Sandrine Vaz, Ifremer et Pascal Laffargue, Ifremer
En augmentation constante depuis les années 1960, la consommation mondiale de produits de la mer est passée de 9 kilos dans ces années à plus de 20 kilos par personne en moyenne en 2018 – soient 17 % des protéines animales consommées.
La moitié environ provient de captures de ressources sauvages marines, illustrant l’importance de la pêche dans l’alimentation mondiale et européenne.
Comme toute activité humaine, l’extraction des ressources marines vivantes s’accompagne d’effets plus ou moins marqués sur ces ressources, mais également d’effets collatéraux sur des espèces et des habitats non ciblés. Ainsi, parmi les nombreuses activités humaines ayant des impacts prononcés sur les écosystèmes marins, la pêche – et tout particulièrement le « chalutage de fond » – représente actuellement l’une des pressions la plus répandue et intense sur les fonds marins des plateaux continentaux, notamment européens.
La prise de conscience récente de l’érosion de la biodiversité résultant de la plupart des activités humaines s’est étendue au milieu marin. Et l’acceptabilité de certaines pratiques de pêche, dont les effets s’avéreraient irréversibles, fait désormais débat.
Méthodes de pêche fixes ou traînantes
La pêche inclut une large diversité de techniques en fonction des espèces ciblées ou des zones exploitées.
Parmi ces techniques, on distingue les « arts fixes », déployant des engins statiques – palangres, casiers, filets – et les « arts trainants », utilisant des engins tractés dans la colonne d’eau ou sur le fond – chaluts.
Ces arts traînants ciblant les espèces vivant sur les fonds marins ou à proximité doivent rester en contact permanent avec le fond, comme le montre la figure ci-dessous. Ces engins de pêche sont donc munis d’un système de lest et d’écartement (panneaux, perche) et d’une partie raclant le sol (bourrelet, racasseur, chaînes, dents) soulevant ou déterrant les espèces ciblées. Ce système est complété par un filet ou une grille permettant de ramener les captures ; il est généralement remorqué par le navire via des câbles d’acier.
Les parties des engins les plus dommageables pour les fonds marins sont par exemple les racasseurs qui pénètrent de plusieurs centimètres dans les sédiments ou encore les panneaux des chaluts, parfois de plusieurs tonnes, agissant sur une surface réduite mais relativement profonde (jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres sur certains sédiments meubles).
Les surfaces abrasées dépendent de la taille de l’engin et de la durée de la pêche ; sur une action de pêche, elles peuvent ainsi atteindre plusieurs centaines de milliers de m2.
Le chalutage, cette technique millénaire
Le chalutage est une méthode de pêche ancienne : l’ancêtre du chalut peut être considéré dès l’antiquité romaine où l’on traînait déjà des filets lestés sur le fond.
On peut dater précisément l’origine des premiers chaluts à perche à 1376, ce dont témoigne une plainte déposée auprès du roi Édouard III réclamant déjà à l’époque l’interdiction de cette « nouvelle et destructive » méthode de pêche. Suite à cette plainte, également motivée par la compétition entre les activités de pêche de l’époque, le chalutage a été banni de la zone des 3 milles (6 km environ) et repoussé plus au large.
Ce tout premier exemple de gestion spatialisée des activités, s’est largement répandu et perdure encore aujourd’hui dans les réglementations des pêches européennes.
Depuis la fin du XIXᵉ, une empreinte toujours plus intense
Le développement du chalut s’est accéléré à la fin du XIXe siècle avec l’apparition des chalutiers à vapeur.
Limitée initialement aux eaux peu profondes, l’empreinte de la pêche s’est ensuite considérablement étendue vers le large au cours du XXe siècle, dépassant les frontières des plateaux continentaux.
En mer Méditerranée, l’histoire du chalutage intensif est plus récente, avec un développement important vers les années 1960-1970. L’impact des pêcheries s’est en outre accentué sur les habitats profonds ces dernières décennies en réponse au déclin de nombreuses populations exploitées sur le plateau continental.
Actuellement, les art traînants et notamment le chalut, avec seulement 11 % de chalutiers et 3 % de dragueurs sur l’ensemble du nombre total de navires européens, revêtent une importance considérable avec près de 60 % de la biomasse de captures de ressources vivantes marines européennes.
Sur la façade atlantique, plus de 40 % des navires français pratiquent les arts traînant de façon exclusive ou occasionnelle. Ces techniques de pêche ciblent une grande diversité d’espèces et d’habitats marins ; ils fournissent les principales ressources capturées en valeur ou en biomasse pour les pêcheries françaises (merlu, baudroies, sole, langoustine, coquilles Saint-Jacques).
Des zones particulièrement impactées
L’activité de chalutage est actuellement distribuée sur la quasi-totalité des plateaux continentaux de France métropolitaine. Cette distribution est hétérogène avec des concentrations remarquables sur certains habitats ciblés par la pêche – comme la zone de pêche à langoustines dite de la « grande vasière » du golfe de Gascogne – où les fonds marins subissent parfois une pression de chalutage plusieurs dizaines de fois par an, comme en témoigne la figure ci-dessous.
