoyants de leurs frères du chapeau de leurs hôtes, ils s’unissent et s’encouragent pour se permettre de commettre ce qu’ils pensent une juste revanche et qui sont toujours des horreurs.

Souviens-toi, ma chère Gaïa, ton peuple allemand était le plus cultivé de ton monde, il avait généré les plus grands philosophes, les plus augustes compositeurs, de très grands écrivains, des ingénieurs à la pointe dans le domaine aéronautique, chimique, atomique etc… Cela ne l’a pas empêché de sombrer dans l’idéologie nazie quand la crise économique s’est installée, il est vrai sur un fond de désir de revanche. Le parti nazi est devenu en 1932 le premier parti politique d’Allemagne, raison pour laquelle le président maréchal Hindenburg a appelé Hitler au poste de chancelier. Ensuite lors des élections qui se sont déroulées après l’incendie du Reichstag, le parti nazi a recueilli 44% des votes, ce qui n’est pas une majorité absolue mais…

D’autre part, si l’on examine les performances de ton peuple juif, il est l’un des plus brillants de ton globe : bien que représentant une infime partie de ta charmante population, il a généré une grande quantité de savants éminents dont un grand nombre ont reçu un prix Nobel, des médecins et biologistes illustres, des écrivains célèbres et il continue de caracoler en tête dans les hautes technologies.

Cela ne l’empêche pas de se comporter en Palestine d’une horrible manière.

Ton peuple de Palestine possède aussi sa culture depuis son installation mille ans avant JC sur ce littoral du Levant. Lui n’est pas en avance sur ses voisins, mais il a su trouver les moyens de tromper les systèmes de contrôle sophistiqués d’Israël et il en a profité pour aller au bout de son pouvoir, c’est-à-dire neutraliser les défenses de son oppresseur et le massacrer avec cruauté.

Qu’en conclure ? « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » dixit Rabelais.

Les Chinois diraient que c’est la faute à la démocratie, instrument du désir des peuples qui veulent toujours plus et vont trop loin car ces désirs ne sont pas tempérés par des contre-pouvoirs, divins lors de la conception de cette théorie il y a déjà trois mille ans, et qui se devraient scientifiques et historiques selon le philosophe actuel Zhao Tingyang.

Je te rappelais que le programme du parti nazi avait été plébiscité par les urnes avant d’être appelé au pouvoir. Plus récemment le Hamas, avec sa rhétorique de destruction génocidaire de l’Etat d’Israël, a gagné les élections palestiniennes de 2006. Et le gouvernement israélien actuel lui a été constitué après les élections de 2022 : c’est bien ce peuple hébreu qui a mis au pouvoir ces extrémistes religieux et ultra conservateurs, pour ne pas dire racistes et colonisateurs au plus haut degré.

Pourquoi ?

On pourra constater que les élites d’un peuple instruit mettent à sa disposition des technologies qui lui confère une supériorité technique et stratégique. Et que quand par un hasard de l’histoire ou les conséquences d’une politique, apparaissent soit une crise économique qui agenouille l’Allemagne dans les suites de la défaite de 1918, soit une droitisation des votes due à une immigration peu instruite en Israël, soit un parti élu par une infime partie de la population palestinienne, c’est dans tous les cas un gouvernement avide de revanche qui pour se maintenir va chercher à satisfaire ses besoins ou les désirs du peuple, et ce avec les moyens supérieurs dont il dispose. Il va utiliser l’avance technologique, la rhétorique, le savoir-faire qu’il tire du savoir de ses élites.

Ainsi le pouvoir issu des urnes se sert des acquis scientifiques et le met au service du désir des masses plutôt que de la sagesse.

Je ne pense pas que la majorité de ton peuple d’Israël soit un jour prête pour accepter sans contrainte la naissance d’un Etat palestinien. Elle préfère vivre dans la crainte du lendemain plutôt que dans la certitude d’un voisinage qu’elle estime impossible. Souviens-toi ma chère Gaïa qu’Israël a été fondé par une décision de ton assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies le 29 novembre 1947. Cette décision a décrété le partage de la Palestine en trois entités : un état juif, un état arabe et Jérusalem placée sous un contrôle international. Tout cela a été bafoué dès le départ et la guerre entre les commandos juifs et les armées arabes a inauguré les relations de voisinage avec comme conséquence la Nakba, c’est-à-dire la catastrophe de l’exode du peuple palestinien. Il serait peut-être temps que l’ONU redéfinisse de nouvelles frontières pour l’Etat arabe afin que la clarté guide les négociations qui s’en suivraient. Car nul doute que sans cela la branche extrémiste du gouvernement israélien élu continuera à grignoter le peu qui reste de cet Etat arabe pour l’avaler complétement.

