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Lettre de Gaïa à Aurore Kepler 452B (conte poétique d’actualité- 3-)

Voici la lettre que notre planète la terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, écrit à une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne.

Dr Gilles Voydeville

Par Gilles Voydeville

 

Cher lecteur,

Voici une nouvelle lettre que notre planète la terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, écrit à son amie Aurore Kepler. Cette autre planète, dénommée Kepler 452b par la NASA, tourne dans la constellation du Cygne à 1400 années lumières de la nôtre. Elle y a été découverte en 2015 par le satellite observatoire Kepler. Par sa taille, sa masse, son âge (plus vieille de seulement 1,5 milliards d’années) et par l’orbite qu’elle décrit autour de son étoile, elle a la particularité de posséder des similitudes avec notre mère Gaïa. D’après la communauté scientifique, elle pourrait être habitée.

 

Gaïa
3 ronde du soleil
Superamas de la Vierge
Lanikéa, Voie Lactée

à Aurore Kepler
452b
Constellation du Cygne

Ma chère Aurore

Je n’ai pas pu attendre ta réponse à ma précédente lettre. Il fallait que je t’écrive à nouveau. Tu vas me croire impatiente, mais je le suis. Je voudrais connaître ton avis mais surtout dans l’attente, cette lettre me permettra de clarifier mes pensées pour organiser l’avenir.

Comme je te l’annonçai, malgré la peur que lui inspirent mes virus les Couronnés, mon petit être charmant va bientôt oser ressortir de ses maisons. Son agitation stérile et nauséabonde va donc reprendre. Je ne sais que faire. S’il sort maintenant, je crains pour mon repos et pour mon avenir. Mais si je lui envoie une nouvelle vague de mes microbes, j’ai peur qu’il s’en affole et crée une situation qui mettra tout en péril par une guerre que je crains terrible. Car tu sais qu’avec son champignon géant, il a acquis la possibilité de détruire en peu de temps toute vie à la surface de mon écorce.

Des fabriques de remèdes

Pour l’instant avant la déconfination, par différents moyens, j’essaie d’entraver le système de défense que Charmant a élaboré. Sa gent des laboratoires, celle qui dépèce et essaie de comprendre comment mon Couronné agit, pêche comme les autres par vanité. Il suffit qu’elle voie miroiter un prix, une reconnaissance pour qu’elle bâcle ses procédures afin d’être la première à publier pour ébahir, étonner, subjuguer le reste de la gent charmante.

coronavirus structure (https://www.scientificanimations.com)
coronavirus structure (https://www.scientificanimations.com)

Et en accouchant d’un Couronné si beau et si multiple, si plein de ressources et si inventif, un virus qui a tant de cibles et de caractères, j’ai mystifié Charmant. Mon microbe est plus complexe qu’il ne le croit et je donne du fils d’acier à tordre à ses mains délicates. De fait certains jours, un Charmant affirme qu’il a trouvé un remède efficace sans vraiment le comparer aux autres remèdes. Il écrit dans la précipitation des choses qui sont démenties par d’autres qui suivent sans que les suivantes soient plus rigoureuses que la précédente. Le caractère imparfait de Charmant est une aide précieuse dans le combat que je lui livre. Et il y a mieux : d’autres Charmants, travaillant pour des fabriques de remèdes, n’hésitent pas à en concevoir des inutiles, fort chers, qu’ils essayent contre mon Couronné. Le temps que l’on s’aperçoive de leur inefficience, ils se sont enrichis. Les Charmants crédules sont victimes de leurs avides congénères. Cela suffira-t-il à retarder sa victoire ?

Des pensées folles

Tu ne le sais pas, mais depuis tant de millions de cycles à tourner autour de mon astre le Soleil, j’aime regarder mes campagnes verdoyer sous le chant roulé des rouges-gorges, mes cerisiers fleurir sous les volutes allègres des rossignols, l’Himalaya s’enneiger sous le regard de ses vautours, mes cieux d’Europe soutenir de leur faix le vol des voyageuses cigognes ou mes forêts d’Amazonie s’étourdir du langage multicolore de ses Aras. Et je me dis que l’apparition de mon petit être charmant n’a pas enchanté ma terre car elle l’était bien avant lui. Parfois, j’ai des pensées folles et je suis partagée entre la distraction qu’il me procure et les bienfaits dont son extinction me comblerait. Elle permettrait à nombre de mes créatures de retrouver les vastes espaces de leurs ancêtres. Aux troupeaux de bisons de soulever des nuages d’ocre dans les grandes plaines américaines. Aux mammouths de s’asperger dans les mares des savanes africaines. Aux loups de hanter les froids hivers des forêts alpines.