En parallèle, les connaissances sur les habitats marins et les organismes vivants qui les utilisent (appelés « communautés benthiques »), même si les premières observations sont relativement anciennes, restent limitées dans la plupart des zones, à l’exception de la Manche ou la mer du Nord qui sont mieux suivies.
Ainsi, l’effort de suivi systématique de ces communautés, notamment au large, est relativement récent et s’opère donc dans un environnement déjà fortement impacté, et ce depuis une longue période.
Quels sont les effets du chalutage ?
Nous nous attacherons ici à ne décrire que les effets des activités de chalutage sur les habitats benthiques et pas ceux, plus classiques, sur les ressources marines exploitées.
Si les conséquences du chalutage sur les écosystèmes marins étaient perceptibles dès les premiers usages, la mesure et la compréhension fine des effets sont bien plus récentes. Lorsque le zoologiste Louis Joubin en fait mention en 1922, c’est plus pour cartographier les risques pour la pêche que représentent alors les coraux profonds considérés comme une menace pour les chalutiers s’aventurant au large.
Dès le début du XXe siècle, le constat est pourtant celui d’une large distribution de la pression de chalutage sur les plateaux continentaux et de premiers témoignages montrent l’impact significatif sur les fonds marins. Ces effets sont multiples et d’intensité variable en fonction notamment des engins utilisés, de la fréquence des passages ou encore des caractéristiques des habitats et des espèces touchés.
Les impacts peuvent être directs par les effets physiques immédiats des engins sur les espèces : ils provoquent leur arrachement pour celles qui sont fixées, l’écrasement, l’enfouissement ou encore une exposition hors de l’eau pour les individus pris dans les filets et remontés à la surface.
Ces impacts directs sont connus et relativement bien documentés sur les habitats benthiques et les organismes qu’ils abritent.
Chaque espèce subira de façon variable les effets du chalutage. Leur fragilité, leur nature fixée ou non sur le fond, leur capacité d’enfouissement mais aussi de recolonisation (permettant leur récupération après l’impact) définissent leur vulnérabilité. Les connaissances sur la biologie des espèces, leurs modes de vie ou encore de leur rôle dans les écosystèmes sont ainsi essentielles pour évaluer l’impact du chalutage.
Des habitats plus ou moins sensibles
Les effets directs ne concernent pas que les organismes vivants mais aussi leurs habitats. La pression physique des engins sur le fond conduit à des remaniements et remises en suspension des sédiments. Du fait des grandes surfaces altérées et de la récurrence des passages, la morphologie des fonds peut être modifiée et mener à une diminution de leur complexité.
On peut distinguer des habitats moins sensibles, soumis naturellement à des perturbations fortes liées aux courants ou aux marées par exemple, jusqu’aux habitats les plus vulnérables, tels les habitats dits « biogéniques » (herbiers, coraux) dont les structures formées par les organismes vivants eux-mêmes peuvent témoigner après une action de pêche de dommages durables.
Des décennies sont alors nécessaires pour une reconstitution éventuelle ; parfois, la perte est définitive. Ces changements de nature des habitats peuvent durablement affecter les organismes qui n’y trouvent plus les conditions adéquates de vie avec des répercussions à plus large échelle sur le fonctionnement des écosystèmes.
Réactions en chaîne
À ces impacts directs s’ajoutent donc des effets indirects et une modification durable des habitats et des espèces.
Ainsi, les organismes vivants montrent une interdépendance plus ou moins prononcée, notamment par des liens d’alimentation, et toute modification peut affecter en chaîne ces communautés d’espèces liées entre elles. Les impacts répétés peuvent amener à la perte d’organismes vivants essentiels assurant des fonctions clefs des écosystèmes marins (comme le recyclage de la matière organique facilité par certains oursins fouisseurs mais fragiles).
De façon moins perceptible, la chimie des fonds est elle-même bouleversée et les cycles de la matière de ces écosystèmes benthiques peuvent être modifiés de façon profonde. Une remise en suspension du sédiment superficiel pourra ainsi avoir pour conséquence d’augmenter localement la turbidité, de libérer des contaminants ou de la matière organique enfouie dans les sédiments, de modifier les processus biogéochimiques ayant lieu à l’interface eau-sédiment, voire de favoriser la reminéralisation du carbone sédimentaire en CO2 participant ainsi à l’acidification des océans et à l’augmentation du CO2 atmosphérique responsable du réchauffement climatique…
Comment évaluer ces perturbations ?
La mesure plus précise de l’intensité et de l’étendue de la pression exercée par le chalutage est relativement récente ; elle bénéficie notamment de sources de données telles que la géolocalisation (VMS) obligatoire pour les navires de plus de 12 mètres. Après traitement de ces données, on peut ainsi quantifier et localiser précisément une partie significative de l’intensité de l’activité de pêche.
En consultant les données 2021 de l’International Council for the Exploration of the Sea (ICES), on apprend ainsi qu’entre 0 et 200 mètres de profondeur, ce sont en moyenne 66 % de la surface du Golfe de Gascogne et des côtes ibériques, 53 % des mers celtiques et 62 % de la Manche et mer du Nord qui ont fait l’objet d’une pression de chalutage pour la période 2013-2018.
