France
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Syndicats agricoles : la Coordination rurale pourrait-elle s’imposer face à la FNSEA ?

Les adhérents de la Coordination rurale manifestent à Paris (DR)
Les adhérents de la Coordination rurale manifestent à Paris (DR)

Alexandre Hobeika, Cirad

Le Salon de l’agriculture s’ouvre, samedi 22 février, dans un contexte inédit. Le résultat des élections professionnelles agricoles de 2025 est historique : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le principal syndicat agricole, et les Jeunes Agriculteurs (JA), son allié historique, sont défaits dans une vingtaine de chambres agricoles et leur score national est inférieur à 50 %. Si la Coordination rurale progresse de façon inédite, la FNSEA conserve néanmoins des atouts majeurs pour résister. Décryptage.


Depuis la reconnaissance des syndicats agricoles minoritaires par l’État en 1982 et la mise en place d’un scrutin de liste, les départements échappant au syndicalisme FNSEA n’avaient jamais été plus de cinq.

Le système d’attribution des mandats favorisant généreusement le syndicat majoritaire, la FNSEA contrôle toujours 80 % des départements, mais l’écart de voix avec la Coordination rurale (CR) est désormais faible. La Confédération paysanne (CP), arrivée troisième, a quant à elle maintenu ou augmenté ses scores dans presque tous les départements.

Les commentaires fusent pour expliquer ce résultat et prédire l’avenir. La « forteresse agricole », comme la FNSEA est parfois appelée, est-elle en train de s’effondrer ? Est-ce la fin de la cogestion de l’agriculture française entre ce syndicat et le gouvernement ?

Comment comprendre la forte poussée de la CR qui, si ce n’est son ton plus radical et antisystème, affiche des revendications globalement similaires à celles de la FNSEA, notamment le refus des normes environnementales et des distorsions de concurrence ? Sa percée est-elle une déclinaison de la montée du Rassemblement national (RN), parti dont elle se rapproche en rhétorique et en réseaux ?

Un vote protestataire

Pour y voir clair, il convient d’examiner les ressorts de ce scrutin et les rapports de force entre syndicats. La CR est devenue majoritaire dans quinze départements, principalement dans le quart sud-ouest de la France, région d’où sont parties les mobilisations d’agriculteurs en janvier-février 2024.

Ces scores ne peuvent pas s’expliquer par le développement des structures de la CR : ses fédérations départementales sont encore très faibles et comptent peu d’adhérents. Il n’y a pas non plus de lien évident avec les scores électoraux du RN : les départements d’implantation et de progression de la CR ne sont pas des bastions du RN, situés dans le Nord-Est et le pourtour méditerranéen.

Ce vote est donc une traduction du mouvement agricole depuis un an, sur laquelle la CR capitalise. Et peut s’analyser comme un vote protestataire à l’égard de la FNSEA et l’expression d’une insatisfaction générale des agriculteurs quant à leurs revenus et de leur inquiétude quant à la pérennité de leur entreprise.

Ces critiques à l’égard du syndicat majoritaire peuvent s’interpréter, à court terme, à l’aune des orientations prises depuis l’arrivée, en 2023, de son nouveau président, Arnaud Rousseau, grand céréalier et président du groupe agro-industriel Avril. Les revendications portées il y a un an ont pu être perçues comme trop focalisées sur les grandes cultures (usage des pesticides, de l’irrigation) et insuffisantes pour les filières d’élevage, notamment celles du lait et de la viande bovine, qui connaissent des difficultés structurelles.

La faute à l’instabilité politique ?

Si la FNSEA rejette la faute sur l’instabilité politique qui n’aurait pas permis la concrétisation de toutes les mesures négociées, une bonne partie de celles-ci ayant été au moins partiellement concrétisées, peut-être n’étaient-elles pas suffisantes.

Ses propositions pour le projet de loi d’orientation agricole, voté en première lecture par l’Assemblée nationale en 2024, ont aussi pu être perçues comme trop libérales et favorisant les grandes exploitations.

À plus long terme, on observe une tendance à l’effritement de la capacité de la FNSEA à fidéliser les agriculteurs dans toute la France. Sociologiquement, cela s’explique par les évolutions du groupe des agriculteurs les plus en pointe sur les plans économique et technique, socle électoral traditionnel de la FNSEA.

