Meurthe et Moselle
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« Notre Dame » comme avant

C’est évidemment avant l’incendie qui a ravagé la cathédrale que Valérie Donzelli y a tourné cette vie trépidante de Maud Crayon. « J’avais envie de retrouver quelque chose de joyeux, de renouer avec la comédie », confie l’actrice-réalisatrice. Rencontre au Caméo à Nancy avec deux artistes lorrains, l’actrice-réalisatrice Valérie Donzelli et le comédien Pierre Deladonchamps.

Un film fantaisiste, décalé, inventif, burlesque, à l’image du cinéma de Valérie Donzelli.

Hasard et coïncidences de l’actualité et du cinéma, Valérie Donzelli terminait le montage de son nouveau film lorsqu’un terrible incendie a ravagé Notre-Dame de Paris, en avril. Stupéfaction, car son film s’appelle « Notre Dame » (sortie le 18 décembre) et que la réalisatrice l’avait tourné en partie dans la cathédrale et sur le parvis. Une semaine avant Noël, les spectateurs pourront donc revoir Notre-Dame telle qu’elle était avant, avec sa flèche pointée vers les cieux. Séquence émotion, forcément.

Dans son film, Valérie Donzelli incarne une Parisienne née dans les Vosges, comme elle ; Maud Crayon, un nom prédestiné pour une architecte. Cette Vosgienne à Paris a une vie trépidante, c’est une femme qui court, dépassée par les événements, elle a un métier donc, deux enfants, un ex immature dont elle est séparée sans l’être vraiment (elle attend un troisième enfant), elle retrouve son amour de jeunesse (un journaliste de France 3 joué par Pierre Deladonchamps), et presqu’à l’insu de son plein gré, elle remporte un concours d’architecture pour aménager le parvis de Notre-Dame.

Des tribulations de Maud Crayon que Valérie Donzelli mène tambour battant, avec ce cinéma fantaisiste, décalé, inventif, burlesque, qui est le sien depuis « La Reine des Pommes », et qu’on retrouve dans « Main dans la main » (avec Valérie Lemercier), et même le drame « La guerre est déclarée ». Un film qui évoque toute la gravité de notre société contemporaine mais avec la légèreté d’un esprit sain, comme si la cinéaste avait reçu une divine absolution. « C’était très impressionnant de tourner dans Notre-Dame vide, la nuit, on nous donnait les clés les plus emblématiques de Paris », confie Pierre Deladonchamps, « On était tous très impressionnés par la puissance du monument, qui est immense et impose une forme d’éblouissement ».

Rencontre à Nancy avec Valérie Donzelli et Pierre Deladonchamps, deux artistes originaires de Lorraine, lors de l’avant-première de « Notre Dame » au Caméo.

Valérie Donzelli : « Maud Crayon, c’est à la fois moi et toutes les femmes »

Outre le fait d’être toutes les deux nées dans les Vosges, quels sont les autres points communs entre Maud Crayon et vous ?

Valérie Donzelli : Je suis de sexe féminin, comme Maud Crayon, j’ai des enfants, comme Maud Crayon, je travaille, comme Maud Crayon… Maud Crayon, c’est à la fois moi et toutes les femmes que je connais, qui m’entourent. J’aime bien partir de ce que je suis et de mon histoire, mais aussi de m’en éloigner pour essayer de raconter quelque chose d’un peu plus universel que ma petite histoire personnelle. La volonté, c’était de faire un film qui soit porté par une femme quadragénaire, qui montre un peu la difficulté de tout mener de front, aussi de faire une comédie autour de l’échec et autour de ce personnage de femme qui est au milieu de sa vie et doit réussir à se libérer, à prendre des bonnes décisions.

Notre-Dame est intacte dans votre film, du coup il en devient un document pour l’histoire…

Oui, effectivement, il y a une dimension un peu historique du fait qu’il y a eu cet incident à Notre-Dame ; dans le film, on la voit comme elle était avant l’incendie d’avril, c’est assez émouvant de la retrouver comme telle.

« Paris a complètement changé ces dernières années et le climat s’en est ressenti », constate Valérie Donzelli.

Comment avez-vous réagi le soir de l’incendie ?

Je ne me suis pas sentie bien, quand on fait un film qui s’appelle « Notre Dame » où il est question d’un projet d’architecture autour du parvis de Notre-Dame, et que tout ça soit très loufoque et burlesque, forcément on n’est pas très à l’aise. On ne sait pas comment les gens vont réagir en découvrant le film, après la peine que ça a suscité, ça a été compliqué. Maintenant, on s’en est un peu éloigné, je pense que les gens sont contents de la retrouver telle qu’elle était.