Une meilleure connaissance des effets physiques des différents engins (étendue de la pression exercée sur les fonds par les différents éléments les constituant et profondeur de pénétration dans les sédiments) permet aussi de mieux caractériser les impacts directs sur les habitats.
Si la pression de pêche est maintenant mieux quantifiée, la mesure des modifications des communautés benthiques et plus généralement de l’impact sur les écosystèmes est plus délicate. Après des décennies d’activité de pêche, ces communautés animales sont déjà fortement modifiées (« semi-naturelles ») sous l’effet de la pression de chalutage et parfois même adaptées à cette pression. À l’instar du milieu terrestre européen, il est désormais difficile d’identifier des zones de référence (naturelles ou pristines) sur de nombreux types d’habitats marins.
Mieux observer pour mieux protéger
Un effort de recherche important a été mené tout particulièrement au cours de la dernière décennie pour développer des indicateurs de l’état et de la vulnérabilité des communautés benthiques aux effets du chalutage.
Ces indicateurs s’appuient sur les connaissances scientifiques relatives à la nature et la distribution des habitats et à la composition en espèces associées. Les caractéristiques biologiques des espèces permettent notamment de déterminer leur sensibilité au chalutage (taille, forme, longévité, fragilité). La relation entre la pression de chalutage et les modifications engendrées sur les assemblages d’espèces renseigne ainsi sur leur réponse à la pression et permet une détermination de l’état des écosystèmes.
La connaissance du fonctionnement des écosystèmes permet également des approches prédictives aidant à mieux caractériser de potentiels effets du chalutage avant que l’impact n’ait lieu.
Les données de terrain sont indispensables pour évaluer l’état des écosystèmes benthiques. Un ensemble d’outils d’observation est traditionnellement utilisé par les scientifiques pour étudier les organismes benthiques : les chaluts eux-mêmes, des dragues ou encore des bennes qui permettent de collecter, identifier, dénombrer et peser les différents organismes présents sur ou proche du fond.
S’ajoutant aux méthodes classiques d’observation, de nouveaux outils moins impactant ont vu le jour avec notamment le développement de l’utilisation de la vidéo pour le monitoring.
De la Manche au golfe du Lion
Les premières évaluations à grande échelle sur la façade atlantique révèlent une situation contrastée avec des états généralement altérés par le chalutage (voir à ce propos les données 2017 de Convention internationale OSPAR et celles de 2020 de l’ICES).
La détermination de l’état des habitats doit cependant prendre en compte à la fois leur capacité naturelle à résister aux impacts de la pêche (résistance) ainsi que leur propension à s’en remettre pour revenir à leur état initial (résilience).
L’étude de ces processus doit conduire à la détermination de valeurs seuils au-delà desquelles la communauté est tellement dégradée, qu’elle est durablement (si ce n’est définitivement) remplacée par une communauté semi-naturelle totalement adaptée à la pression.
En Manche, les dernières études soulignent que si les communautés benthiques montrent des états d’altérations importants (77 à 88 % des surfaces des habitats étudiés sont dégradées), elles y sont plus résistantes en raison de contraintes naturelles plus fortes. En Méditerranée, en revanche, la même étude illustre un état généralement très dégradé (89 à 96 % des surfaces des habitats sont dégradées, durablement modifiées voir perdues dans le golfe du Lion), probablement dû à une faible résilience potentielle de ce milieu plus fragile car naturellement peu perturbé et plus limité en ressources.
Comment les limiter ?
S’il semble difficile de se passer du chalutage de fond à court et moyen terme en raison de son efficacité revendiquée par les pêcheurs et surtout de son importance pour l’approvisionnement alimentaire, un certain nombre de mesures permettent d’en réduire les impacts non désirés.
La réduction de l’empreinte du chalutage de fond peut passer par l’utilisation d’engins existants moins « impactants » tels des engins de pêche fixes (lignes, filets, nasses à poissons). En parallèle, sont développés des engins alternatifs tels que des chaluts à panneaux « volants » sans contact prolongé avec les fonds, ou encore des chaluts « intelligents » ne se fermant ou ne raclant le fond qu’au moment voulu.
Le chalut électrique, alternative proposée par les Pays-Bas pour limiter les dommages physiques directs sur le fond (et la consommation de fioul des navires), a cependant été interdit dans les eaux européennes, notamment du fait des effets non complètement quantifiés des impulsions électriques sur les organismes et les fonds marins à moyen et long terme.
Par ailleurs, en plus des coûts pour les pêcheurs de la conversion vers une nouvelle technique de pêche, l’utilisation d’engins de pêche parfois globalement moins efficaces ou moins adaptés à la capture des espèces ciblées peut profondément modifier les performances économiques et la viabilité de certaines pêcheries.
Soustraire des zones au chalutage
Une autre voie de réduction des impacts passe par une meilleure planification spatiale définissant quelles zones sont chalutables, avec quelle intensité et quelles autres ne le doivent pas en regard de leur fragilité.
