Voici la lettre que notre planète la terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, écrit à une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne.
Par Gilles Voydeville
Nous sommes en janvier 2020 de notre calendrier grégorien. Gaïa, notre Terre considérée chez les Grecs comme un être vivant, écrit à l’une de ses sœurs, Aurore Kepler 452b. Cette dernière a été découverte en 2015 par le satellite observatoire Kepler de la NASA. Elle tourne dans la constellation du Cygne à 1400 années lumières de la nôtre. Par leur taille, leur masse, leur âge (seulement 1,5 milliards d’années de différence) et par la similitude de leur orbite autour de leur étoile, Kepler 452b et Gaïa possèdent des caractéristiques communes. D’après la communauté scientifique, Kepler 452b pourrait être habitée.
De Gaïa
Ronde du Soleil
Bras d’Orion
Voie Lactée
Superamas de la Vierge
A Aurore Kepler
452b
Constellation du Cygne
Bras d’Orion
Voie Lactée
Superamas de la Vierge
Ma chère Aurore
Voici maintenant bientôt deux lunes que je pense à toi, et comme cela fait bien longtemps que nous n’avons correspondu, je t’envoie de mes nouvelles.
Dans ta précédente lettre, je me souviens encore de cette admiration qu’avait fait naître en moi la description de tes paysages. Tu me décrivais des ciels d’orange mordoré sous lesquels se seraient pâmés tous les amoureux des couchers de mon Soleil. Tu me faisais écouter le ruissellement de tes eaux violines serpentant dans le givre arborescent de tes forêts. Tu m’incitais à respirer l’odeur de ta terre d’ocre parfumée de myrrhe. J’ai désiré à cette époque faire éclore sur mon écorce de telles beautés mais je me suis résignée à accepter ma nature en me disant que chaque bienfait n’est qu’apparent et qu’il cache sous sa perfection les affres de sa conception.
Preux comme des chevaliers
Mais j’avais été sonnée par tant d’harmonie et depuis ma précédente missive d’il y a soixante-quinze cycles autour de mon astre, je n’avais pu te répondre. Je me souviens que je t’entretenais alors de la naissance d’un champignon géant, fruit explosif de l’imagination et dernière invention à l’époque de mon charmant petit humanoïde. Cette déflagration m’avait beaucoup perturbée et eut des conséquences qui perdurent encore, mais je n’en suis pas morte.
Aujourd’hui, il faut que je me confie à toi, car cette fois–ci, c’est moi qui ai fait quelque chose d’assez grave. Je sais que je n’avais pas le choix mais comme c’est assez terrible, j’ai encore besoin de me convaincre que j’eus raison de le faire. Avant d’agir, j’ai longuement hésité, je me suis fait des reproches, j’ai changé d’avis, tergiversé, me suis trouvée bête, puis méchante, puis faible. J’ai pris une décision et le lendemain j’en ai changé. Et j’ai tourné en y pensant à chaque instant. Pour tout dire, j’ai traversé tous les états qui précèdent une décision difficile. Et depuis que je l’ai osé, je ne suis pas encore sure d’avoir fait le bon choix. J’en espère des bienfaits mais j’en crains les effets.
Quand je pense à cette Médée qui fut l’une des premières à commettre ce pêché sur ma terre, je suis dans un état d’hébétude éthérée que j’ai hérité des mauvaises passes de notre père.
