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Une jolie « Photo de famille »

« C’est un film sur la réconciliation », confie la réalisatrice Cécilia Rouaud, qui fait dans son film le portrait d’une famille décomposée.

Un film qui évoque les relations familiales et la maladie avec sensibilité.
Un film qui évoque les relations familiales et la maladie avec sensibilité.

Qui va garder mamie ? Comme dans bien des familles, la question se pose dans le film de Cécilia Rouaud, « Photo de famille » (sortie le 5 septembre). Pas son fils, joué par Jean-Pierre Bacri, divorcé depuis longtemps (son ex-épouse est incarnée par Chantal Lauby), et qui reconnaît qu’il a « merdé » avec ses enfants. Ceux-ci sont interprétés par Vanessa Paradis, Camille Cottin, et Pierre Deladonchamps, tous très occupés avec leur propre vie : Gabrielle est mère célibataire et fait statue comme métier, Elsa dit le « dragon » voudrait bien faire un enfant, et Mao le surdoué des jeux vidéo vit sans sa bulle.

Pourtant, les petits-enfants envisagent de prendre chez eux, chacun leur tour, leur chère grand-mère malade de 87 ans, qui ne sait plus où elle habite. « Ils sont très immatures par rapport à ça, ils pensent que ça va bien se passer, mais ils ne peuvent pas gérer cette personne, ils sont très naïfs », confiait la réalisatrice pendant Ciné Cool, lors de la présentation du film en avant-première dans les cinémas UGC de Nancy. Cécilia Rouaud y était accompagnée d’un « régional de l’étape », l’acteur Pierre Deladonchamps, qui vit dans la cité lorraine (lire interview ci-après).

« Une gentillesse, une douceur, une générosité communes »

Pour composer sa famille de cinéma, la réalisatrice n’a pas forcément recherché un air de ressemblance entre frère, sœurs, et parents : « J’ai cherché d’abord des acteurs de talent, des gens que j’admire et qui me touchent, comme spectatrice ; Pierre, Camille et Vanessa ne se ressemblent pas tellement, mais je trouve qu’il se passe quelque chose entre eux qui fait qu’à la fin ils se ressemblent. Je me suis dit que c’est leur jeu, leur humanité commune, qui allait faire famille, et peu importe les ressemblances physiques. Ce qui allait faire famille, c’est ce qu’ils ont en commun, une façon de considérer le monde, une gentillesse, une douceur, une générosité communes », dit-elle.

Après avoir montré une famille recomposée dans son premier film, « Je me suis fait tout petit », Cécilia Rouaud fait cette fois le portrait d’une famille décomposée. « Il y a eu des petites erreurs : les enfants ont été séparés au moment du divorce des parents, c’était les années 70 ; ils ont séparé la fratrie, ils n’ont pas pensé à mal quand ils l’ont fait, c’est une époque où l’on ne pensait pas pareil », précise la cinéaste, « Et les enfants ne se côtoient pas, ne se connaissent pas très bien, ont manqué les uns des autres et du parent avec lequel ils n’étaient pas. Le seul lieu de recomposition de la famille, c’était à Saint-Julien, chez la grand-mère qui les accueillait tous les étés. C’est à travers elle qu’ils vont se retrouver, en tout cas reconstruire ».

« On est tous et formidables et médiocres »

Trente ans après la disparition de Françoise Dolto, cette « Photo de famille » évoque ainsi les méthodes d’éducation: « Dolto a été parfois mal interprétée, on disait à l’époque l’enfant est une personne, et certains ont entendu l’enfant est une grande personne, et qu’on pouvait faire avec un enfant comme avec un adulte, on en est un peu revenu depuis. Je viens d’un milieu très militant, et j’en suis ravie, cette génération avait une liberté, ils pouvaient repenser le monde, il y a eu des dégâts, mais quand même ils ont fait des grandes choses », dit Cécilia Rouaud.