Les efforts de gestion des ressources vivantes marines visent encore généralement à respecter les objectifs d’exploitation durable (rendement maximum durable) des populations d’espèces ciblées. Ces modes de gestion conduisent souvent à réduire directement ou indirectement l’intensité globale des activités de pêches mais ne régulent pas l’accès aux zones exploitées.
Ces réductions d’intensité, durables ou temporaires, bénéficient aux fonds marins dans les zones où la résilience du milieu permet une récupération rapide de l’écosystème après un impact. En revanche, ils ne permettent pas la protection ou la restauration des habitats les plus sensibles et des espèces les plus fragiles ne tolérant que des impacts physiques très faibles, voire l’absence d’impact.
La gestion spatiale des activités de pêche est déjà partiellement mise en œuvre avec par exemple l’interdiction côtière (zones des 3 milles marins, soit 6 km) du chalutage de fond, hors dérogation pour certains métiers, ou encore l’interdiction plus récente de l’accès aux zones profondes (800 mètres en 2017 en Atlantique, 1000 mètres en 2005 en Méditerranée).
La nécessité de faire évoluer la gestion spatiale des pêches
En Méditerranée, des aires de pêche restreintes ont été proposées avec pour objectif la protection des écosystèmes marins vulnérables. En France, des zones de cantonnements bannissant les engins de pêche entrant en contact avec le fond ont également été mises en place, par exemple dans le golfe du Lion. Cependant l’amplification récente de la création d’aires marines protégées ne signifie pas forcément une protection efficace des fonds marins.
L’accent mis par exemple récemment sur l’impact du chalut sur les habitats profonds cache malheureusement une gestion plus timide des habitats plus « ordinaires » mais néanmoins importants des zones côtières et du plateau continental. Ainsi, moins de 1 % des zones métropolitaines classées comme « aires marines protégées » sont actuellement concernées par une protection significative.
En outre, la fermeture de zones à certaines techniques de pêche, jugées trop dommageables, résulte généralement en un simple déplacement de l’effort dans des zones non protégées, accroissant mécaniquement les impacts néfastes dans ces dernières. La mise en place de zones de fermetures doit donc faire l’objet d’une réflexion globale et prendre en compte, pour les éviter, les effets indirects sur les habitats non protégés.
Alternativement, des idées nouvelles émergent comme des crédits d’accès en fonction de la vulnérabilité des zones et de nombreuses autres initiatives de gestion ont été développées pour tenter de traiter ce problème.
Finalement, un compromis semble nécessaire entre l’exploitation des ressources marines vivantes et la protection de l’intégrité des fonds marins. Une étude récente des patrons d’exploitation de la Manche et de la mer du Nord a ainsi révélé qu’une proportion importante des captures et des revenus provenait d’une partie relativement restreinte des zones de pêche.
Il serait ainsi possible de mettre au point des modes de gestion spatialisés permettant de réduire l’empreinte spatiale du chalutage de fond sur les fonds marins pour un coût relativement faible pour les pêcheries.
L’illusion du retour à un état originel
Le constat général est celui d’un état généralement dégradé, et ce depuis longtemps, des écosystèmes marins benthiques exploités.
L’accès relativement récent à des données détaillées de distribution des navires a constitué un tournant majeur dans l’évaluation des impacts générés par la pêche. De façon générale, l’accès et la diffusion des données sont des éléments clefs du suivi et de la gestion des impacts du chalutage et des autres activités humaines sur les écosystèmes marins.
Les perspectives d’outils d’observation scientifiques plus performants, moins destructifs et de données plus simples à acquérir renforcent encore nos capacités de suivi de l’état des écosystèmes et de leur gestion.
Les progrès en termes de connaissances scientifiques ont été considérables et les recherches actuelles visent à mieux comprendre le lien entre les habitats et les impacts pour protéger les habitats les plus fragiles, abritant des diversités remarquables ou des fonctions essentielles pour les écosystèmes marins.
Actuellement une difficulté majeure reste la définition de seuils de pressions ou d’impacts acceptables pour assurer un fonctionnement pérenne des écosystèmes. Il s’agit notamment de trouver une articulation délicate entre des objectifs parfois conflictuels de conservation de la biodiversité et d’exploitation durable des ressources marines.
Ainsi, la prise en compte des effets néfastes de certaines pratiques de pêche sur les habitats des fonds marins, sur l’érosion de la biodiversité et sur le fonctionnement de ces écosystèmes marins, est devenue une préoccupation importante.
Cependant, la protection ou restauration de ces biotopes passera nécessairement par l’interdiction de certaines pratiques dans des zones couvrant des surfaces bien plus importantes qu’elles ne le sont à l’heure actuelle. Si le retour à un état originel est illusoire sur des zones déjà fortement et depuis longtemps modifiées, nous avons un besoin impérieux de surveiller et ajuster nos pratiques pour en limiter les impacts sur le long terme et ainsi garantir des écosystèmes fonctionnels et une exploitation durable.