Il y a effectivement un concours d’architecte dans votre film, alors que le président Macron a aussi lancé un tel concours pour la reconstruction de la flèche…
Oui, c’est fou. On s’est posé des questions, mais le film a été tourné avant l’incendie et finalement on a décidé de ne rien changer, pas même le titre, ça fait partie de l’histoire maintenant. Je voulais trouver un endroit dans Paris qui soit plausible pour y faire un projet d’architecture, et qui pourrait susciter du scandale parce qu’on grefferait quelque chose de moderne. Je trouvais qu’avec le parvis de Notre-Dame de Paris, cette espèce de no man’s land, ça pouvait être tout à fait crédible qu’on lance un appel d’offres pour le réaménager.

« Il y a une dimension onirique dans le film »

Ce fut facile de tourner à Notre-Dame ?

En fait, ça prend du temps d’avoir les autorisations, mais on les a eues et puis c’est tout, on s’est aperçus qu’on était les seuls à avoir demandé, personne n’y avait pensé avant.

Votre personnage est architecte, c’est une façon de renouer avec vos études, vous vouliez vraiment être architecte ?

Non, ce n’était pas une vocation d’être architecte, mais une vocation d’étudier l’architecture pour pouvoir faire de la scénographie, des décors, je pensais que ça me mènerait à quelque chose.

Mis à part dans votre précédent film, « Marguerite et Julien », il y a dans votre cinéma ce côté burlesque, fantaisiste, vous rajoutez même de la magie cette fois…

Oui, il y a une vraie dimension onirique dans le film, ça me tenait vraiment à cœur. Finalement, avec tout ce qu’on m’a reproché dans le précédent film, qui était un conte et s’autorisait toutes les libertés du conte, dont le mélange des époques, je me suis dit que je n’allais pas forcément faire un film dans les clous, comme ce qu’on attend, mais au contraire enfoncer le clou de cette chose que j’ai fait éclore, de film en film, qui est de mélanger les genres et d’essayer de faire quelque chose de singulier. J’avais envie de me réconcilier aussi avec mon travail qui avait été très malmené sur « Marguerite et Julien », et pendant la fabrication et après. Le film a été douloureux dans sa fabrication et dans sa sortie, il a été très rejeté, j’avais envie de retrouver quelque chose de joyeux, de renouer avec la comédie.

Sur le fond, il y a cependant un discours très sérieux, très contemporain, sur l’état d’urgence, les migrants, les attentats…
Oui, c’était vraiment la volonté de parler de choses profondes, mais d’envelopper ces choses-là dans quelque chose d’assez fantasque, d’assez loufoque, d’assez burlesque. C’est ma façon d’aborder le cinéma, je trouve que ça met une pudeur sur les choses dans lesquelles je me sens à l’aise, une zone dans laquelle j’aime évoluer.

« Paris a basculé dans un stress et une peur »

« Ce que j’aime dans le cinéma de Valérie, c’est qu’il y a une patte », confie Pierre Deladonchamps.

Est-ce qu’avec ce gag à répétition, des gens qui se donnent des claques, il faut y voir le comportement quotidien dans les grandes villes ?

Je trouve qu’il y a un truc très agressif à Paris, les gens manquent de se battre pour rien, je trouve que la ville change énormément. Depuis 2015, depuis les attentats, Paris a basculé dans un stress et une peur qu’on ne connaissait pas avant, d’un coup il a fallu qu’on fouille nos sacs pour entrer dans un musée, il y avait des militaires dans la rue avec des mitraillettes, c’était un climat très anxiogène, les gens avaient peur dès que le métro s’arrêtait, tout le monde se scrutait. On a été traumatisés et ça a fait basculer la ville dans une espèce de trop plein d’émotions, Paris a complètement changé ces dernières années et le climat s’en est ressenti, les gens ont peur, ils sont de plus en plus égoïstes, individualistes.

Autre lien avec l’actualité, les prochaines élections municipales, votre maire de Paris, jouée par Isabelle Candelier, fait vraiment penser à la vraie…

C’est sûr que c’est une référence à Anne Hidalgo, qui a lu le scénario, qui nous a donné les clés de l’hôtel de ville, on a tourné dans son bureau, elle est venue sur le tournage, elle a beaucoup soutenu le film.