Voilà ! Sur ma belle écorce, j’ai laissé s’épanouir une magnifique flopée de microscopiques êtres qui sommeillaient tendrement… Jusque là tu n’es pas trop inquiète et mes précautions épistolaires te semblent surfaites. Et si tu les voyais faire une nébuleuse diaphane tranchant avec la pollution de mes airs contaminés par les machines de mon charmant petit humanoïde, tu tomberais sous leur charme… Tu ne trembles toujours pas en redoutant une cruauté annoncée qui te paraît bien exagérée. Et si je te dis que ces microbes sont beaux comme des seigneurs, preux comme des chevaliers et couronnés comme des princes, qu’ils sont vifs, courageux, ardents, qu’ils vont gaiement par les airs le cœur en joie, tu te demandes où est ma faute ? Moi-même je ne me savais pas capable d’engendrer des êtres d’une telle beauté, d’une telle énergie, quand je les voie, mes doutes s’envolent. Parfois mes facultés dépassent mon entendement. J’avoue ne pas me souvenir d’avoir conçu une aussi grande œuvre. Cette grande œuvre est divine dirait mon charmant petit humanoïde – il croit en des puissances occultes – s’il ne s’en savait la cible. Tu me diras que j’ai, pour mes petits virus, l’indulgence des yeux des mères pour leur dernier né. Mais de toutes mes créations et j’en ai commis, toutes ne m’ont pas toujours enchantée. Là, je suis sous le charme de sa belle allure et surtout, de son courage. L’amour, tu le sais ma chère Aurore, voit la forme mais devient le grand amour s’il admire le fond. Mon petit microbe couronné se comporte d’une telle façon, agit de si belle manière et fait preuve d’un si grand savoir que j’en suis tombée amoureuse.
Mon petit Couronné sait trop bien y faire.
Je ne t ‘ai pas encore dit ce que je lui avais confié comme mission à ce petit chéri. Il faut dire que j’en ai un peu honte. En fait, je lui ai demandé de réguler et de rétablir un certain équilibre sur la surface de mon globe. J’en ai grand besoin car je m’épuise à nourrir trop de bouches, je m’étouffe à respirer trop d’oxydes et je me meurs à me découvrir d’ozone des pôles qui se morfondent. J’ai donc ordonné à mes virus d’agir vite. Oui, c’est incroyable que j’en sois arrivé là, je leur ai commandé de supprimer des vies. Et cela chez mes petits humanoïdes, chez ces petits êtres que j’ai longtemps trouvés si charmants, mais qui ne le sont plus. C’est par raison que j’ai agi, la multiplication des bêtises de mon petit être charmant menaçant mon ordre tellurique. Je crains chaque jour pour ma survie. Et comme Charmant – je l’appelle maintenant comme cela par dérision – ne veut rien comprendre, je lui ai adressé mes cruels sicaires. Ce ne sont pas encore les chevaliers de l’Apocalypse. Je peux faire bien pire. Car pour l’instant mes adorables Couronnés ne s’attaquent qu’aux plus vieux des Charmants. Et il ne fait pas beaucoup plus de victimes que mes Influenzae qui l’infestent chaque année.
Je vais te narrer la façon dont j’ai usé
Voilà, j’ai tout initié dans une grande province de l’un de mes continents, là où la gent travaille plus que dans les autres contrées. Pour faire sortir ce petit virus de ses cachettes, j’ai profité de circonstances que je ne peux pas te dévoiler maintenant. Cette grande province est riche en microbes. Ils y vivent à l’abri chez des hôtes qui les tolèrent sans pour cela les rendre malades. J’ai pu à quelques reprises dans un récent passé faire émerger d’autres spécimen de grande envergure. Ces derniers avaient fait un travail conséquent mais aucun n’avait pu dépasser les limites de ce continent et réaliser une pandémie dont j’avais tant besoin. Car ces pandémies sont les seules, avec les grandes guerres de Charmant, à réguler l’accroissement de ses peuples qui sont hégémoniques, pollueurs et prédateurs.
Un Grand Maître
J’ai rusé avec le système de gouvernement du pays en question. Il faut dire que c’est un pays merveilleux. Il est parfaitement organisé, parfaitement travailleur, parfaitement aux ordres d’un Grand Maître et parfaitement persuadé d’être sur la bonne voie pour guider le reste des peuples de Charmant du monde vers le bonheur et le mettre sous la dépendance de son parfait savoir. Dans ce pays, par la centralisation des décisions qui dépendent toutes du Grand Maître et donc par la lourdeur et la lenteur des réactions qu’elle génère, tout concourt pour faire éclore une épidémie qui aura le temps de se répandre avant d’être officiellement reconnue. Et je me devais donc aussi de trouver un enchaînement parfait. Ce fut un cas d’école.