Sandrine Vaz, chercheuse en écologie marine, Ifremer et Pascal Laffargue, Cadre de recherche en écologie marine, Ifremer
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Pêche : ce que la science nous dit de l’impact du chalutage sur les fonds marins
Sandrine Vaz, Ifremer et Pascal Laffargue, Ifremer
En augmentation constante depuis les années 1960, la consommation mondiale de produits de la mer est passée de 9 kilos dans ces années à plus de 20 kilos par personne en moyenne en 2018 – soient 17 % des protéines animales consommées.
La moitié environ provient de captures de ressources sauvages marines, illustrant l’importance de la pêche dans l’alimentation mondiale et européenne.
Comme toute activité humaine, l’extraction des ressources marines vivantes s’accompagne d’effets plus ou moins marqués sur ces ressources, mais également d’effets collatéraux sur des espèces et des habitats non ciblés. Ainsi, parmi les nombreuses activités humaines ayant des impacts prononcés sur les écosystèmes marins, la pêche – et tout particulièrement le « chalutage de fond » – représente actuellement l’une des pressions la plus répandue et intense sur les fonds marins des plateaux continentaux, notamment européens.
La prise de conscience récente de l’érosion de la biodiversité résultant de la plupart des activités humaines s’est étendue au milieu marin. Et l’acceptabilité de certaines pratiques de pêche, dont les effets s’avéreraient irréversibles, fait désormais débat.
Méthodes de pêche fixes ou traînantes
La pêche inclut une large diversité de techniques en fonction des espèces ciblées ou des zones exploitées.
Parmi ces techniques, on distingue les « arts fixes », déployant des engins statiques – palangres, casiers, filets – et les « arts trainants », utilisant des engins tractés dans la colonne d’eau ou sur le fond – chaluts.
Ces arts traînants ciblant les espèces vivant sur les fonds marins ou à proximité doivent rester en contact permanent avec le fond, comme le montre la figure ci-dessous. Ces engins de pêche sont donc munis d’un système de lest et d’écartement (panneaux, perche) et d’une partie raclant le sol (bourrelet, racasseur, chaînes, dents) soulevant ou déterrant les espèces ciblées. Ce système est complété par un filet ou une grille permettant de ramener les captures ; il est généralement remorqué par le navire via des câbles d’acier.
Les parties des engins les plus dommageables pour les fonds marins sont par exemple les racasseurs qui pénètrent de plusieurs centimètres dans les sédiments ou encore les panneaux des chaluts, parfois de plusieurs tonnes, agissant sur une surface réduite mais relativement profonde (jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres sur certains sédiments meubles).
Les surfaces abrasées dépendent de la taille de l’engin et de la durée de la pêche ; sur une action de pêche, elles peuvent ainsi atteindre plusieurs centaines de milliers de m2.
Le chalutage, cette technique millénaire
Le chalutage est une méthode de pêche ancienne : l’ancêtre du chalut peut être considéré dès l’antiquité romaine où l’on traînait déjà des filets lestés sur le fond.
On peut dater précisément l’origine des premiers chaluts à perche à 1376, ce dont témoigne une plainte déposée auprès du roi Édouard III réclamant déjà à l’époque l’interdiction de cette « nouvelle et destructive » méthode de pêche. Suite à cette plainte, également motivée par la compétition entre les activités de pêche de l’époque, le chalutage a été banni de la zone des 3 milles (6 km environ) et repoussé plus au large.
Ce tout premier exemple de gestion spatialisée des activités, s’est largement répandu et perdure encore aujourd’hui dans les réglementations des pêches européennes.
Depuis la fin du XIXᵉ, une empreinte toujours plus intense
Le développement du chalut s’est accéléré à la fin du XIXe siècle avec l’apparition des chalutiers à vapeur.
Limitée initialement aux eaux peu profondes, l’empreinte de la pêche s’est ensuite considérablement étendue vers le large au cours du XXe siècle, dépassant les frontières des plateaux continentaux.
En mer Méditerranée, l’histoire du chalutage intensif est plus récente, avec un développement important vers les années 1960-1970. L’impact des pêcheries s’est en outre accentué sur les habitats profonds ces dernières décennies en réponse au déclin de nombreuses populations exploitées sur le plateau continental.
Actuellement, les art traînants et notamment le chalut, avec seulement 11 % de chalutiers et 3 % de dragueurs sur l’ensemble du nombre total de navires européens, revêtent une importance considérable avec près de 60 % de la biomasse de captures de ressources vivantes marines européennes.
Sur la façade atlantique, plus de 40 % des navires français pratiquent les arts traînant de façon exclusive ou occasionnelle. Ces techniques de pêche ciblent une grande diversité d’espèces et d’habitats marins ; ils fournissent les principales ressources capturées en valeur ou en biomasse pour les pêcheries françaises (merlu, baudroies, sole, langoustine, coquilles Saint-Jacques).
Des zones particulièrement impactées
L’activité de chalutage est actuellement distribuée sur la quasi-totalité des plateaux continentaux de France métropolitaine. Cette distribution est hétérogène avec des concentrations remarquables sur certains habitats ciblés par la pêche – comme la zone de pêche à langoustines dite de la « grande vasière » du golfe de Gascogne – où les fonds marins subissent parfois une pression de chalutage plusieurs dizaines de fois par an, comme en témoigne la figure ci-dessous.