Depuis les réformes de la politique agricole commune (PAC) des années 1992 à 2003, les stratégies technico-économiques de ce groupe se sont diversifiées par rapport au modèle de production standard. Les agriculteurs les plus en pointe se sont lancés dans des productions de qualité, ont adopté des innovations agronomiques (comme le sans-labour) ou commerciales (comme les circuits courts). Cette diversité de styles est difficile à accompagner par la FNSEA, qui s’est longtemps concentrée sur la défense du système conventionnel et a été réticente à soutenir l’agriculture biologique.

Par ailleurs, les services proposés par le syndicat – comme l’aide juridique ou l’appui à la comptabilité – sont de plus en plus concurrencés par ceux d’entreprises agricoles plus spécialisées, dont l’offre attire les agriculteurs de pointe. Ces résultats de la CR peuvent ainsi se lire comme l’expression d’agriculteurs déçus de la FNSEA, qui en critiquent moins l’idéologie que son utilité pour eux.

Plus de concurrence, mais peu de changements

Qu’attendre comme conséquences ? Tout d’abord, la CR va se retrouver en position de responsabilité dans les territoires où elle est devenue majoritaire. Représenter les agriculteurs dans les chambres agricoles, participer aux commissions de gestion de la politique agricole locale, proposer des solutions pour la loi d’orientation agricole et la future renégociation de la PAC au niveau étatique : ces missions demandent beaucoup de travail et une maîtrise des dossiers techniques qui va nécessairement conduire à une professionnalisation de la CR.

La Coordination rurale devra ainsi développer son registre expert, au détriment de son registre protestataire historique. Tout l’enjeu étant, pour elle, de continuer à se différencier de la FNSEA sur ce terrain, où elle est beaucoup moins armée, et de faire face aux mêmes difficultés.

Plus largement, le défi pour les syndicats minoritaires est de durer sur le long terme. Par le passé, la CR et la CP ont gagné des élections agricoles dans plusieurs départements, comme le Finistère ou le Calvados, mais après quelques mandats, leurs structures locales se sont effondrées. Si des personnalités locales ont pu gagner la confiance des agriculteurs, elles n’ont pas réussi à former la génération suivante de militants, ni à leur transmettre des organisations syndicales robustes et indépendantes.

Si la FNSEA reste majoritaire dans 80 départements – en particulier dans les régions céréalières (Île-de-France, Centre, Nord), les régions de production laitière (Ouest, Est), une partie des départements d’élevage bovin (Massif central, Centre-Est), et le quart sud-est de la France producteur de viticulture, fruits et légumes – elle va devoir tirer les leçons de ces élections qui représentent un sérieux avertissement.

Pour autant, elle jouit toujours de ressources beaucoup plus importantes que les autres syndicats pour s’ajuster et résister à la concurrence, comme elle l’a fait à de nombreuses reprises depuis sa création.

Ses capitaux, ses entreprises de services, ses capacités d’expertise, sa branche jeunes – qui fait fonction d’école de formation –, son nombre d’adhérents, ses réseaux parmi les organisations agricoles et les milieux politiques, sont au moins dix fois supérieurs à ceux des autres syndicats. Le syndicat a donc de quoi ajuster sa ligne politique pour mieux prendre en compte les intérêts de filières ou de territoires fragilisés, si elle le souhaite. Elle a les moyens de développer autrement son offre de services pour les agriculteurs.

La FNSEA dispose également des puissants syndicats spécialisés par produits (céréales et grandes cultures, lait, viande bovine, porc…), financés par des cotisations quasi obligatoires sur les produits. Ne dépendant pas des élections agricoles, ils représentent une grande force d’expertise et de lobbying. Si la FNSEA en était un jour réduite à ces syndicats par produits, elle resterait quand même incontournable.

Il ne faut donc pas s’attendre à un grand soir de la politique agricole française ou à une disparition de la FNSEA. Ces élections stimulent néanmoins le débat et augmentent l’intérêt politique et médiatique pour savoir quelle agriculture est souhaitée dans les prochaines décennies. En tant que telle, c’est sans doute une étape utile pour sortir de la crise actuelle.The Conversation

Alexandre Hobeika, Chercheur en science politique CIRAD, UMR MoISA, Montpellier, Cirad

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

France