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« Les chatouilles » qui blessent

« Je pense que le film peut aider », confie Andréa Bescond qui a coréalisé avec Eric Métayer un film inspiré de son histoire d’enfant abusée.

L'acteur Pierre Deladonchamps et les co-réalisateurs, Andréa Bescond et Eric Métayer, lors de l'avant-première du film à Nancy.
L’acteur Pierre Deladonchamps et les co-réalisateurs, Andréa Bescond et Eric Métayer, lors de l’avant-première du film à Nancy.

De son histoire, Andréa Bescond avait fait un spectacle, « Les chatouilles ou la danse de la colère », monté avec Eric Métayer. Ensemble, ils l’ont adapté au cinéma sous le titre « Les chatouilles » (sortie le 14 novembre). Des « chatouilles » qui blessent à jamais la petite Odette blondinette, victime d’un pervers qui veut « jouer à la poupée » avec elle, le bon « ami de la famille » interprété par l’acteur nancéien Pierre Deladonchamps. Père aveugle et mère rigide dans le déni total, les parents (joués par Clovis Cornillac et Karin Viard), n’ont rien remarqué, rien vu : « C’est tellement énorme qu’on ne veut pas voir », estime Eric Métayer.

Après avoir reçu un Molière pour le spectacle, Andréa Bescond joue bien sûr dans ce film sélectionné au Festival de Cannes (à Un Certain Regard) ainsi qu’au Festival du Cinéma Américain de Deauville, où il a reçu le Prix d’Ornano Valenti. Andréa incarne Odette, version adulte, qui raconte à une psy (jouée par Carole Franck) ce qui lui grignote la tête. Du cabinet du thérapeuthe, elle se téléporte dans sa chambre d’enfant, comme un saut dans l’espace-temps, pour mieux raconter ses affreux souvenirs. « Le film est juste à la limite du théâtre et du cinéma, on est venus avec notre bagage de théâtreux, on avait envie de faire exister notre art dans l’écran », dit Eric Métayer.

Bientôt, Andréa Bescond abandonnera son rôle dans la pièce à une autre comédienne. « Je suis prête à me libérer de tout ça », confie-t-elle, « Je travaille tous les jours en vue de la résilience, le trauma est là, il sera toujours là, on s’en éloigne beaucoup les uns et les autres, et parfois il nous resurgit à la figure, c’est un travail quotidien ». Rencontre avec les co-réalisateurs, Andréa Bescond et Eric Métayer, et l’acteur Pierre Deladonchamps, lors de l’avant-première des « Chatouilles » à l’UGC de Nancy.

Andréa Bescond : « Les violences sexuelles sont proches de ce que j’ai vécu »

"On s'est amusés à garder l'onirisme, la fantaisie, l'humour", dit Andréa Bescond, ici sur le tournage avec Eric Métayer.
« On s’est amusés à garder l’onirisme, la fantaisie, l’humour », dit Andréa Bescond, ici sur le tournage avec Eric Métayer.

Est-ce que faire ce film vous a apporté un peu d’apaisement ?

Andréa Bescond : En fait, je crois que j’étais déjà dans une étape d’apaisement avant qu’on ne tourne le film, on l’a écrit dans un moment compliqué, quand je jouais le spectacle au Petit Montparnasse à Paris, je l’ai joué six fois par semaine pendant six mois, j’étais fatiguée, je me confrontais tous les jours à cette histoire, c’était difficile. Je me suis rendue compte que je cachais que c’était mon histoire pour protéger mes proches, à partir du moment où je l’ai révélé, je suis allée beaucoup mieux. Du coup, au moment où on tourne le film, je me sens déjà très libérée de ce traumatisme et j’aborde le personnage d’Odette comme un rôle, je m’étais complètement séparée de moi. Avec Eric, à l’écriture du scénario, on avait un peu transformé les schémas familiaux pour me permettre de ne pas me confronter encore et toujours à ma propre histoire. Evidemment, les violences sexuelles, les viols et la relation à l’agresseur sont très proches de ce que j’ai vécu, mais pour le reste on a beaucoup créé pour me protéger.

Avec ce sujet si délicat, comment avez-vous dirigé la petite Cyrille Mairesse, qui joue Odette enfant ?

Cyrille savait de quoi on parlait, elle savait ce que c’était que les chatouilles, elle savait qu’on parlait de violences sexuelles, elle était tout à fait dans la compréhension de ce qu’on tournait. Elle avait conscience de tout, mais en revanche, elle n’entendait pas de propos trop engagés sexuellement. Elle a pris ça comme un rôle de cinéma, un personnage de cinéma, c’est une enfant actrice et elle a pris la responsabilité de le faire. Il était hors de question qu’on traumatise l’enfant, évidemment, ça aurait été un comble, on était très proches.

Est-ce que vous avez l’espoir, l’envie, que votre film libère la parole des victimes ?

