Point-de-vue- La vaccination à tout va décidée par les autorités sanitaires semblent répondre davantage à des impératifs politiques qu’à une logique de santé publique, estime le Pr Jacques Cohen. [Nous republions cet article du 12 avril 2021 en raison de sa résonance avec l’actualité de cette mi-juillet]
Par le Pr Jacques HM Cohen*
Le vaccin Astrazeneca a perdu la confiance des Français pour une très rare, mais spectaculaire complication de thromboses multiples avec consommation plaquettaire et coagulation intravasculaire disséminée. Il ne s’agit pas d’une logique médicale, car 1 cas sur 600 000 personnes et 50% de mortalité ne compromettent pas le rapport très favorable des coûts/ bénéfices de ce vaccin vis-à-vis de la sévérité du covid-19. Mais la vaccination est affaire de confiance et il faut donc abandonner ce vaccin pour préserver la confiance dans les autres variétés de vaccins contre le SARS-CoV-2 qui ont pourtant, eux aussi, des effets secondaires, mais leur clinique banale ne les rend pas immédiatement perceptibles, surtout dans une population âgée. La communication infantilisante niant toute complication est en fait contre-productive et fragilise cette confiance.
Expérimentation sauvage
Le vaccin AstraZeneca aurait pu être sauvé sans les atermoiements de décisions erratiques. Proscrit d’abord chez les personnes âgées de plus de 65 ans au motif d’une moindre efficacité dans des études in vitro qui n’ont pas été confirmées par les résultats de terrain du Royaume-Uni, puis proscrit chez les sujets jeunes pour des réactions immédiates trop spectaculaires, sans doute en fait liées à une exposition préalable au virus chez ces personnels de santé. Enfin réservé à ceux qui en étaient privés un mois auparavant.
La dernière palinodie concernant le vaccin AstraZeneca est celle des secondes doses en attente, soit quand même plus de 500 000 personnes. Alors que par définition ils ont survécu à la première dose, il est proposé par l’HAS en France et contre l’opinion de l’OMS de ne pas leur injecter le rappel prévu et de le remplacer chez les moins de 55 ans par une injection de vaccin ARN. Le porte-parole de cette docte assemblée ayant argumenté cette proposition par les réponses bien plus élevées obtenues chez l’animal par ce schéma vaccinal. C’est justement ce qui devrait faire récuser cette expérimentation sauvage. L’accroissement des effets secondaires du vaccin ARN administré en injection de rappel peut tout autant en être attendu. Et un effet catastrophique pour l’image de la vaccination serait à craindre.
Mélange de vaccins
S’il s’avère nécessaire d’arrêter AZ pour des raisons plus politiques que sanitaires, en particulier pour ne pas saper la confiance dans la vaccination en général, va se poser en effet la question des secondes doses en attente. La solution la plus rationnelle pour ne pas expérimenter des mélanges de vaccins dans l’inconnu, serait de convertir en schéma Sputnik à deux adénovirus différents: employer comme seconde dose soit l’adénovirus 26 de la première dose soit l’adénovirus 5 de la seconde dose du vaccin Sputnik qui utilise comme AstraZeneca un Adénovirus (26 au lieu de 19). On pourrait envisager d’utiliser le vaccin J&J qui est un adénovirus 26 lui aussi. Il faudrait cependant envisager une demi-dose car son pari est de n’avoir besoin que d’une seule injection en étant beaucoup plus dosé que les autres vaccins à adénovirus. Mais les incidents qui émaillent sa sortie aux USA dont des thromboses à nouveau, n’encouragent pas à prendre des risques dans son administration.
Le remplacement du trou dans le programme vaccinal prévu lié à la disparition du vaccin AstraZeneca (plus de 15 M doses AZ d’ici à l’été) est une autre affaire.
Le nouveau programme vaccinal
Le nouveau programme vaccinal annoncé par Olivier Véran répond à une logique : injecter une dose au maximum de personnes au plus vite. N’importe laquelle et à n’importe qui, semble-t-il, car il semble plus répondre à un impératif politique qu’à une logique de santé publique et de priorité des publics fragiles. Et qu’il lui faut résoudre un cercle quelque peu carré : comment faire alors qu’on manque de doses et que les livraisons annoncées sont en dessous des prévisions ?