L’ONU a imposé la création d’Israël qui ne respecte pas ses frontières.

C’est bien l’ordre mondial qui doit s’imposer à nouveau. Il semblerait que tes Russes, tes Chinois et tes Américains soient tombés d’accord pour la coexistence de deux états. Les deux premiers ont voté le cessez le feu. Il manque le troisième qui a le devoir de s’imposer à Israël pour la paix du monde. Le président Biden souffre de troubles cognitifs qui ne lui permettent pas de voir qu’il ne peut pas désirer deux Etats et s’opposer à un cessez-le-feu. Vu de Kepler les solutions sont plus évidentes que de ton sol, mais comme tu me l’écrivais le mois dernier, les Américains ont commis une terrible faute et il est grand temps de la réparer.

« Celui qui commet une faute et ne la répare pas en commet une deuxième » dixit Confucius.

Seule la contrainte d’un cessez-le-feu sous tendu par la menace d’un embargo mondial pourra dessiller les yeux du peuple hébreu qui a oublié ses devoirs envers un peuple qu’il a déplacé pour s’enraciner. Rappelle-toi des paroles de ton philosophe juif Emmanuel Levinas qui souhaitait mais regrettait l’enracinement chtonien du peuple hébreu qui cherche son salut par la force et ne trouvera donc que l’incompréhension malgré sa longue souffrance et son errance. Peut-être a-t-il oublié les préceptes que certains de ses ultrareligieux – les Hassidim – ont conservé, quand s’affichent sur les murs de leur quartier leur proximité avec le peuple palestinien. La politique israélienne va dans le mur des lamentations et la paix est introuvable avec sa politique qualifiée d’imbécile par l’éminent historien et diplomate juif Elie Barnavi qui comprend que le but affiché de la guerre d’éradiquer la tête du Hamas est en contradiction avec celui d’obtenir la libération des otages qui lui font bouclier. Israël doit non pas se débarrasser des Palestiniens mais de leurs bourreaux, Benjamin Netanyahu et sa clique, qui ont donné l’occasion à l’Iran de se trouver une bonne cause.

Car Israël est seul, cajolé par l’Amérique qui est bien proche et bien lointaine, mais tout à fait encerclé par une myriade de pays qui, soit le haïsse parce qu’il est d’une autre religion et cruel avec le peuple palestinien, soit sont tombés sous l’influence de l’Iran qui elle se cherche comme puissance régionale et se trouvera dès qu’elle obtiendra la bombe H. Le contre-amiral Ami Ayalon, ex-chef du renseignement intérieur israélien (Shin Bet) dit : « Il faut se battre pour un état palestinien, non parce que nous aimons les Palestiniens, mais pour notre sécurité et pour sauver notre identité ».

Beaucoup de ces dirigeants au pouvoir manquent de phronesis, cette vertu qui dispose l’homme à évaluer, dans une situation précise, ce qu’il y a de meilleur à faire pour lui-même et pour les autres.

Cette intelligence de la situation n’est pas donnée à tout le monde et seuls les grands philosophes, les grands poétes, les grands politiques en disposent. Dans tes démocraties, tu devrais suggérer à tes parlements de faire évaluer cette phronesis pour tout candidat à un poste de dirigeant. Cela leur donnerait un avantage moral et technique sur les autocrates et tyrans chez lesquels on ne peut imaginer une telle soumission, car ils sont basiquement tournés vers leur bonheur personnel. Et quand on voit les catastrophiques résultats récents du choix de certains peuples, on comprend qu’il est grand temps de les modérer par les qualités d’un dirigeant plus à même de prendre les bonnes décisions ; ce qui restera plus facile à instaurer que l’introduction constitutionnelle de contre-pouvoirs scientifiques et historiques.

Ma chère Gaïa, j’ai l’impression que tu arrives aux limites des bienfaits de la démocratie.

