« Inspiré de faits réels », le film de Mareike Engelhardt évoque le sort de ces jeunes filles occidentales parties en Syrie rejoindre Daech. Un récit sous tension, dans un univers sombre, dramatique.
« C’est un film basé sur le récit de plusieurs jeunes femmes parties rejoindre l’Etat islamique en Syrie », précisait Mareike Engelhardt au Festival de Deauville, où son film « Rabia » (sortie le 27 novembre) recevait le Prix d’Ornano-Valenti, décerné à un premier film français. Un long-métrage « inspiré de faits réels » : outre ces entretiens, la réalisatrice a assisté au Tribunal de Paris à des procès de certaines de ces filles qui, comme bien d’autres, Européennes, Occidentales, ont fait le choix d’une idéologie meurtrière, parlant peu l’arabe, connaissant peu l’Islam, encore moins le pays où elles se sont rendues.
« J’avais envie d’ouvrir un dialogue sur un sujet fort, évoquer si on pouvait éviter que cela se reproduise au nom d’une idéologie ou d’une autre », ajoute Mareike Engelhardt, qui a voulu essayer de comprendre, pourquoi, comment, une jeunesse frustrée, sans repères, choisit volontairement la radicalisation, l’embrigadement.
« Votre vraie famille est ici »
C’est le cas de Jessica, incarnée par Megan Northam (vue récemment dans « Pendant ce temps sur Terre » et « Fario ») jeune Française de 19 ans, aide-soignante dans un hôpital. Elle et sa copine Laïla (jouée par Natacha Krief) partent en Syrie en 2014, rejoindre Daech. A Raqqa, elles sont envoyées dans une « madafa », une maison de futures épouses de combattants ; l’ambiance est d’abord joyeuse, les presque mariées se préparent à leur future union, essaient de la lingerie sexy. Toutes sont en fait soumises au bon vouloir de Madame (interprétée par Lubna Azabal), personnage inspiré d’une vraie et redoutable directrice de madafa, « la veuve noire du djihad ».
« Votre vraie famille est ici », affirme-t-elle à toutes ces jeunes filles, enregistrées, évaluées, réparties, et renommées. Jessica s’appelle désormais Rabia, la rage. Et ne regrette rien de sa vie d’avant : « Là-bas, j’existe pas, j’ai rien à perdre », dit-elle, croit-elle. Ignorant encore qu’elle a tout à perdre, à commencer par sa liberté. Veuve avant d’être mariée, son promis qu’elle ne connait pas étant mort en martyr, Rabia rencontre un autre prétendant, qui essaie de la violer. Alors qu’on lui avait conseillé d’être « douce, souriante et gentille », Rabia l’indocile se rebelle et est punie à la hauteur de l’affront : emprisonnée, isolée, affamée, violentée, fouettée… A sa sortie, elle devient à son tour une tortionnaire, l’adjointe de Madame.
« Rien n’est inventé »
« On s’est trompées », l’implore son amie Laïla, désormais jeune mère qui a compris la réalité de leur situation et tente de fuir ce pays maudit où la guerre perdure. Mareike Engelhardt assure que « rien n’est inventé » dans ce récit terrible, montrant la soumission de femmes par d’autres femmes, un système qui ôte toute humanité. Parties de leur plein gré, ayant cru naïvement aux promesses d’une nouvelle vie, à une grande arnaque, tant de jeunes filles n’ont connu qu’un implacable destin.
Avec toute la rage de Megan Northam et la rigidité de Lubna Azabal, « Rabia » est un film sous tension, un huis-clos dans un univers sombre, dramatique, sinistre, fait de haine, exclusion, vengeance, peur, violence, et fanatisme.
Patrick TARDIT
« Rabia », un film de Mareike Engelhardt, avec Megan Northam et Lubna Azabal (sortie le 27 novembre).