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Les fausses nouvelles : une histoire vieille de 2.500 ans

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« Journalistes propageant des fake news ». Dessin du caricaturiste américain Frederick Burr Opper, 1894.
Frederick Burr Opper/Wikimedia

Stéphane Le Bras, Université Clermont Auvergne

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr


Le 26 juillet dernier, le Sénat a rejeté la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, sur une proposition du président de la République, Emmanuel Macron, lors de ses vœux à la presse en janvier 2018.

Il préconisait alors la nécessité de faire « évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique [des] fausses nouvelles », ce que le rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire présentent comme un « défi pour nos démocraties ».

Depuis quelques années, cette lutte contre la désinformation – ou « fake news » – est devenue l’un des fondements du débat politique contemporain. Elle sert de support aux hommes et femmes politiques voulant défendre leur action publique ou s’exonérer de tout comportement nuisible à leur carrière, voire aux États cherchant à déstabiliser un adversaire.

Pourtant le recours aux fausses nouvelles dans l’histoire est bien plus ancien que ce que l’actualité récente ne le laisse croire.

Une actualité vieille de plus de 2 500 ans

Ainsi, si l’emploi de l’expression fake news est relativement récent – popularisée durant et par la campagne étatsunienne opposant Hillary Clinton et Donald Trump – l’usage de la désinformation et de la mésinformation est bien plus ancien.

Déjà au VIe siècle avant notre ère, le général et stratège chinois Sun Tzu expliquait dans l’ Art de la guerre toute l’importance de la tromperie et de la duperie dans la conduite d’un conflit. Il insistait notamment sur la nécessité de trouver un compromis entre vérité et mensonge, afin de rendre les fausses nouvelles les plus crédibles et efficaces possibles. Pour ce faire, il fallait bien calibrer son objectif et notamment les personnes-cibles, en jouant sur une autre combinaison, à savoir le couple affect-intellect.

Ce sont ces ressorts qui sont exploités au Ier siècle pour justifier les persécutions romaines envers les chrétiens.

Ces derniers qui se marient entre « frères et sœurs » et qui mangent « le corps du Christ » lors de l’eucharistie sont accusés d’inceste et de cannibalisme. Les autorités romaines jouent sur les émotions des foules afin de soulever un sentiment d’indignation et de rejet qui légitime la condamnation politique, elle-même fondée sur une réprobation morale.

Au Moyen Âge et à l’époque moderne, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre dans des sociétés où la rumeur circule rapidement et où les pouvoirs n’hésitent pas à instrumentaliser les bruits multiples et infondés dans un espace public qu’ils façonnent en grande partie.

L’attente du retour providentiel de l’empereur Frédéric Barberousse, mort noyé en 1190, ou les rumeurs, relayées par les libelles, d’un Paris soumis à une agitation incessante au XVIIIe siècle ne sont que quelques exemples parmi d’autres d’un continuel réinvestissement des principes de Sun Tzu : manipuler pour mieux contrôler.

Frédéric Barberousse (1122–1190), qui attend, selon la légende, l’heure de son retour, dans l’Untersberg (près de Salzbourg en Autriche) – gravure du XIXᵉ siècle.
A. Mame -1893/Wikimedia

L’emballement contemporain

À l’époque contemporaine, la mutation qualitative et quantitative de la diffusion de l’information change la donne.

Dès la Révolution française et l’excroissance des publications relayant des opinions politiques affirmées (Le Père Duchesne ou L’Ami du Peuple par exemple), le phénomène prend une nouvelle ampleur. L’exemple de Camille Desmoulins le montre bien : dans un pays en pleine guerre civile suite aux évènements révolutionnaires, le journaliste assume la manipulation de l’information à des fins propagandistes.

Au même moment, en Angleterre, les Paragraph Men rédigent de courts pamphlets quotidiens ou hebdomadaires, tirés des rumeurs entendues ici ou là, dans les troquets ou dans la rue.

L’objectif est simple : décrédibiliser un personnage public – britannique ou étranger – pour le déstabiliser ou miner sa réputation dans l’opinion publique. Une fois la rumeur partagée par le plus grand nombre, elle devient information et donc gagne en crédibilité.

Avec le développement exponentiel de la presse, le phénomène prend de l’ampleur, notamment dans les périodes incertaines d’interrègne ou de crise économique, lorsqu’on vilipende la main-d’œuvre étrangère, Belges ou Italiens en France par exemple.