Avec « Notre Dame », vous faites encore un flirt avec la comédie musicale, cela fait toujours partie de vos envies d’en réaliser une ?

C’est compliqué parce que, à part Jacques Demy, ce n’est pas un cinéma que les Français aiment particulièrement, les Anglo-saxons en sont plus clients, mais c’est vrai que j’aimerais beaucoup, peut-être que je vais y arriver mais c’est difficile. Les chansons françaises ne se prêtent pas au même rythme que les chansons américaines ou anglaises, on n’a pas inventé le rock, on a inventé Brassens, Aznavour, Piaf, mais on n’est pas pop dans notre culture.

Le fait de tourner dans la plus prestigieuse des églises, c’est un rappel du travail de votre grand-père ?

C’est marrant parce qu’il se trouve qu’il y a en ce moment tout un travail autour de mon grand-père et de mon arrière-grand-père et le fait qu’ils aient restauré des églises dans la Meuse après la guerre. C’est drôle que je fasse un film qui s’appelle « Notre Dame », avec Notre-Dame qui brûle, peut-être qu’inconsciemment ça a joué… Je me suis d’ailleurs dit que j’allais faire un documentaire autour de la restauration du patrimoine, parce que dans les villages l’Etat ne donne pas d’argent pour restaurer le patrimoine, et les œuvres de mon arrière-grand-père sont en train de pourrir, les villages n’arrivent pas à trouver trois francs six sous pour restaurer les fresques qui sont hyper-belles. En fait, il y a plein d’églises, plein de monuments, plein d’endroits qui nécessitent d’être restaurés mais on ne peut pas le faire et on laisse les choses mourir.

Pierre Deladonchamps : « C’est noble la comédie »

Qu’est-ce qui vous a fait accepter de jouer dans « Notre Dame » ?

Pierre Deladonchamps : Valérie, parce que j’aimais son travail, j’avais été hyper étonné de l’accueil de « Marguerite et Julien », parce que j’avais adoré le film, je trouve que c’est rare des films qui soient aussi empreints de singularité. Ce que j’aime dans le cinéma de Valérie, c’est qu’il y a une patte, en plus elle me proposait une comédie, ce que j’affectionne particulièrement même si ce n’est pas mon emploi de base. J’étais ravi de notre rencontre autour de ce scénario et on s’est beaucoup amusés à le faire ; le film est au-delà de ce que j’avais pu imaginer sur le papier, parce que Valérie crée beaucoup sur le plateau.

Pierre Deladonchamps : « Faire rire c’est très dur ».

Dernièrement on vous a vu dans des rôles assez graves, pour un comédien c’est une bouffée d’oxygène que d’entrer dans une comédie aussi fantaisiste que celle-ci ?

Exactement. Ce n’est pas moins de travail, je n’y mets pas moins d’implication personnelle, mais c’est vrai qu’on va chercher dans des endroits différents. J’ai l’impression que dans la comédie on fabrique plus tout en essayant d’être crédible au premier degré ; dans le drame je fais plus appel à des choses vraiment très personnelles, dont je sors aussitôt que la scène est finie. Faire rire c’est très dur, et en fait c’est noble la comédie, c’est très dur de faire une bonne comédie, intelligente, avec un fond, et dans le film de Valérie il y a plein de choses, dans chaque scène on peut retrouver des choses qui font écho à l’actualité, à la condition des femmes, ou la précarisation du travail, c’est aussi politique de faire un film.

Vous avez réalisé un court-métrage, « Les âmes sœurs », est-ce que cela vous a donné l’envie de passer à la réalisation d’un long-métrage ?

Oui, je suis en développement de mon premier long-métrage, avec des producteurs qui m’ont fait confiance ; ça ne veut pas dire que le film verra le jour, ils m’ont engagé pour leur remettre un scénario, que je suis sur le point de leur remettre très prochainement. Je me suis inspiré d’une pièce de théâtre japonaise, « L’arbre des tropiques » de Yukio Mishima, l’adaptation très libre m’a servi de base de travail, c’est aussi un hommage au cinéma. Et je vais essayer de décrocher l’avance sur recettes au CNC, qui est un peu un graal quand on veut faire un premier film. Aujourd’hui, l’état du cinéma français fait qu’avant d’écrire un film, il faut déjà penser à l’exploitation et la façon dont on va pouvoir le présenter au public, c’est un peu plus compliqué qu’avant avec l’offre numérique.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Notre Dame », un film de et avec Valérie Donzelli (sortie le 18 décembre).

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