En parallèle, les connaissances sur les habitats marins et les organismes vivants qui les utilisent (appelés « communautés benthiques »), même si les premières observations sont relativement anciennes, restent limitées dans la plupart des zones, à l’exception de la Manche ou la mer du Nord qui sont mieux suivies.
Ainsi, l’effort de suivi systématique de ces communautés, notamment au large, est relativement récent et s’opère donc dans un environnement déjà fortement impacté, et ce depuis une longue période.
Quels sont les effets du chalutage ?
Nous nous attacherons ici à ne décrire que les effets des activités de chalutage sur les habitats benthiques et pas ceux, plus classiques, sur les ressources marines exploitées.
Si les conséquences du chalutage sur les écosystèmes marins étaient perceptibles dès les premiers usages, la mesure et la compréhension fine des effets sont bien plus récentes. Lorsque le zoologiste Louis Joubin en fait mention en 1922, c’est plus pour cartographier les risques pour la pêche que représentent alors les coraux profonds considérés comme une menace pour les chalutiers s’aventurant au large.
Dès le début du XXe siècle, le constat est pourtant celui d’une large distribution de la pression de chalutage sur les plateaux continentaux et de premiers témoignages montrent l’impact significatif sur les fonds marins. Ces effets sont multiples et d’intensité variable en fonction notamment des engins utilisés, de la fréquence des passages ou encore des caractéristiques des habitats et des espèces touchés.
Les impacts peuvent être directs par les effets physiques immédiats des engins sur les espèces : ils provoquent leur arrachement pour celles qui sont fixées, l’écrasement, l’enfouissement ou encore une exposition hors de l’eau pour les individus pris dans les filets et remontés à la surface.
Ces impacts directs sont connus et relativement bien documentés sur les habitats benthiques et les organismes qu’ils abritent.
Chaque espèce subira de façon variable les effets du chalutage. Leur fragilité, leur nature fixée ou non sur le fond, leur capacité d’enfouissement mais aussi de recolonisation (permettant leur récupération après l’impact) définissent leur vulnérabilité. Les connaissances sur la biologie des espèces, leurs modes de vie ou encore de leur rôle dans les écosystèmes sont ainsi essentielles pour évaluer l’impact du chalutage.
Des habitats plus ou moins sensibles
Les effets directs ne concernent pas que les organismes vivants mais aussi leurs habitats. La pression physique des engins sur le fond conduit à des remaniements et remises en suspension des sédiments. Du fait des grandes surfaces altérées et de la récurrence des passages, la morphologie des fonds peut être modifiée et mener à une diminution de leur complexité.
On peut distinguer des habitats moins sensibles, soumis naturellement à des perturbations fortes liées aux courants ou aux marées par exemple, jusqu’aux habitats les plus vulnérables, tels les habitats dits « biogéniques » (herbiers, coraux) dont les structures formées par les organismes vivants eux-mêmes peuvent témoigner après une action de pêche de dommages durables.
Des décennies sont alors nécessaires pour une reconstitution éventuelle ; parfois, la perte est définitive. Ces changements de nature des habitats peuvent durablement affecter les organismes qui n’y trouvent plus les conditions adéquates de vie avec des répercussions à plus large échelle sur le fonctionnement des écosystèmes.
Réactions en chaîne
À ces impacts directs s’ajoutent donc des effets indirects et une modification durable des habitats et des espèces.
Ainsi, les organismes vivants montrent une interdépendance plus ou moins prononcée, notamment par des liens d’alimentation, et toute modification peut affecter en chaîne ces communautés d’espèces liées entre elles. Les impacts répétés peuvent amener à la perte d’organismes vivants essentiels assurant des fonctions clefs des écosystèmes marins (comme le recyclage de la matière organique facilité par certains oursins fouisseurs mais fragiles).
De façon moins perceptible, la chimie des fonds est elle-même bouleversée et les cycles de la matière de ces écosystèmes benthiques peuvent être modifiés de façon profonde. Une remise en suspension du sédiment superficiel pourra ainsi avoir pour conséquence d’augmenter localement la turbidité, de libérer des contaminants ou de la matière organique enfouie dans les sédiments, de modifier les processus biogéochimiques ayant lieu à l’interface eau-sédiment, voire de favoriser la reminéralisation du carbone sédimentaire en CO2 participant ainsi à l’acidification des océans et à l’augmentation du CO2 atmosphérique responsable du réchauffement climatique…
Comment évaluer ces perturbations ?
La mesure plus précise de l’intensité et de l’étendue de la pression exercée par le chalutage est relativement récente ; elle bénéficie notamment de sources de données telles que la géolocalisation (VMS) obligatoire pour les navires de plus de 12 mètres. Après traitement de ces données, on peut ainsi quantifier et localiser précisément une partie significative de l’intensité de l’activité de pêche.
En consultant les données 2021 de l’International Council for the Exploration of the Sea (ICES), on apprend ainsi qu’entre 0 et 200 mètres de profondeur, ce sont en moyenne 66 % de la surface du Golfe de Gascogne et des côtes ibériques, 53 % des mers celtiques et 62 % de la Manche et mer du Nord qui ont fait l’objet d’une pression de chalutage pour la période 2013-2018.
