L’étau se serre autour des lieux et situations de contamination de la Covid-19. Dans une étude récente, l’Institut Pasteur cible la contamination en lieux clos et lors des repas. Entretien avec le Dr Jean-Michel Wendling, spécialiste Santé Travail à Strasbourg.
Voilà plus d’un an que le coronavirus fait des ravages sanitaires sans que l’on comprenne bien son mode de propagation. La communauté scientifique se heurte à un virus déroutant : des clusters se développent ici et pas là, en intérieur majoritairement, mais aussi en extérieur, dans les usines agro-alimentaires, il cible des populations très différentes et, pour couronner le tout, il mute de manière rapide et anarchique surtout chez le vison.
Une nouvelle étude de l’Institut Pasteur portant sur 77. 208 participants, entre le 1er octobre 2020 et le 31 janvier 2021, décrit les principaux lieux et circonstances de la contamination au Sars-CoV-2. Cette étude « Comcor » confirme que la transmission du virus se fait davantage en intérieur (80% des cas) et au cours des repas. « Les repas jouent un rôle central dans ces contaminations, expliquent les auteurs, que ce soit en milieu familial (35% des cas hors repas de Noël), amical (42%), ou à moindre degré professionnel (15%) ».
-Dr Jean-Michel Wendling, voilà une étude scientifique qui ne vous surprendra pas puisqu’elle conforte ce que vous affirmez depuis longtemps, y compris dans les colonnes d’IDJ.
Effectivement. Depuis le mois de mai 2020, nous sommes un groupe d’experts à avoir la conviction que le temps-repas est un moment à risque tout simplement parce que ce moment convivial où l’on parle est favorable au risque de contaminer l’assiette ou le verre de son voisin. Nous savons que le moment du repas est un moment où la salivation est stimulée de manière importante et qu’en parlant, le risque d’envoyer un postillon est augmenté. Ce dernier est projeté sur une distance d’environ 50 cm et tombe aisément dans l’environnement des convives en face de soi.
-Sous le titre « Covid : les repas coupables » ? vous vous interrogiez déjà en novembre dernier, avec deux autres scientifiques, sur la transmission du virus lors des repas. Vous avez été l’un des premiers à alerter l’opinion. Avez-vous été entendu ?
La transmission par voie aérosol est un risque considéré comme possible mais non principal y compris par les meilleurs experts d’hygiène hospitalière de l’AP-HP (avis du 9 décembre 2020) au-devant de la scène. Ce risque est invisible, anxiogène, et les gens sont obnubilés par le masque au point de ne plus penser à l’hygiène des mains.
Or, en hiver, le nez coule et le mouchage est une source tout à fait probable de transfert du virus sur les mains souvent en grande quantité. 67 % des Français annoncent ne pas se désinfecter les mains après s’être mouchés et 6 Français sur 10 ne se désinfectent pas les mains avant de pénétrer dans un commerce alimentaire. Quasi personne ne se désinfecte les mains dans les transports en communs avant de toucher les barres de maintien. Un tiers ne se lave pas les mains avant de passer à table. Des mains sales souillées lors du mouchage, surtout en hiver, peuvent contaminer les aliments manipulés et si on pense au pain coupé pour les autres membres de la famille ou au tartare de bœuf ou de saumon, aux sushis préparés pour le repas, il y a de quoi se poser des questions sur le risque intra-familial, voire de la chaine alimentaire froide. La pédagogie sur cet aspect est donc essentielle. On constate également par nos observations que les lieux professionnels où les employeurs prennent les mesures que nous recommandons comme se laver les mains avant le repas, s’assoir en quinconce, à distance ou mettre en place des parois séparatives payent. C’est la raison pour laquelle le milieu professionnel est sans doute moins représenté mais nous sommes loin d’une généralisation de ces mesures…En milieu professionnel, les restaurants d’entreprise ne se sont jamais arrêtés. Le risque y est pourtant plutôt maîtrisé.