Une solution simple est de consommer les secondes doses en réserve et de renvoyer les secondes injections à plusieurs semaines au delà des dates d’injection validées en phase 3. C’est un choix de santé publique fait au Royaume-Uni il y a 3 mois, de privilégier ainsi une immunité partielle, mais significative d’une grande partie de la population.
Transposer cette politique chez nous aujourd’hui méconnait quelques différences. Nous sommes de toute façon très loin de pouvoir protéger une fraction significative de la population (5% de vaccinés aujourd’hui ), permettant une action sur la cinétique de l’épidémie. Nous devrions donc concentrer la vaccination sur la protection efficace des sujets à risques, faute de pouvoir viser la population générale.
Une autre différence majeure avec la situation anglaise passée, c’est l’apparition de variants significatifs, capables d’échapper à l’immunité naturelle ou vaccinale. Une vaccination partielle, voire suboptimale est la meilleure façon de créer une pression de sélection en faveur de la diffusion de ces variants « Sud-Africain », autres ou même autochtones. Concernant le variant Sud-Africain les nouvelles d’Israël sont mauvaises : les seuls cas survenus chez des sujets correctement vaccinés par 2 doses de Pfizer l’ont été avec ce variant malgré sa rareté dans ce pays. Il ne peut donc qu’y progresser. Chez nous, ce variant semble significatif en Moselle puisqu’on vient d’y retirer le vaccin AstraZeneca comme peu efficace à son encontre. On peut prédire de l’exemple israélien l’échec des autres vaccins de première génération. La diffusion du variant en sera facilitée, mais dépendra en fait de l’écologie de ce virus qui transplanté de Mayotte dans le Cantal ne semble pas s’y être implanté.
Effets secondaires
Le nouveau plan vaccinal gouvernemental fait grand cas de l’arrivée du vaccin J&J. Il semble que la DGS n’aie pas de contacts aux USA et ne lise pas le New York Times : après un retard de sortie l’une de deux usines de production ayant dû jeter 15 Millions de doses mélangées à du vaccin AstraZeneca, le Vaccin J&J enregistre d’emblée des cas de thromboses rares et surtout un taux d’effets secondaires immédiats suffisamment important pour avoir fait interrompre son administration dans plusieurs des premiers centres servis. On ne sait si ces ennuis sont liés à une plus forte dose pour un vaccin à dose unique, ou à des rencontres préalables avec le virus de la part des sujets vaccinés. Mais il parait très hasardeux, d’introduire un nouveau vaccin potentiellement inducteur de défiance dans l’opinion publique. Surtout quand les éléments de langage gouvernemental restent sur « tout est sûr et contrôlé par nos Très Hautes Autorités Sanitaires » au lieu de reconnaître des effets secondaires qui ne remettent pas en cause le ratio coût/bénéfice du vaccin chez les sujets à risque.
La patrie et la langue de Louis Pasteur
On voit fleurir dans la presse qui la met même dans la bouche d’un ministre médecin, la confusion entre les sérums et les vaccins. Notre fleuron national en la matière s’est longtemps appelé Pasteur Mérieux Sérums et Vaccins. Preuve qu’il s’agit de 2 choses différentes. Tout médecin français depuis Pasteur et la rage, Von Behring et la sérothérapie antidiphtérique, même neurologue, sait ou devrait savoir qu’un sérum confère une protection passive par les anticorps qu’il comporte tandis qu’un vaccin confère une protection active issue du système immunitaire du sujet vacciné. Une terminologie confusionniste ne peut conduire qu’à obscurcir les concepts et à penser que tous les flacons se valent et qu’on peut administrer n’importe lequel à la suite d’un autre dans une interchangeabilité hasardeuse.
Un danger pour la crédibilité de toute la vaccination anti-Covid19
Le vaccin Astrazeneca, scientifiquement valide est politiquement mort. De nouveaux incidents avec d’autres vaccins, J&J ou vaccins à ARN mal employés en seconde dose, peuvent conduire à un effondrement en dominos de la confiance vaccinale avec des conséquences désastreuses. Nous ne devrions pas en prendre le risque.
Dans cette épidémie, l’acceptation sociale des vaccins est aussi importante que leur sécurité sanitaire.
*Jacques Cohen est Professeur émérite de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, Immunologiste, chercheur au laboratoire de recherche en nanosciences LRN EA4682.
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