Mes Couronnés, après avoir émergé d’une façon que je te conterai un autre jour, ont pu s’y multiplier avec aisance, bonheur et générosité. Car la gent médicale qui avait perçu le danger et averti ses hiérarques, a dû vite reconnaître son erreur et avouer qu’un si grand pays ne pouvait être menacé par un si petit microbe.
Oui, dans ce pays la communication est parfaitement contrôlée et les lanceurs d’alerte doivent en référer aux commissaires du peuple pour savoir si l’alerte est compatible avec la perfection de la ligne du parti au pouvoir.
Ainsi les petits artifices de mes Couronnés qui s’ingénient à se répandre dans tous les organes de Charmant et donc à se manifester sous des symptômes fort différents, ont-ils trompé, désorienté, mystifié la gent de ce grand pays. Si fait que le Grand Maître et sa gent politique ont nié l’existence de mes Couronnés qui se sont réjouis et ont profité de l’aubaine pour s’égayer, se multiplier et coloniser cette haute province.
Ainsi des myriades de mes délicats microbes ont-elles pu passer de Charmant en Charmant, sans être inquiétées par des médecins dont la vigilance et le pouvoir avait été amoindris par les déclarations officielles. Dans ma fragile atmosphère, faisant des vapeurs ondulantes propulsées par la toux de leurs hôtes, des milliards de microscopiques colonies serties de couronnes ont pu, suspendues entre deux souffles, expirées par les uns puis inspirées par les autres, faire des miracles épidémiques.
Ah, l’Orient!
Tu le vois ma chère Aurore, j’ai été cruelle. Mais j’ai choisi un petit virus qui ne châtie ni les enfants, ni les femmes qui sont engrossées. Ce Couronné adore les globules et plus encore les chaines béta de son hémoglobine. Les mâles en sont mieux pourvus. Si fait que cette merveille épargne les nouveaux nés qui n’ont que des chaînes gamma, les enfants et certaines les femelles, qui en ont moins, ainsi que la gent qui n’en a pas. Mais elle tue les plus vieux et les plus fragiles des mâles.
Ah l’Orient ! Le berceau que j’ai choisi pour mon Couronné est merveilleux. Le peuple y est si travailleur que le reste de mon monde vient y faire fabriquer tous ses ustensiles. Il faut dire que depuis une quarantaine de cycles autour de mon astre le Soleil, ma gent charmante des pays d’Occident se repose. Le petit peuple d’Occident a beaucoup souffert de son exploitation par son élite et, depuis l’avènement de théoriciens qui l’ont convaincue qu’elle avait trop travaillé, elle ne le veut plus. Ainsi, soit par rancœur, paresse et maintenant ignorance et maladresse, dès qu’elle le peut elle fait fabriquer en l’Orient tous ses outils, frusques, binocles, véhicules, médecines et j’en passe, car tout, absolument tout ce que Charmant utilise, collectionne – comme si sa vie en dépendait – est fabriqué en l’Orient…
Les cheminées d’Occident que j’ai tolérées, sont maintenant devenues décoratives alors que celles de l’Orient crachent et puent le charbon jusque dans ma stratosphère.
Ainsi pour acheter, faire fabriquer, s’y brasser et s’y embrasser, les peuples d’Occident viennent de partout en cette grande province de l’Orient. Par cet effet, je suis certaine que d’ici deux ou trois lunes, mon Couronné va se répandre sur toute mon écorce et enfin me soulager de quelques millions d’êtres qui ne me sont plus charmants.
Tu vois là où j’en suis arrivée ! Charmant est si vivace, si prolifique, si fertile que je me dois de régulièrement brider son expansion. Car lui-même n’a pas de mesure et n’hésite pas à s’accaparer tous les lieux et toutes les ressources. Il est trop intelligent. C’est un peu dommage que je n’ai pas pu le faire cohabiter dans le même temps que mes dinosaures. Car je pense que le spectacle de leur affrontement m’eût distraite un moment. Tu imagines d’ici le scenario d’une palpitante histoire à l’affiche : Petit Charmant contre Tyrannosaurus Rex.
