Élus ou recalés du premier tour des municipales, ils sont de plus en plus nombreux à demander l’annulation du scrutin du 15 mars. Une association a adressé une lettre ouverte au président de la République, va déposer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ainsi qu’un recours devant le Conseil d’État. Pour elle, « le premier tour n’a pas eu lieu : refaisons-le » !
Faut-il annuler le premier tour des élections municipales ? Nous posions la question dans un article du 28 mars puisqu’il est évident que les conditions particulières dans lesquelles s’est déroulé le scrutin ont manifestement faussé les résultats. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de recours en annulation sont déposés devant les tribunaux administratifs.
Une centaine d’élus et pour certains réélus, comme Laurent Jaoul, maire de Saint-Brès, dans l’Hérault, se sont constitués en collectif autour de Renaud George, maire sortant de la commune de Saint-Germain-au-Mont-d’Or et Vice-Président de la Métropole de Lyon, pour demander l’annulation du scrutin du 15 mars. Le collectif a lancé une pétition en ligne intitulée «Annuler et reporter les élections municipales après la pandémie du coronavirus !
Désormais, ce collectif devient l’association « 50 millions d’électeurs » qui a pour vocation de « défendre l’expression du suffrage universel qui n’a pas été respecté. » L’association a décidé de déposer une QPC pour demander au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la régularité du premier tour de l’élection municipale. Entourée d’éminents juristes, elle entend aussi déposer un recours devant le Conseil d’Etat.
La faute au gouvernement
Candidat à Sarrebourg, en Moselle, Fabien Kuhn fut sans doute le premier à demander officiellement la démission de l’ensemble du conseil municipal. Il reconnaît que l’assemblée a été régulièrement élue mais qu’elle n’est pas légitime « du fait du recul historique de la participation (moins 22,66% par rapport à 2014)… pour des causes indépendantes de notre volonté. »
Depuis de nombreux élus lui ont emboité le pas. Du nord au sud, de l’est à l’ouest, les recours déposés devant le juge administratif se multiplient.
A Arzal, dans le Morbihan, Marie Odile Jarligant distancée de 8 voix par son concurrent « demande au tribunal administratif de Rennes de prendre acte de sa contestation du scrutin en date du 15 mars 2020 ». La candidate explique que « le taux d’abstention est dû aux annonces gouvernementales accompagnant ce scrutin pour lutter contre la propagation du virus COVID -19 ».
Même protestation des élus de la commune de Blainville-sur-Orne, dans le Calvados, où les requérants font valoir « l’indivisibilité des deux tours de l’élection et l’illégalité du report du second tour ».
A Briouze, toujours dans le Calvados, Philippe Leprince note dans son recours devant le tribunal administratif que le discours du Premier ministre, veille du scrutin, est à l’origine d’une abstention record dans la commune.
A Charentilly (Indre-et-Loire), Patrick Lehagre met en cause la sincérité du scrutin expliquant au tribunal qu’il a pris « la décision d’annuler la seule et unique réunion publique » le 14 mars.
Christian Bertin à Creuzier le Vieux (Allier) dépose une requête en annulation du scrutin en raison « d’un delta infime de 36 voix » dû vraisemblablement au fort taux d’abstention.
Contestation des résultats du scrutin encore à Fenouillet (Haute-Garonne) à Flers-de-l’Orne (Orne), à Paimpol (Côtes-d’Armor), à Pernes (Pas-de-Calais), à Quency-Voisins (Seine-et-Marne), à Sauveterre de Guyenne (Gironde) à Templeuve (Nord), à Venette (Oise) et dans de nombreuses autres communes, petites ou grandes.
« Abstention contrainte »
Mais c’est sans doute le maire sortant de la commune de Saint-Germain-au-Mont-d’Or (Rhône) qui présente l’argumentaire le plus pertinent et le plus convaincant au juge administratif.
Renaud George, tête de liste « Saint-Germain s’engage » demande l’annulation de l’élection du 15 mars au cours de laquelle il a été battu par Béatrice Delorme par un écart de 76 voix. Il note un taux d’abstention record de 60,47% (contre 34,39% en 2014). Il note aussi que cette abstention « n’a pas été libre mais contrainte » par la situation et les déclarations du gouvernement.
Dans son mémoire, Renaud George démontre, témoignages à l’appui, » les pressions exercées sur les électeurs les ayant amenés à se détourner du scrutin ». Il rappelle la chronologie des principales communications « ayant altéré la liberté des électeurs à se rendre aux urnes ».
– Le 12 mars 2020, le président de la République s’adresse aux Français. « Le virus peut avoir des conséquences très graves, en particulier pour celles et ceux de nos compatriotes qui sont âgés. […] C’est pourquoi je demande ce soir à toutes les personnes âgées de plus de 70 ans […] de rester autant que possible à leur domicile. »
–Le 12 mars 2020, le Conseil scientifique publie son avis : « On s’attend à ce qu’au moins 50% de la population soit infectée. […] La seule option est de diminuer les contacts […] Les mesures de contrôle de premier niveau sont […] la fermeture des écoles, l’isolement des malades, l’interdiction des rassemblements de masse et le télétravail […] risque accentué pour les populations les plus fragiles et les plus vulnérables, en particulier pour les personnes âgées […] le haut degré d’inquiétude d’une partie de la population […]
–Le 13 mars 2020, le Ministère des Solidarités et de la Santé prend un arrêté portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 et indique sur son site internet « Coronavirus : qui sont les personnes fragiles ? Les personnes âgées de 70 ans et plus ».