La Première Guerre mondiale, comme en témoigne l’historien Marc Bloch par la suite, est un moment aigu d’inflation des fausses nouvelles (les « bobards » en France : celles-ci sont diffusées par les puissances belligérantes bien évidemment, mais également par les soldats entre eux.

Le Canard Enchaîné voit le jour en 1915 avec pour mot d’ordre :

« Le Canard enchaîné prend l’engagement d’honneur de ne céder, en aucun cas, à la déplorable manie du jour : c’est assez dire qu’il s’engage à ne publier, sous aucun prétexte, un article stratégique, diplomatique ou économique, quel qu’il soit ».

Des cibles privilégiées

À partir des années 1880 et durant la soixantaine d’années où l’antisémitisme contemporain s’ancre inlassablement en Europe, les fausses nouvelles visant les juifs gonflent et s’amplifient, depuis le Protocole des Sages de Sion, faux plan de conquête du monde par les juifs et les francs-maçons, jusqu’aux débats sur l’entrée sur le territoire canadien de dizaines de milliers de réfugiés juifs européens en 1943-44.

Dans la continuité de tous ces cas plus ou moins lointains dans le passé, il n’est donc pas surprenant de voir émerger récemment nombre de fausses nouvelles dans un débat politique qui s’est indubitablement radicalisé depuis une vingtaine d’années en Europe et en Amérique du Nord. En effet, l’affaire du Comet Ping Pong, ce restaurant de Washington accusé d’être le cœur d’un trafic d’enfants mené par Hillary Clinton et son directeur de campagne, n’est ni plus ni moins la réactivation de l’affaire Marković (une affaire criminelle impliquant le couple Pompidou – et notamment les mœurs prétendument libertines de l’épouse de l’ancien Premier ministre – en 1968) ou plus loin encore celle de Simon de Trente au XVe siècle qui voit une quinzaine de juifs de la ville exécutés pour avoir prétendument sacrifié un jeune enfant de deux ans.

Les juifs de Cologne brûlés vifs. D’après une gravure sur bois du Liber Chronicarummundi, Nuremberg, 1493.
Internet Archive

L’histoire, un combat permanent du quotidien

Dans ce cadre, le travail des historiens est fondamental. En effet, face aux emportements médiatiques, souvent alimentés par la facilité des hommes politiques à voir dans leur époque et leurs actions publiques les germes d’une innovation sans précédent, la recherche et la vulgarisation historiques permettent une mise en perspective souvent salutaire. Ce labeur est quotidien lorsqu’il s’articule avec le travail pédagogique fait avec les étudiants ; il est aussi durable quand il s’appuie sur le décryptage des processus plus ou moins anciens de contrôle et de manipulation de l’information.

Pour ce faire, au même titre que le travail du journaliste, la méthode historique interroge les faits en s’appuyant sur des sources, si possible, multiples et variées. Cette confrontation des sources, ainsi que leur examen, permet de mettre en lumière les techniques circulatoires de domination et de façonnage de l’opinion publique.

Occuper le terrain

Ainsi, pour reprendre les cas d’Emmanuel Macron ou Donald Trump, leur exploitation des fausses nouvelles s’inscrit surtout dans une dynamique politique visant à occuper un terrain médiatique et à investir l’espace public. En réactivant la notion déjà ancienne de fake news, le futur président américain trouve là une arme politique de choix, jouant sur les émotions, support bien plus propice sur les réseaux sociaux qu’une analyse politique.

C’est ici une recette simple, fondement d’une nouvelle ère médiatico-politique, celle de la post-vérité : un message court, élémentaire, direct, s’adressant plus à l’affect qu’à l’intellect.

De son côté, le président français, en proposant une loi venant s’ajouter à celles déjà existantes encadrant les fausses nouvelles (loi de 1881 sur la liberté de la presse ; dispositions du code pénal ou du code électoral), veut donner l’impression d’une modernité et d’un hyperdynamisme au cœur de son modèle politique.

De fait, à bien égards, l’histoire, et son regard sur les époques passés, propose un recul critique permettant de mieux saisir les enjeux d’aujourd’hui et de demain. Autour de la mise en évidence de facteurs structurant et permanents dans l’élaboration des fausses nouvelles (importance de la dimension religieuse ; centralité de la figure des enfants ou des dominés ; instrumentalisation lors des procès ou des accusations publiques ; exploitation par les pouvoirs politiques ; rôle de l’émotion), l’histoire permet de mieux comprendre, en le replaçant dans le temps long, un phénomène ancien et durable de nos sociétés.The Conversation

Stéphane Le Bras, Maître de conférences, Université Clermont Auvergne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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