Mes jolis dinosaures
La ruse contre la force. Le plus intelligent contre le plus fort. Charmant a déjà imaginé des histoires mythiques décrivant ce genre de combats entre les siens. Il y fait toujours gagner le plus intelligent. Mais moi j’aime bien faire mentir les légendes. Tu imagines les deux plus grands prédateurs de mon histoire qui s’affronteraient dans un combat sans merci. Ah, j’en rêve déjà. Et puis ce serait le meilleur moyen de contrer l’expansionnisme de Charmant. Je n’y avais pas pensé jusque-là mais je vais tout faire pour essayer de réincarner mes jolis dinosaures. Pour jouir d’un vrai spectacle. J’ai trouvé là deux adversaires de qualité. Maintenant je ne sais pas si c’est réalisable ? Il faudrait que j’utilise la technologie de Charmant pour faire renaître ces dinosaures ; car ma nature seule n’y parviendra plus, l’évolution l’a prouvé en soixante dix millions de cycles. Après il faudrait que je fasse s’échapper ces bêtes des enclos où Charmant les aurait parquées. Ah ! Ça me plait.
Un meurtrier en série
Ma chère Aurore, je ne te parle que de moi et je ne me soucie pas de tes habitants. Je sais que tes Charmants à toi s’appellent les Ovoïdes mais qu’ils sont beaucoup plus calmes que les miens. C’est une chance que tu ne mesures qu’à l’aune de mes histoires, et je t’assure que c’est une chance. Car mes créatures m’obligent à faire ces actes pénibles. Faire tuer volontairement mes créatures par des sbires même s’ils sont microscopiques, n’en relève pas moins du comportement d’un meurtrier en série, en grande série dirais-je. Ton savoir ma chère Aurore, c’est d’avoir conçu des êtres intelligents mais quasiment dénués de force. Je sais que leurs petits bras et leurs frêles jambes ne leur ont pas permis de construire beaucoup de choses. Charmant est moins fort qu’un lion mais il fait beaucoup de choses avec ses bras et surtout ses mains, dont des armes, des machines, des robots qui décuplent sa capacité à produire et donc à me nuire par la pollution qu’il engendre. Ses machines lui donnent la force que ma nature lui a partiellement accordée. Il en use et outrepasse mes interdits.
Voilà, faute avouée est à moitié pardonnée me disent les sages Charmants qui sont si peu écoutés. Donc je t’avoue mon emportement, ma hargne, ma colère, ma cruauté pour que notre père Éther et ma mère Héméra puissent m’accorder leur clémence malgré la honte que je vais leur inspirer.
Je vais me consacrer à la réussite de mes Couronnés et ne manquerai de te conter l’histoire de cette aventure prodigieuse.
Et si mon Couronné échoue, je pourrai envoyer d’autres zélotes. Maintenant, j’ai donc aussi ce projet, qui m’est venu en t’écrivant, de guider Charmant à explorer les bouses de mes dinosaures pour en extraire leur ARN. Je sais qu’il en existe certaines qui sont pétrifiées mais peu utilisables, et certainement d’autres dans le permafrost qui vont réapparaître grâce au dégel engendré par le réchauffement de mon atmosphère. Charmant abuse et ne veut pas savoir les risques auxquels l’expose son consumérisme mais il va vite s’en apercevoir.
J’ai fini de me trouver des excuses. J’espère que tu pourras vite me répondre avec ces ondes supra stellaires qui sont nos seuls vecteurs instantanés.
Crois ma chère Aurore en mon éternel attachement, toi la plus éclatante planète de la Constellation du Cygne dont le chant merveilleux se répandra dans les espaces sidéraux, porté en écho par toutes les galaxies quand viendra notre heure.
Ta Gaïa