Une meilleure connaissance des effets physiques des différents engins (étendue de la pression exercée sur les fonds par les différents éléments les constituant et profondeur de pénétration dans les sédiments) permet aussi de mieux caractériser les impacts directs sur les habitats.
Si la pression de pêche est maintenant mieux quantifiée, la mesure des modifications des communautés benthiques et plus généralement de l’impact sur les écosystèmes est plus délicate. Après des décennies d’activité de pêche, ces communautés animales sont déjà fortement modifiées (« semi-naturelles ») sous l’effet de la pression de chalutage et parfois même adaptées à cette pression. À l’instar du milieu terrestre européen, il est désormais difficile d’identifier des zones de référence (naturelles ou pristines) sur de nombreux types d’habitats marins.
Mieux observer pour mieux protéger
Un effort de recherche important a été mené tout particulièrement au cours de la dernière décennie pour développer des indicateurs de l’état et de la vulnérabilité des communautés benthiques aux effets du chalutage.
Ces indicateurs s’appuient sur les connaissances scientifiques relatives à la nature et la distribution des habitats et à la composition en espèces associées. Les caractéristiques biologiques des espèces permettent notamment de déterminer leur sensibilité au chalutage (taille, forme, longévité, fragilité). La relation entre la pression de chalutage et les modifications engendrées sur les assemblages d’espèces renseigne ainsi sur leur réponse à la pression et permet une détermination de l’état des écosystèmes.
La connaissance du fonctionnement des écosystèmes permet également des approches prédictives aidant à mieux caractériser de potentiels effets du chalutage avant que l’impact n’ait lieu.
Les données de terrain sont indispensables pour évaluer l’état des écosystèmes benthiques. Un ensemble d’outils d’observation est traditionnellement utilisé par les scientifiques pour étudier les organismes benthiques : les chaluts eux-mêmes, des dragues ou encore des bennes qui permettent de collecter, identifier, dénombrer et peser les différents organismes présents sur ou proche du fond.
S’ajoutant aux méthodes classiques d’observation, de nouveaux outils moins impactant ont vu le jour avec notamment le développement de l’utilisation de la vidéo pour le monitoring.
De la Manche au golfe du Lion
Les premières évaluations à grande échelle sur la façade atlantique révèlent une situation contrastée avec des états généralement altérés par le chalutage (voir à ce propos les données 2017 de Convention internationale OSPAR et celles de 2020 de l’ICES).
La détermination de l’état des habitats doit cependant prendre en compte à la fois leur capacité naturelle à résister aux impacts de la pêche (résistance) ainsi que leur propension à s’en remettre pour revenir à leur état initial (résilience).
L’étude de ces processus doit conduire à la détermination de valeurs seuils au-delà desquelles la communauté est tellement dégradée, qu’elle est durablement (si ce n’est définitivement) remplacée par une communauté semi-naturelle totalement adaptée à la pression.
En Manche, les dernières études soulignent que si les communautés benthiques montrent des états d’altérations importants (77 à 88 % des surfaces des habitats étudiés sont dégradées), elles y sont plus résistantes en raison de contraintes naturelles plus fortes. En Méditerranée, en revanche, la même étude illustre un état généralement très dégradé (89 à 96 % des surfaces des habitats sont dégradées, durablement modifiées voir perdues dans le golfe du Lion), probablement dû à une faible résilience potentielle de ce milieu plus fragile car naturellement peu perturbé et plus limité en ressources.
Comment les limiter ?
S’il semble difficile de se passer du chalutage de fond à court et moyen terme en raison de son efficacité revendiquée par les pêcheurs et surtout de son importance pour l’approvisionnement alimentaire, un certain nombre de mesures permettent d’en réduire les impacts non désirés.
La réduction de l’empreinte du chalutage de fond peut passer par l’utilisation d’engins existants moins « impactants » tels des engins de pêche fixes (lignes, filets, nasses à poissons). En parallèle, sont développés des engins alternatifs tels que des chaluts à panneaux « volants » sans contact prolongé avec les fonds, ou encore des chaluts « intelligents » ne se fermant ou ne raclant le fond qu’au moment voulu.
Le chalut électrique, alternative proposée par les Pays-Bas pour limiter les dommages physiques directs sur le fond (et la consommation de fioul des navires), a cependant été interdit dans les eaux européennes, notamment du fait des effets non complètement quantifiés des impulsions électriques sur les organismes et les fonds marins à moyen et long terme.
Par ailleurs, en plus des coûts pour les pêcheurs de la conversion vers une nouvelle technique de pêche, l’utilisation d’engins de pêche parfois globalement moins efficaces ou moins adaptés à la capture des espèces ciblées peut profondément modifier les performances économiques et la viabilité de certaines pêcheries.
Soustraire des zones au chalutage
Une autre voie de réduction des impacts passe par une meilleure planification spatiale définissant quelles zones sont chalutables, avec quelle intensité et quelles autres ne le doivent pas en regard de leur fragilité.