Aux ours de se régaler du miel des Pyrénées.

Mais je doute que la disparition de Charmant se fasse sans des dégâts immenses pour le reste de mon monde. Car quand Charmant est menacé, les plus forts d’entre les siens tuent les plus faibles pour s’accaparer de quoi survivre. Et sans vergogne, il use d’armes dont il ne contrôle ni l’effet, ni les conséquences pour le reste de ma terre. Charmant peut supprimer son ennemi sans s’interroger sur la nuisance des armes utilisées, comme il le fait quand il détruit mon monde pour exister. Seule la victoire compte, disait le général Pyrrhus qui est resté un modèle de Charmant vainqueur souffrant plus que le vaincu. A la même époque, un autre peuple de Charmants avait inventé le salage de ma terre pour que la vie ne renaisse jamais sur celle de ses ennemis. Bel exemple du respect de ma nature ! Charmant est parfois vraiment insupportable. Il feint toujours d’ignorer les conséquences de l’usage qu’il fit du champignon géant. Soixante quinze cycles plus tard, les rayonnements de ses micelles actives sont toujours et seront encore là pendant les millions de cycles que je ferai et ils empêcheront la vie là où les vents ont porté ses particules.

coronavirus structure (https://www.scientificanimations.com)
coronavirus structure (https://www.scientificanimations.com)

Seconde attaque

J’avais donc bien envisagé de faire subir à Charmant un nouvel assaut de mon Couronné. Car ma première vague de microbes s’épuise et va bientôt se mettre en retrait. Les conditions de mes atmosphères ne lui sont plus favorables. Quant à demander à mon microbe de trouver suffisamment d’énergie pour lancer une seconde attaque, je n’ose le faire car je pense qu’il n’en a pas les moyens. Seuls deux de ses homologues, des influenzae, l’un espagnol et l’autre petit chinois, y ont réussi. Alors que des milliers d’autres y ont échoué.

Mais sache que j’ai la possibilité d’attaquer Charmant d’une autre manière. N’en parle pas à nos proches car la surprise est toujours l’arme fatale. C’est un moyen plus subtil qui ne l’oblige pas à se battre pour posséder ce qu’il n’a pas et que les autres Charmants possèdent. Un moyen qui touche tous les Charmants en même temps. Je t’explique : Charmant a construit aux quatre coins de mon écorce quelques grandes maisons où l’on torture mes microbes en leur arrachant le cœur, en les écorchant, parfois en les émasculant. Ce sont des forteresses gardées d’enceintes de pierres, de verres et de flux laminaires. Les charmants y sont harnachés comme quand ils voyagent dans notre Univers, la tête sous des bulles et des cordons dans la veste.

Charmant appelle cela des P4 et il est très fier de ces camps de concentration.

Mais tous les P4 ne sont pas toujours aussi parfaits qu’il devrait l’être. Dans l’un d’entre eux, j’ai déjà organisé une évasion et je projette de recommencer. Comme il me faut un allié dans l’enceinte de ces laboratoires, j’en trouve souvent un, mais à son insu.

Donc, j’ai un plan.

De nombreuses pistes encourageantes émergent pour combattre le coronavirus, mais elles doivent encore passer les essais cliniques. Shutterstock

Je connais un certain P4 et je sais que ce P4 travaille sur la jolie petite famille des Clamydiae Trachomatis. Cette petite bactérie rose, sautillante, virevoltante, ronde comme un grain de grenade, pommelée comme une tête d’artichaut, habite sans qu’il s’en aperçoive les parties que Charmant nomment honteuses. Il les inocule à Charmante quand il veut se reproduire ou jouir de la sensation de le pouvoir. Je ne comprenais pas qu’il aime tant s’accoupler alors qu’il a inventé les moyens de ne pas enfanter en le faisant. Je sais maintenant que c’est pour prolonger l’illusion qu’il a de devoir perpétuer sa race.
Donc mes Clamydiae, quand elles prospèrent dans le corps de Charmante, entrainent une cécité ou la rendent stérile. Comme Charmant a trouvé des drogues pour tuer mes Clamidyae, elles ne le menacent plus. Mais comme Charmant est resté prévoyant et joueur, ceux du laboratoire P4 jouent avec le feu de la transmutation de mes petites bêtes. Comme il sait que mes Clamydiae vont trouver, un jour ou l’autre, le moyen d’échapper au traitement en cours, il prépare l’avenir. Pour les mieux contrôler, il les modifie en leur greffant des gênes qui les enragent.