-Plus récemment, vous avez coorganisé une expérience de restaurant innovant « zéro Covid » à Colmar qui a eu un retentissement énorme. A quand l’ouverture des restaurants ?
Plus qu’une expérience c’est une mise en situation réelle qui s’est attachée à évaluer, tester, valider la faisabilité pratique avec le restaurateur. Nous avons mené une expérimentation en amont avec COMETE pour voir quel est le risque de contamination de l’air et des surfaces en prenant 4 militaires malades qui ont parlé pendant 1h30 au dessus d’une table. Les résultats étaient rassurants et nous ont permis de proposer des solutions pratiques.
Le pré-testing avec EasyCov a également retenu notre attention avec un test réalisable en fin d’après-midi (pour un repas organisé en soirée : résultat en 40mn). Cette réflexion autour du risque repas nous a permis d’échanger et de construire une série de propositions qui sont déjà en partie celles mises en œuvre en milieu professionnel. Nous traitons l’hypothèse d’une contamination surfacique de l’assiette également par une insolation UVLED après dressage et avant d’apporter l’assiette à table. Ces solutions peuvent paraître exagérées pour certains ou insuffisantes pour d’autres mais nous souhaitons pouvoir avancer sur le sujet et expérimenter et valider en vie réelle. La question qu’il faut se poser sur la réouverture des restaurants n’est pas ‘’quand’’ mais ‘’comment’’ ?
-Vous êtes médecin spécialiste Santé Travail, membre du Conseil scientifique et citoyen (CS4) de la ville de Strasbourg. Vous plaidez, lors d’un webinaire, pour des mesures de prévention dans les commerces : hygiène des mains, port du masque, distanciation. Pourquoi ?
En mai 2020, nous étions sur une théorie de transmission principale aérosols. On se rend compte aujourd’hui que les commerces non alimentaires ne sont pas des lieux à haut risque. On ne met pas les objets (livres, vêtements) à la bouche et si le lavage des mains à l’entrée est bien respecté, si le masque est porté pour éviter de disperser des postillons en parlant, le risque pour le personnel venant des clients est proche de zéro.
Par contre, dès mai 2020, nous avions sensibilisé sur le risque de transmission entre salariés durant la pause-café ou le repas. L’hygiène des mains autour de la cuisine ou de la salle de pause et des mesures de distanciation ou paroi séparative si on est en face à face sont essentielles. Les soignants ont été lourdement touchés en milieu hospitalier et n’ont pas forcément été suffisamment sensibles au risque en salle de pause ou au réfectoire. L’étude multi nationale menée sur les soignants publiée en septembre 2020 avait d’ailleurs montré un risque trois fois supérieur de se contaminer au contact des collègues de travail et un risque dix fois supérieur au restaurant hors travail comparé au risque de travailler au contact de malades COVID !
-Et pour les repas à la maison ? Quelles préventions ?
Les précautions simples doivent être prises qui éviteraient des milliers de contaminations intra-familiales : en rentrant des courses, laver ses fruits et légumes issus du marché est associé à une réduction de risques de 94% ! Se laver les mains, pour celui qui prépare le repas, porter un masque par le cuisinier. Le lavage des mains pour toute la famille avant de passer à table est indispensable comme le lavage des mains après les WC, évidemment, ce qui n’est pas appliqué par 23 % des Français (enquête IFOP octobre 2020). Enfin, si quelqu’un est symptomatique, pratiquer un test rapide type Easycov avec résultat dans l’heure qui suit : en cas de positivité, le malade sera isolé avec port du masque, lavage des mains et surtout isolement pour son repas durant quelques jours. Ainsi préservera-t-il l’ensemble de la famille.
Ces mesures respectées ont déjà montré leur efficacité dans des familles avec un seul malade sans diffusion. Il suffit de bien appliquer ces mesures pour réduire le risque au maximum.
Etude Comcor de l’Institut Pasteur
Le Dr Jean-Michel Wendling, spécialiste prévention santé au travail à Strasbourg, est consultant scientifique pour infodujour.fr.