Avec cette mamie malade d’Alzheimer, qu’il va falloir se résoudre à mettre dans une « maison de vieux », bien des situations du film sont devenues banales dans bien des familles. En évoquant cela avec sensibilité et une grande douceur (à l’image du personnage de Vanessa Paradis), Cécilia Rouaud a tourné un film touchant, qui va forcément émouvoir et faire pleurer. « J’espère que c’est un film sur la réconciliation, qui raconte quelque chose de beau et qu’on n’en sort pas plombé », confie-t-elle, émue par ces spectateurs qui lui disent qu’ils vont appeler leur sœur ou aller voir leur grand-mère : « Et ça me bouleverse, si ça provoque ça, ça valait le coup de le faire. Il y a beaucoup de pudeur dans les familles. C’est quand même très compliqué de dire à quelqu’un de sa famille qu’on l’aime, finalement c’est pas fastoche. Ce que j’aimerai transmettre à travers le film, c’est qu’on est tous et formidables et médiocres, tous, tout le temps. En fait, on fait ce qu’on peut ».

Et comme le confie le père à son fils : « On n’aura pas tout raté finalement ».

P.T.

« Photo de famille », un film de Cécilia Rouaud, avec Vanessa Paradis, Camille Cottin, Pierre Deladonchamps, Chantal Lauby et Jean-Pierre Bacri (sortie le 5 septembre).

Pierre Deladonchamps : « Je suis très fier des films que j’ai faits »

Rencontre avec l’acteur dans sa ville, Nancy.

La réalisatrice Cécilia Rouaud et l'acteur Pierre Deladonchamps, lors de l'avant-première à Nancy.
La réalisatrice Cécilia Rouaud et l’acteur Pierre Deladonchamps, lors de l’avant-première à Nancy.

Dans « Photo de famille », votre personnage n’est pas gâté par son prénom, Mao, mais c’est aussi quelqu’un de replié sur lui-même, un peu autiste, qui a du mal dans la société et dans ses relations avec les autres…

Pierre Deladonchamps : Je ne pense pas que ce soit du nombrilisme, c’est quelqu’un qui a besoin d’attention parce qu’il en a manqué. Il était sans son père et sans ses sœurs, quand il était petit, à cause du divorce. Pour moi, Mao est empêché parce qu’il ne sait pas faire, j’aime bien ce mot : empêché, il n’arrive pas à draguer une fille, il est maladroit, il a un petit problème avec l’alcool, qui l’aide à se désinhiber mais qui crée d’autres choses négatives… Et puis avec la famille, il a une espèce de rejet. Il pourrait avoir tout pour lui et il y a toujours un truc qui coince, qui vient de lui-même, et donc aussi de la façon dont ses parents l’ont élevé ; la distance qu’il a avec son père, l’incommunicabilité, c’est un malentendu, ils sont gauches tous les deux, ils ne se sont jamais dit les choses de manière simple.

D’ailleurs une grande partie des personnages que vous avez incarné ces dernières années ont souvent une fêlure, quelque chose de cassé chez eux…

C’est ce qui fait, j’imagine, les personnages intéressants ; si tout va bien, on s’ennuie. On n’a pas trop envie de voir au cinéma des gens pour qui tout va bien. Au demeurant, vous avez raison, j’aime bien les personnages où il y a derrière quelque chose de l’ordre de la cassure, ou des choses à régler, ou des réponses à aller chercher, comme dans « Le fils de Jean » (film de Philippe Lioret), c’est un orphelin qui va aller à la rencontre de son père, ça me plaît beaucoup les personnages qui sont avec une sorte de densité par rapport au passé.

Est-ce que depuis « L’inconnu du lac » d’Alain Guiraudie, film qui vous a révélé, vous avez l’impression d’avoir fait les bons choix ?

Oui, je suis très fier des films que j’ai faits jusqu’à présent. J’ai beaucoup tourné l’année dernière, mais c’est le hasard des calendriers que les films sortent en même temps, sinon j’essaie de ne pas trop tourner. Parfois en un an, je n’ai aucun film qui va me séduire et je vais dire non à tout, et une autre fois je vais dire oui à quatre films. Vraiment, mon premier moteur c’est la qualité du scénario, de la personne qui le réalise, et des partenaires, en l’occurrence la cerise sur le gâteau c’est que Cécilia Rouaud avait choisi des partenaires fabuleux, avoir tous ces gens dans ce film, pour moi c’était une grande fierté.