Ainsi il teste de nouveaux traitements sur ces mutants. Mais il se met en danger.

Car tant qu’il n’a pas trouvé de parade, les mutants, s’ils se retrouvent dans ma vaste nature, vont pouvoir laisser libre cours à leur destin. Et le destin de mes Clamidyae, c’est en particulier de rendre stérile Charmante. Si je réussis, dans moins de cent cycles autour de mon astre solaire, il n’y aura plus un Charmant qui vaille et vive sur ma douce écorce d’azur et d’eau pure.
Il va falloir que je distraie l’un de ces laborantins qui se vêtent comme des cosmonautes. Afin qu’il oublie un petit geste pour lui, mais un grand geste pour mon avenir. Charmant a déjà dit ça quand il a foulé ma lune… Par exemple, après de longues pluies, je pourrais générer une belle journée ensoleillée. Pour aller se dorer sous les rayons de mon astre lénifiant, le laborantin verserait le contenu d’un tube dans un évier plutôt que d’accomplir la longue procédure de destruction. Ainsi quelques gentes Clamydiae iraient rejoindre les égouts avant de reconstruire une patiente chaine qui remonterait jusqu’à sa cible… Ma chère Aurore, je vais agir dans ce sens…

Je rêve dans l’Ether

La terre vue de l'espace. Christian Fagerstrom/Flickr, CC BY-SA
La terre vue de l’espace. Christian Fagerstrom/Flickr, CC BY-SA

Tu vois, rien qu’en y pensant je retourne dans la sérénité. Sa disparition me permettrait de retrouver mon équilibre, de protéger nombres de mes créatures célestes, terrestres et océaniques, déjà agonisantes et bientôt disparues. Je me couvrirais le corps d’une immense canopée aussi douce qu’un voile de mariage. Je recouvrerais une candeur de mes pôles aussi éclatante qu’un diadème de sacre. Je laisserais éclore de microscopiques vies dansantes et chantantes, grouiller des vermicelles adorables dans la primeur de leurs soupes. J’enfanterais des croisements insolites d’où jailliraient des gerbes étincelantes de frais parfums et de chants mélodieux. Tu vois, je rêve dans l’Éther de feu mon père. J’imagine des rondes sans orages ni typhons déracinant mes palmiers comme fétus de paille de litière. J’aperçois des lunes changeantes sans que les furies de mes océans contrariés n’inondent mes deltas. Je caresse des moussons fécondes qui n’emportent point mon humus pour me découvrir la rocaille. Je goûte déjà la fraîcheur des langues des glaciers dévalant mes couloirs diamantés de topaze.

Pas trop de risques

Remarque, je fais des plans B, mais le déconfinement n’étant pas encore arrivé, il va peut-être y avoir des surprises. En effet, Charmant veut rouvrir les écoles de ses tout petits. Vu le peu de confort que trouvent mes Couronnés dans le microbiote des petits et la rareté de ses amies les mycoplasmia pneumoniae dans leurs poumons, Charmant ne prend pas trop de risques. Mais il en prend un peu car il ne connaît pas tout. Pour l’instant mon Couronné reste discret, mais malgré mon opposition à ce projet, je sais qu’il a trouvé quelques failles pour pénétrer l’intestin du petit Charmant.

Les effets n’en sont pas mortels mais c’est sur le cœur du petit que se portent ses méfaits.

Si les petits sont à nouveau réunis dans les grandes maisons où ils piaillent et apprennent ce que leurs parents veulent leur faire croire, mon Couronné va trouver un nouveau moyen de savoir si sa dernière action est efficace. Mais s’il réussit, je ne le lui pardonnerai pas car je trouve cela cruel. J’ai toujours eu un faible pour les petits. Même un bébé Tyrannosaure m’est adorable quand il essaye de faire ses premiers pas sur ses petits petons griffus. Il se lève, il pose une patte devant l’autre et puis roule dans la poussière en émettant un petit cri de dépit qui fait s’envoler tous les volatils à la ronde. J’espère donc que Charmant n’hésitera pas à refermer ses écoles s’il le faut, suivant ainsi les germains charmants qui souffrent moins de cette épidémie et empestent déjà mon air du tapage et de la fumée de la reprise de ses machines, mais qui ont opté pour la prudence.

