Un procès historique s’est ouvert hier qui pourrait remettre en question l’empire bâti par Mark Zuckerberg depuis près de 20 ans. Le fondateur de Facebook, aujourd’hui Meta, est accusé d’avoir étouffé la concurrence et l’innovation dans son secteur d’activité.

L’environnement règlementaire a changé
Pendant des années, les géants de la technologie ont évolué dans un cadre réglementaire relativement permissif. La doctrine du laissez-faire dominait à Washington, avec la conviction que l’innovation technologique américaine ne devait pas être entravée face à la concurrence internationale.
Mais la situation a changé. L’élection présidentielle de 2016, le scandale Cambridge Analytica en 2018, et les préoccupations croissantes concernant la protection de la vie privée, la désinformation et la santé mentale des utilisateurs ont transformé la perception publique des géants technologiques. D’anciens héros de l’innovation, ils sont devenus aux yeux de nombreux observateurs des entreprises trop puissantes dont l’influence doit être limitée.
La FTC contre Meta
En 2020, la Federal Trade Commission (FTC), soutenue par une coalition d’une quarantaine d’États américains, a lancé une procédure antitrust contre Facebook. L’accusation est grave : la FTC estime que l’entreprise a délibérément éliminé ses concurrents potentiels en les rachetant avant qu’ils ne deviennent trop menaçants.
Le parcours judiciaire n’a pas été simple. En 2021, le juge chargé du dossier a rejeté les deux premières plaintes déposées par la FTC, obligeant le régulateur à revoir sa stratégie. Malgré ces difficultés, sous la direction de Lina Khan, nommée à sa tête en 2021 et connue pour ses positions critiques envers la concentration du pouvoir économique, l’agence a persévéré en adoptant une approche plus offensive.
Les killer acquisitions
Le procès qui a débuté ce lundi 14 avril introduit un concept relativement nouveau dans le droit de la concurrence : les « killer acquisitions », c’est-à-dire des rachats visant à éliminer des concurrents potentiels avant qu’ils ne deviennent menaçants.
La FTC soutient que les acquisitions d’Instagram et WhatsApp étaient des « killer acquisitions » destinées à maintenir Facebook en position dominante. Selon l’autorité, ces rachats ont été préjudiciables pour les consommateurs en verrouillant les marchés des réseaux sociaux et de la messagerie, permettant à Facebook, devenu Meta, d’imposer davantage de publicité et moins de protection de la vie privée.
Cette fois, la FTC dispose d’arguments plus solides : mémos internes et échanges d’emails entre dirigeants qui pourraient jouer un rôle crucial dans ce procès.
La défense de Meta
Meta ne reste pas sans réponse face à ces accusations. L’entreprise met en avant les milliards de dollars d’investissements à l’origine du succès d’Instagram et WhatsApp après leur acquisition. Meta affirme avoir rendu ces applications plus performantes, plus fiables et plus sécurisées au bénéfice des consommateurs.
Les chiffres semblent lui donner raison : Instagram est passé de 30 millions d’utilisateurs lors de son rachat à plus de 2 milliards aujourd’hui, tandis que WhatsApp est passé de 450 millions à plus de 2,5 milliards d’utilisateurs.
Un autre point central de la défense de Meta concerne la définition du marché présentée par la FTC. Cette question technique est cruciale : si le juge considère que le marché pertinent inclut uniquement les réseaux sociaux traditionnels et la messagerie, la position dominante de Meta sera plus facile à établir. En revanche, si le marché est défini plus largement pour inclure des plateformes comme TikTok, YouTube ou X, l’argument de la position dominante s’affaiblit considérablement.
Les défis d’un éventuel démantèlement
Si Meta venait à perdre ce procès, la mise en œuvre d’un démantèlement soulèverait d’immenses défis pratiques. Instagram et WhatsApp sont aujourd’hui profondément intégrés à l’écosystème Meta, partageant des infrastructures techniques, des équipes de modération et des systèmes publicitaires.
Comment séparer ces entités sans perturber le service pour des milliards d’utilisateurs ? Qui pourrait racheter ces plateformes sans créer de nouveaux problèmes de concurrence ? Ces questions complexes devraient être abordées lors du procès.
L’enjeu est mondial
Ce procès s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en question du pouvoir des géants technologiques. Il soulève des questions fondamentales sur la façon dont nos sociétés souhaitent encadrer ces entreprises devenues indispensables.
Pendant des décennies, l’approche dominante en matière d’antitrust aux États-Unis a été centrée sur le concept de bien-être du consommateur. Or, cette approche montre ses limites à l’ère numérique où de nombreux services sont gratuits pour les utilisateurs, qui paient en réalité avec leurs données.
Au-delà des États-Unis, ce procès est observé avec attention par les régulateurs du monde entier. L’Union européenne, avec son Digital Market Act, le Royaume-Uni, l’Australie ou le Japon pourraient tous ajuster leurs politiques en fonction de l’issue de cette affaire.
Un précédent pour les géants de la tech
Meta n’est pas la seule entreprise technologique sous le feu des critiques, mais comme l’a fait remarquer un expert, ce n’est pas tous les jours qu’une entreprise de cette envergure se retrouve face à une menace aussi sérieuse. Si la FTC l’emporte, cela pourrait créer un précédent pour d’autres géants technologiques, remettant en question des décennies de fusions et d’acquisitions dans le secteur.
Le procès vient de s’ouvrir et son issue reste incertaine, mais le monde entier l’observe avec intérêt.