Si ton Trump est élu aux États-Unis, tu vas commencer à détester ce mode de gouvernance et te rendre compte que l’heure de la revanche populiste a sonné, car un peuple a tous les défauts s’il n’est pas modéré par la connaissance de l’histoire, le respect de la justice ou la crainte du retour de bâton. Les systèmes monarchiques éclairés ont fait mieux que ces démocraties qui deviennent menaçantes et se pensent au-dessus des lois par le simple fait qu’elles sont le fruit de la majorité de leur peuple.

Ça n’est pas un sauf conduit moral que d’être le produit d’une majorité d’imbéciles.

Ma chère Gaïa, tu es naïve. Comment as-tu pu croire que le choix majoritaire d’un peuple, c’est-à-dire la démocratie, n’aurait que des buts pacifiques. Un peuple reste un peuple et son essence est l’expansion qui se manifeste dès qu’il se sent fort. Comment as-tu pu imaginer que les plus puissants n’en profiteraient pas pour contraindre les plus faibles à passer sous leurs fourches caudines ?

Chaque peuple est impérialiste par essence, qu’il soit gouverné par un tyran ou par un président. Sa vertu ne doit pas se contenter d’un mode de scrutin majoritaire. Si vertueux il se veut, le prouver il le doit. La démocratie n’est pas un blanc seing de virginité politique. Et quand tes Occidentaux se drapent dans sa toge pour valider leurs choix, ils doivent être exemplaires en droit et ne pas se contenter de rappeler leur mode de gouvernance qui ne suffit pas à tout excuser, mais rend le peuple directement responsable des décisions de ses dirigeants.

Regarde à quoi aboutit le suffrage universel, celui qui menace de ramener un justiciable sur le trône de l’Amérique.

Les journalistes se posent la question de l’inéligibilité du candidat Trump visé par déjà trois affaires criminelles. Faut-il laisser le choix au peuple de l’élire ou donner aux juges de la Cour Suprême la possibilité de l’écarter du scrutin ?
Si tu te réfères à la sagesse du penseur chinois Ji Zi, conseil de la dynastie de Zhou (1048 av JC) qui donnait au peuple une voix et deux autres aux entités célestes, qui pourraient être ici représentées par la Cour Suprême, il faut que la Cour Suprême décide. Le risque est bien sûr de déclencher une guerre civile si elle prive le candidat Trump d’élection. Mais si elle le laisse s’y présenter, la preuve sera établie que la démocratie aura failli à faire vivre le droit et la justice. L’avantage de la démocratie est qu’elle a permis jusque-là l’alternance des pouvoirs. Mais comme tout bon tyran, son dernier avatar à la jaunasse mèche en bataille a, en lançant ses fidèles contre le Capitole, essayé de conserver ce pouvoir malgré sa défaite.

Je crois qu’il est temps pour tes peuples démocrates d’instaurer une démocratie bipolaire pour traiter la bipolarité de ton monde.

Deux bulletins pour chaque citoyen, un pour, un contre, sans être obligé d’utiliser le vote contre. Les candidats démagogues, extrémistes, populistes qui séduisent les insatisfaits chroniques avec des arguments irréalisables, verraient leur score tempéré par le rejet qu’ils inspirent dans l’électorat modéré. Deux votes pour et un vote contre ferait seulement un vote pour. L’avenir de ton monde passe peut-être par cette démocratie prenant en compte le désir mais aussi le rejet qui fait bien partie de l’esprit de chaque électeur.

Je m’ennuie et me noie dans l’Univers céleste de la béatitude et je t’envie.

De tous tes problèmes à résoudre, surgiront des solutions car, comme disait ton penseur Merleau Ponti, quand le problème est posé, c’est déjà la solution qui s’annonce. Et cela t’occupera l’esprit au lieu de tourner à vide et sans but, ce qui j’espère sera encore longtemps le cas, mais sans cette angoisse de la vacuité des pensées et de l’inutilité des actions qui me menacerait si je n’avais pas cette distraction que me procure les aléas de ta vie.

Je t’envoie les photons de mon astre, non pas pour te réchauffer mais seulement pour t’éclairer d’un infime éclat qui tentera de dissiper tes ombres.

Ton Aurore

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