« J’écris mon premier long-métrage »

Après « Photo de famille », on va effectivement vous voir dans « Le vent tourne » de Bettina Oberli (sortie le 26 septembre) et « Les chatouilles » d’André Bescond et Eric Metayer (sortie le 14 novembre)…

Oui, c’est une année assez riche, c’est vrai, mais le dernier film que j’ai tourné, « Le vent tourne », s’est terminé en octobre et je n’ai rien tourné depuis, je serai resté un an sans avoir tourné. Je sais que je vais avoir une année riche, je ne veux pas non plus lasser les gens à être dans tous les films.

Et il n’y a pas eu de manque pendant cette année ?

Si, si, mais je fais le choix de privilégier ma vie privée, pour ne pas être absent tout le temps, et de ne pas dire oui pour travailler mais vraiment par choix.

Vous avez réalisé un court-métrage, « Âmes soeurs », présenté au Festival de Cannes, est-ce que ça vous a donné l’envie de passer à la réalisation d’un long-metrage ?

Figurez-vous que oui. J’écris mon premier long-métrage. Pour le court-métrage, j’avais fait le lire le scénario à Cécilia pour avoir ses conseils, parce qu’il y a un peu de comédie dedans et que j’aime bien son sens des dialogues. Il se trouve que mon premier long-métrage traite énormément de la famille, et j’espère pouvoir le tourner, sans jouer dedans, dans les années qui viennent. J’ai beaucoup écrit ces derniers temps, j’ai rencontré des gens qui étaient intéressés par mon travail, et qui avaient envie de me suivre dans la production. C’est fascinant de réaliser un film, même un petit, alors un gros j’imagine même pas…

« Je suis revenu à Nancy un peu dépité, mais mon trou c’est ici »

Vous tirez l’expérience de vos films en tant qu’acteur et des réalisateurs avec qui vous avez travaillé ?

Ce n’est que ça, ce n’est que l’expérience qui m’a aidé à voir comment on faisait un film, à voir qu’il n’y pas de personnalité type pour réaliser un film, sinon être passionné de ce qu’on fait, avoir envie. Effectivement, je me suis beaucoup nourri de tous les talents avec qui j’ai travaillé jusqu’à présent, que ce soit actrices, acteurs, réalisatrices, réalisateurs, ça m’aide beaucoup. Je ne voulais pas le faire pour le faire, mais maintenant que j’ai une idée, une envie, et que je sens qu’on peut m’accompagner, je me lance.

Originaire de Nancy, vous êtes parti à Paris pour être acteur, puis vous êtes revenu, vous envisagez de retourner à Paris ou de rester en Lorraine ?

Je suis revenu à Nancy, un peu dépité, mais quand même par choix, parce que j’en avais marre de Paris, j’avais du mal à m’y sentir épanoui. Quand on n’a pas de travail, pas de sous, c’est une ville très violente, et même quand on en a, c’est pollué, c’est bruyant, c’est stressant, pour moi qui vient de province, et qui plus est un peu de la campagne, puisque j’ai des grands-parents campagnards et que j’y suis très attaché. Je suis retourné un peu par dépit à Nancy, parce que j’étais triste de ne plus travailler, mais aujourd’hui j’y reste avec plaisir. Je vais à Paris souvent, et avec plaisir aussi, mais mon trou c’est ici.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

Dans "Photo de famille", Pierre Deladonchamps joue un personnage "empêché" : "Il pourrait avoir tout pour lui et il y a toujours un truc qui coince", dit l'acteur.
Dans « Photo de famille », Pierre Deladonchamps joue un personnage « empêché » : « Il pourrait avoir tout pour lui et il y a toujours un truc qui coince », dit l’acteur.
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