Point-de-vue. Alors que s’ouvre aujourd’hui la « conférence de financement » visant à trouver un équilibre budgétaire au système des retraites, l’ancien secrétaire d’Etat au budget propose une solution.
par Christian Eckert
Notre pays serait-il conduit par des idiots ? Je n’y crois pas un seul instant. J’ai exercé des responsabilités à différents niveaux de la République. J’ai donc mesuré l’intelligence, la puissance de travail et l’efficacité qui règnent à peu près partout dans nos institutions. Contrairement à beaucoup, je ne suis pas de ceux qui le regrettent.
Une question va tarauder les esprits du gratin des forces syndicales d’une partie du Gouvernement et sûrement du Président pendant trois mois. Elle est aujourd’hui dans tous les journaux : « Comment trouver 12 Milliards ? »
« Pas sérieux »
D’abord, cette question ne devrait pas se poser pour au moins trois raisons :
• La réforme a été préparée pendant deux ans sous la houlette de M. Delevoye. L’aspect financier d’un dossier aussi important, qui touche tout le monde et qui met en jeu le quart de la dépense publique n’aurait pas fait l’objet de chiffrages ? Ceux-ci n’auraient-ils pas conduit lors des échanges avec les partenaires sociaux à évoquer des solutions ? Le Gouvernement aurait adopté un projet sans arbitrage financier ?
• Le déficit de la Sécurité Sociale qui inclut les retraites est artificiellement généré par ce gouvernement. Avant 2018, toutes les exonérations de cotisations sociales qui amputent les recettes de la Sécu étaient intégralement compensées par l’Etat qui les décidait. Depuis 2 ans, le gouvernement s’est assis sur cette règle (d’ailleurs inscrite dans la loi Veil de juillet 1994). Il a diminué voire supprimé des cotisations sociales pour 5 Milliards d’Euros et a créé un déficit du même ordre alors que l’équilibre était possible. Ils ont même osé en rendre responsables les gilets jaunes…
• Les 12 milliards évoqués par le gouvernement sont plus qu’approximatifs. Jean Pisani-Ferry et Philippe Aghion, économistes respectés et pas franchement opposants d’Emmanuel Macron, écrivaient dans Le Monde : « Ce montant a été calculé en faisant la moyenne entre la projection la plus optimiste du Conseil d’orientation des retraites pour 2025 et sa projection la plus pessimiste, sans discuter des hypothèses sous-jacentes. Ce n’est simplement pas sérieux. Plus généralement, le manque d’informations, il est temps d’y mettre fin. »
Bingo
Ensuite, quand bien même on la poserait ces termes, des réponses simples autres que l’âge pivot existent :
• Diverses réserves existent et sont évaluées à plus de 150 Milliards d’Euros. Bâtir un régime prétendu universel dans le calcul des droits conduit à mutualiser les actifs puisqu’on partage et unifie les dépenses. D’ailleurs ces réserves, par exemple le Fonds de Réserve des Retraites (plus de 30 Milliards), ont été constituées pour faire face aux aléas démographiques ou économiques et passer les caps financiers délicats.
• Le comble est atteint lorsqu’on sait regarder les choses d’un peu plus haut : la dette de la Sécu sera complètement remboursée en 2024. Rembourser cette dette coûte au pays autour de 18 milliards d’Euros par an. A partir de 2025, ces 18 milliards seront disponibles tous les ans pour faire autre chose, sans créer de nouvel impôt ou de nouvelle taxe, simplement en reconduisant la situation à l’identique. C’est comme un ménage qui a fini de payer le crédit de sa maison… Certains suggèrent d’utiliser cette ressource pour financer la dépendance. Ils ont raison. Mais les rapports sur le sujet évoquent des dépenses autour de 6 milliards. Mais 6 ôté de 18, il reste 12… Bingo.
La complexité des finances publiques, la difficulté de prévoir l’avenir à long terme et les aléas qui peuvent survenir doivent nous conduire à beaucoup d’humilité. Mais pas à passer à côté d’évidences. Pour en revenir à mon introduction, je suis sûr que ces options simples et socialement généreuses sont connues. Elles ont sans doute été écartées pour des raisons que j’ignore… Ou que je connais trop bien.