Les efforts de gestion des ressources vivantes marines visent encore généralement à respecter les objectifs d’exploitation durable (rendement maximum durable) des populations d’espèces ciblées. Ces modes de gestion conduisent souvent à réduire directement ou indirectement l’intensité globale des activités de pêches mais ne régulent pas l’accès aux zones exploitées.
Ces réductions d’intensité, durables ou temporaires, bénéficient aux fonds marins dans les zones où la résilience du milieu permet une récupération rapide de l’écosystème après un impact. En revanche, ils ne permettent pas la protection ou la restauration des habitats les plus sensibles et des espèces les plus fragiles ne tolérant que des impacts physiques très faibles, voire l’absence d’impact.
La gestion spatiale des activités de pêche est déjà partiellement mise en œuvre avec par exemple l’interdiction côtière (zones des 3 milles marins, soit 6 km) du chalutage de fond, hors dérogation pour certains métiers, ou encore l’interdiction plus récente de l’accès aux zones profondes (800 mètres en 2017 en Atlantique, 1000 mètres en 2005 en Méditerranée).
La nécessité de faire évoluer la gestion spatiale des pêches
En Méditerranée, des aires de pêche restreintes ont été proposées avec pour objectif la protection des écosystèmes marins vulnérables. En France, des zones de cantonnements bannissant les engins de pêche entrant en contact avec le fond ont également été mises en place, par exemple dans le golfe du Lion. Cependant l’amplification récente de la création d’aires marines protégées ne signifie pas forcément une protection efficace des fonds marins.
L’accent mis par exemple récemment sur l’impact du chalut sur les habitats profonds cache malheureusement une gestion plus timide des habitats plus « ordinaires » mais néanmoins importants des zones côtières et du plateau continental. Ainsi, moins de 1 % des zones métropolitaines classées comme « aires marines protégées » sont actuellement concernées par une protection significative.
En outre, la fermeture de zones à certaines techniques de pêche, jugées trop dommageables, résulte généralement en un simple déplacement de l’effort dans des zones non protégées, accroissant mécaniquement les impacts néfastes dans ces dernières. La mise en place de zones de fermetures doit donc faire l’objet d’une réflexion globale et prendre en compte, pour les éviter, les effets indirects sur les habitats non protégés.
Alternativement, des idées nouvelles émergent comme des crédits d’accès en fonction de la vulnérabilité des zones et de nombreuses autres initiatives de gestion ont été développées pour tenter de traiter ce problème.
Finalement, un compromis semble nécessaire entre l’exploitation des ressources marines vivantes et la protection de l’intégrité des fonds marins. Une étude récente des patrons d’exploitation de la Manche et de la mer du Nord a ainsi révélé qu’une proportion importante des captures et des revenus provenait d’une partie relativement restreinte des zones de pêche.
Il serait ainsi possible de mettre au point des modes de gestion spatialisés permettant de réduire l’empreinte spatiale du chalutage de fond sur les fonds marins pour un coût relativement faible pour les pêcheries.
L’illusion du retour à un état originel
Le constat général est celui d’un état généralement dégradé, et ce depuis longtemps, des écosystèmes marins benthiques exploités.
L’accès relativement récent à des données détaillées de distribution des navires a constitué un tournant majeur dans l’évaluation des impacts générés par la pêche. De façon générale, l’accès et la diffusion des données sont des éléments clefs du suivi et de la gestion des impacts du chalutage et des autres activités humaines sur les écosystèmes marins.
Les perspectives d’outils d’observation scientifiques plus performants, moins destructifs et de données plus simples à acquérir renforcent encore nos capacités de suivi de l’état des écosystèmes et de leur gestion.
Les progrès en termes de connaissances scientifiques ont été considérables et les recherches actuelles visent à mieux comprendre le lien entre les habitats et les impacts pour protéger les habitats les plus fragiles, abritant des diversités remarquables ou des fonctions essentielles pour les écosystèmes marins.
Actuellement une difficulté majeure reste la définition de seuils de pressions ou d’impacts acceptables pour assurer un fonctionnement pérenne des écosystèmes. Il s’agit notamment de trouver une articulation délicate entre des objectifs parfois conflictuels de conservation de la biodiversité et d’exploitation durable des ressources marines.
Ainsi, la prise en compte des effets néfastes de certaines pratiques de pêche sur les habitats des fonds marins, sur l’érosion de la biodiversité et sur le fonctionnement de ces écosystèmes marins, est devenue une préoccupation importante.
Cependant, la protection ou restauration de ces biotopes passera nécessairement par l’interdiction de certaines pratiques dans des zones couvrant des surfaces bien plus importantes qu’elles ne le sont à l’heure actuelle. Si le retour à un état originel est illusoire sur des zones déjà fortement et depuis longtemps modifiées, nous avons un besoin impérieux de surveiller et ajuster nos pratiques pour en limiter les impacts sur le long terme et ainsi garantir des écosystèmes fonctionnels et une exploitation durable.
Sandrine Vaz, chercheuse en écologie marine, Ifremer et Pascal Laffargue, Cadre de recherche en écologie marine, Ifremer
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.