–Le 14 mars 2020, communication du Haut Conseil de la Santé Publique disponible sur le site du ministère de la Santé indiquant « La plus grande fréquence documentée des complications du COVID-19 […] chez les patients atteints de pathologies chroniques ([… pathologies respiratoires, […]) ou de cancers et chez les personnes âgées de plus de 70 ans […].
-Le 14 mars 2020, dans une allocution télévisée au journal de 20 heures, le Premier ministre s’adresse aux Français pour leur annoncer de nouvelles mesures face à « une accélération de la diffusion du virus et dans certains territoires une augmentation très importante des personnes en réanimation ».
Il annonce dès le samedi 14 mars à minuit « la fermeture […] de tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays. […] des restaurants, cafés, cinémas, discothèques. […] de tous les commerces à l’exception des commerces essentiels ». Mais il poursuit en indiquant « que le premier tour pouvait se dérouler demain en respectant strictement les consignes de distanciation et de priorisation des personnes âgées et des personnes fragiles ».
–Le 14 mars 2020, une tribune publiée par 17 médecins, chirurgiens, urgentistes, réanimateurs, responsables de centre de prévention des infections… intitulée « Monsieur le président, nous vous demandons le report des élections municipales » est publiée sur Le Figaro et largement diffusée sur les réseaux sociaux. On peut notamment y lire « les personnes âgées de plus de 60 ans présentent un risque majeur de formes sévères de la maladie. Il convient donc de ne pas les exposer au risque COVID-19, qu’ils soient votants ou membres du bureau de vote » et « il nous semble indispensable de repousser les élections dans une démarche de protection de la santé de chacun de nos concitoyens. »
–Le 14 mars 2020, la France passe au stade 3 de l’épidémie.
–Le 15 mars 2020, le jour du scrutin, le ministère des Solidarités et de la Santé publie « COVID-19 : Rester chez soi pour freiner la propagation de l’épidémie […] Les formes graves sont signalées chez des personnes âgées ou fragiles […] Des mesures fortes de distanciation sociale ont été annoncées. Il faut impérativement les respecter. […] Ces mesures doivent être prises sérieusement : limiter les contacts permet de sauver des vies […] Je reste chez moi et je limite mes déplacements au maximum (courses, essence…) et j’évite tous les rassemblements ».
-Le 15 mars 2020, le jour du scrutin à 10h, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer s’exprime sur Europe 1 : « L’épidémie de coronavirus touchera « probablement » plus de la moitié de la population française. » « On considère, et là je ne fais que répéter ce que disent les scientifiques, que 50 à 70% de la population in fine finit par être contaminée par le virus ».
Un climat anxiogène
Renaud George poursuit sa démonstration en précisant qu’il y avait alors « un climat anxiogène exacerbé par les médias jusqu’au jour de l’élection ». Dans l’édition locale du Progrès Ouest Lyonnais plusieurs articles sont consacrés à la situation sanitaire alarmante. Le journal souligne : « Les personnes de plus de 70 ans et présentant des fragilités de santé (les plus vulnérables face au virus) sont invitées à rester chez elles au maximum ».
Mêmes alertes sur les réseaux sociaux. Et un leitmotiv : « RestezChezVous ».
Effondrement de la participation
L’élu de Saint-Germain-au-Mont-d’Or ajoute qu’au lendemain de l’élection, de nombreux citoyens ont exprimé leur colère d’avoir été privés de leur liberté de voter. Suivent une soixantaine de témoignages d’électeurs de tous âges.
Avec un taux de participation de 39,53% (contre 65,65% en 2014), Renaud George démontre dans une analyse fine « un effondrement de la participation chez les plus jeunes (20,16% au lieu de 47%) et chez les 65 ans et plus qui étaient 80% à voter en 2014 et seulement 42,82% en 2020. »
Ajoutons à cela « les irrégularités commises dans le déroulement des opérations de vote de nature à altérer le caractère secret du vote » du fait, en particulier, des isoloirs ayant des rideaux et d’autres non.
Rupture d’égalité
Renaud Georges précise encore que « le report du second tour du scrutin après la crise sanitaire créera donc plusieurs ruptures d’égalité. » Entre les élus : du premier et du second tour. Entre les citoyens : les conseils municipaux élus au premier tour ne seront pas le reflet réel des attentes des citoyens qui n’ont pu se rendre aux urnes par crainte d’une contamination. Entre les représentativités des populations fragiles/ peu fragiles.
Ainsi, « pour toutes ces raisons, nous demandons l’annulation du scrutin du dimanche 15 mars 2020 de l’élection municipale de la commune de Saint-Germain-au-Mont-d’Or afin que le scrutin puisse se dérouler à nouveau dans les conditions normales permettant un vote libre, sincère et secret. »