C’est vrai qu’on a un devoir de divertissement, de parler de choses compliquées de manière sociétale, mais oui je pense que le film peut aider, comme le spectacle a aidé. Forcément, le cinéma touche beaucoup plus de monde que le spectacle vivant, j’espère que ça peut libérer. En tout cas, on explique tous les comportements à risques qui découlent des violences sexuelles, tous les psycho-traumatismes, on évoque l’addiction, la drogue, l’alcool, l’hyper-sexe, on évoque l’emprise de l’adulte sur l’enfant, qui est complètement mutique et on comprend pourquoi.

Finalement, il y a d’ailleurs assez peu d’affaires de pédophilie qui vont en justice…

En fait elles vont en justice mais elles sont correctionnalisées, un crime devient automatiquement un délit. Ce qui m’est arrivé quand j’ai porté plainte contre mon agresseur, enfin cet agresseur, il ne m’appartient pas, mais quand j’ai porté plainte on m’a dit qu’il était connu pour ce genre de faits, mais à l’époque, ce n’était que des attouchements, c’était un délinquant sexuel. Quand j’ai porté plainte, c’est devenu un criminel sexuel. On a réussi à aller en Cour d’assises mais ce n’est pas très courant, surtout de longues années après. On enquête très peu en France sur les suites de la délinquance et de la criminalité sexuelle.

Malgré un sujet dramatique, vous avez choisi de mettre de la fantaisie dans la mise en scène du film et de faire vous-même les séquences de danse ?

C’est vraiment mon premier amour, la danse. J’aurai volontiers passé le flambeau à quelqu’un, mais j’ai une danse assez viscérale, assez terrienne, on avait envie qu’il y ait cette énergie-là. On voulait faire un film de cinéma, c’est notre premier film, on voulait détourner les codes et garder notre empreinte de spectacle vivant, amener de l’artisanal dans le milieu du cinéma, c’était un challenge pour nous. On s’est amusés à garder l’onirisme, la fantaisie, l’humour, la fraîcheur… Je rêvais de faire un spectacle où je jouais les personnages toute seule, ça me passionnait techniquement ; les producteurs des Films du Kiosque l’ont vu à Avignon et nous ont proposé de faire le film et on s’y est collés. Evidemment, pour des artistes, c’est très excitant, on voulait en faire un outil artistique qui nous ressemble en dépit du fait qu’on n’a pas fait d’école de cinéma. La proposition était trop belle pour avoir peur.

Pierre Deladonchamps : « J’ai été bouleversé par la pièce »

"C’était un rôle effectivement lourd de sens, mais je trouvais que c’était très important", dit Pierre Deladonchamps,qui incarne l'agresseur de la petite Odette.
« C’était un rôle effectivement lourd de sens, mais je trouvais que c’était très important », dit Pierre Deladonchamps, qui incarne l’agresseur de la petite Odette.

Vous jouez « le méchant » de l’histoire dans « Les chatouilles », comment avez-vous appréhendé ce rôle difficile ?

Pierre Deladonchamps : Un acteur se doit aussi de ne pas faire que des rôles qui le mette en valeur, valoriser l’œuvre en elle-même c’est déjà beaucoup. Quand j’ai été convié par Andréa à voir la pièce à Paris, j’ai été bouleversé, je l’ai trouvé magnifique et je ne me voyais pas lui dire non. J’ai certes eu un moment d’hésitation parce que c’était un rôle effectivement lourd de sens, mais je trouvais que c’était très important. Quand ils m’ont expliqué avec Eric les raisons pour lesquelles ils faisaient appel à moi, ça m’a d’autant plus conforté, puisqu’ils voulaient que ce personnage ne soit pas un archétype du criminel. On pense toujours qu’un pédophile va avoir l’air libidineux, les cheveux gras, un imper, et attendre à la sortie des écoles ; dans la majorité des cas, ça se passe dans le cercle familial, très proche. Je trouvais ça tout à fait sensé qu’ils me proposent ce rôle à moi qui, je l’espère, n’avait pas la tête du pédophile type. C’était intéressant d’ouvrir les choses pour que ça puisse parler au plus grand nombre.

Et parce qu’il a une bonne tête de gendre idéal, qu’il est manipulateur, personne ne se rend compte de rien…

Si les enfants ne se faisaient violer que par des personnes qui ont la tête de pédo-criminels, il y en aurait beaucoup moins. En l’occurrence, ce sont souvent des gens qui peuvent avoir une très bonne gueule, très sympas. Ce sont souvent des enfants qui sont un peu esseulés dont on abuse plus facilement,  dans le film cette petite fille est seule dans sa chambre, elle dessine, elle est dans son univers. Une pulsion de pédophilie, on sait que ce n’est pas normal, mais la personne qui l’a n’est pas toujours consciente que ce n’est pas normal ; si elle ne l’est pas, il faut lui expliquer. Certes, un pédo-criminel doit être puni pour ce qu’il a fait, mais on n’accompagne pas les personnes en vue qu’il y ait moins de récidive, quand il y a un dysfonctionnement dans la société il faut aussi penser à la façon dont on le prend en charge. C’est avant tout important que la victime soit reconnue, qu’elle soit prise en charge, et qu’elle puisse se reconstruire.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Les chatouilles », un film de Andréa Bescond et Eric Métayer (sortie le 14 novembre)

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