Ah, si j’étais Charmant!

Car je ne suis pas à court de moyens. J’ai encore de petites surprises pour Charmant. Ce sont de magnifiques réserves qu’il subodore à peine. Des milliards de milliards de petits germes déposés il y a des millions de cycles par des queues de comète qui fouettaient mon ciel. C’était du temps de ma jeunesse et je me laissais fouetter car je pensais le mériter. Grand bien m’en prit car il fallait bien que je sois fertilisée pour produire du vivant. Ainsi mes grandes montagnes accrochèrent-elles ces nuées qui traînaient derrière ces astres filants. Elles en furent parsemées de myriades microbiennes.

Certaines permirent l’éclosion de la vie sur mon manteau virginal. Beaucoup périrent et eurent pour linceul des étendues stériles. D’autres survécurent, sidérées par les froidures de mes sommets et par les blizzards de la banquise de mes pôles, engourdies, endormies mais vivantes. Aujourd’hui la fonte des glaces que les machines de Charmant ont provoquée, pourrait les faire sortir d’un long sommeil si mon prince le Soleil les embrasait. Ah, si j’étais Charmant, je me méfierais de ces ruissellements de glace qu’il observe goguenard car, sous leur fluidité, ils cachent des périls qu’il ne tardera pas à qualifier d’Apocalypse.

La vie sur Terre n’a plus de sens

Tu vois, j’espère au plus profond de mon magma que Charmant va comprendre ce qu’il a fait et pourquoi je l’aide d’une brutale façon. Mais c’est la seule qu’il ait jamais comprise. Il est dur de la feuille comme un palmier des îles et entêté de certitudes comme un équidé aux longues oreilles. Car la vie sur ma terre est si bizarre.

Les uns vivent dans une telle abondance de biens qu’ils en perdent le sens de la fraternité.

Sur certains de mes continents, on voit mourir des gens charmants dans la rue et d’autres moins charmants les côtoyer sans un regard pour leur misère. La vie sur ma terre n’a plus de sens. Certains Charmants pensent qu’elle n’en a jamais eu. D’autres pensent qu’elle n’en a pas mais que ce qu’ils appellent l’amour peut lui en donner. Ainsi les moins charmants aiment leurs biens et leur confort. Et les plus charmants aiment tous les autres charmants même les moins aimables et surtout ils aiment ma terre. J’aimerais que mon Couronné fasse comprendre à Charmant qu’il est temps de respecter ses frères les humbles charmants, ses cousins les animaux du monde et ma nature qui est sa matrice et sa nourrice. Car sinon je reviendrai à la charge pour qu’il se mette bien dans la tête qu’il n’y a pas d’autre issue. Je ferai de mon mieux pour l’avertir et s’il ne veut rien comprendre, c’est moi qui mourrai et là, il comprendra.

Certains animaux, macaques, dauphins et pigeons, par exemple, se reconnaissent dans le miroir. a_m_o_u_t_o_n /Pixabay, CC BY-NC-ND
/Pixabay, CC BY-NC-ND

 

 

Ma chère Aurore, j’ai bien peur de t’ennuyer avec toutes ces considérations bien terre à terre. J’aimerais que tu me parles de tes ovoïdes, de la façon dont tu gères tes deux lunes – car je crains que le prochain bolide qui me frappera ne m’en crée une seconde – et que tu me donnes quelques nouvelles du Cosmos.

Aurore, bellissime planète du Cygne Dominant, sois assurée de ma tendresse sororale et de mes pensées les plus délicates.

Ta Gaïa

 

Lettre d’Aurore Kleper 452B à Gaïa (conte poétique d’actualité -1- )

Lettre de Gaïa à Aurore Kepler 452B (conte poétique d’actualité – 2- )

Lettre de Gaïa à Aurore Kepler 452B (conte poétique d’actualité – 3- )

Réponse d’Aurore Kepler 452 B à Gaïa (conte poétique d’actualité -4- )

 

 

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