Coline Jaworski, Aix-Marseille Université (AMU) et Benoît Geslin, Aix-Marseille Université (AMU)
Café, pommes, miel… on ne compte pas les produits de notre alimentation qui n’existent que grâce au concours précieux des pollinisateurs. Et pour cause, ils contribuent à plus de 30 % de la production agricole. La plupart sont des insectes, tout particulièrement de la famille des abeilles (près de 1000 espèces différentes rien qu’en France), des papillons, ou encore des diptères comme les syrphes.
Outre nous nourrir, ces insectes jouent aussi un rôle crucial dans la reproduction de très nombreuses plantes sauvages : en transportant le pollen d’une fleur à l’autre, ils permettent leur fécondation et ainsi la production de fruits puis de graines. Ils participent ainsi indirectement à la production laitière en permettant le renouvellement des prairies et au fonctionnement des écosystèmes terrestres, en soutenant les premiers échelons de la chaîne alimentaire, les plantes !
Bien sûr, les pollinisateurs ne rendent pas ces services gratuitement : ils recherchent le nectar et le pollen récoltés sur les fleurs pour se nourrir. En quête de ces ressources, ils utilisent essentiellement leur vue et leur odorat : ils repèrent le nombre, la couleur et le parfum des fleurs.
Comme beaucoup d’autres insectes, les pollinisateurs sont en déclin partout dans le monde : au Royaume-Uni, 1/3 des espèces sauvages ont connu un déclin de leur aire d’occupation sur les trente dernières années. Les espèces sauvages les plus rares sont particulièrement menacées, du fait de la disparition de leur habitat.
Outre les pertes d’habitat, les pollinisateurs sont menacés par l’intensification agricole, et le changement climatique. L’une des voies par lesquelles le changement climatique affecterait leur travail de pollinisation est celui de l’odeur : en modifiant le parfum des plantes, essentiel à ce processus, le changement climatique désoriente les abeilles.
La mémoire des senteurs
Pour repérer leur nourriture, les pollinisateurs ont recours à des signaux visuels (nombre et couleur des fleurs) mais aussi olfactifs, c’est ce qu’on appelle l’odeur florale. Une abeille est ainsi capable de mémoriser un parfum et de l’associer à la ressource de la plante en question. Elle parvient même à se souvenir ce que sent une fleur produisant un nectar riche en sucre, pauvre en sucre, ou bien une fleur qui ne contient pas de nectar.
L’odeur florale est composée de centaines de petites molécules émises par la plante. Lorsqu’une plante est stressée (par exemple, du fait d’un manque d’eau ou d’une attaque par des herbivores), elle change son odeur, en émettant des composés de défense contre le stress. C’est typiquement le cas de l’odeur d’herbe coupée lorsque l’on tond une pelouse. L’odeur forte du romarin, que l’on retrouve avec des notes plus sucrées dans celle de ses fleurs, a aussi pour fonction de protéger la plante, et les abeilles ont appris à l’utiliser pour trouver le nectar.
Le changement climatique, qui dans de nombreuses régions crée un risque accru de sécheresse et une hausse des températures, provoque un stress chez les plantes et donc une modification des odeurs florales. Dans le bassin méditerranéen, on s’attend à une réduction des précipitations de 30% d’ici à la fin du siècle. Même si les espèces emblématiques telles que romarin, cistes et thym sont adaptées aux conditions de sécheresse, elles en seront fragilisées.
Abeilles sauvages et romarins stressés
Avec une équipe de chercheurs marseillais de l’IMBE, nous cherchons à évaluer l’impact du changement climatique sur la pollinisation. Dans la garrigue marseillaise du Massif de l’Étoile, nous avons mesuré les odeurs du romarin en conditions actuelles, et en conditions plus arides (30% de précipitations en moins). Pour cela, on enferme un rameau fleuri dans un petit sac sous flux d’air, et on piège les odeurs dans un petit tube à la sortie du sac. Le contenu du tube est alors analysé en laboratoire. Les romarins stressés émettent une odeur plus intense, et plus diverse (avec plus de molécules) : même si les différences sont subtiles pour le nez humain, les abeilles ont un bien meilleur odorat. Nous avons donc observé quelles plantes (stressées ou non) les abeilles préféraient. Et regardé l’impact de leur choix sur la production de fruits des plantes.
Les abeilles domestiques, très abondantes dans le Massif de l’Étoile, dominent la communauté de pollinisateurs : elles collectent le nectar en petites troupes et sont plus grosses que les petites abeilles sauvages. Probablement du fait de ces différences, nous avons constaté une répartition des ressources : les abeilles domestiques tendaient à préférer les plantes non stressées (probablement du fait d’une ressource de meilleure qualité), et les petites abeilles sauvages choisissaient plus souvent les plantes stressées.
Outre une modification des odeurs florales, nous n’avons pas pu mettre en évidence de différence en terme de nombre de fleurs, de leur couleur ou de la production en nectar. Il est possible toutefois que le nectar ait été affecté, par exemple en produisant des mélanges de sucres différents.
Finalement, nous avons observé une légère production de fruits (et donc de graines) plus importante sur les plantes stressées, cela étant peut-être à relier à une meilleure efficacité de pollinisation des petites abeilles sauvages. Ce faisant, dans le contexte de notre étude, elles favorisent la reproduction de plantes mieux adaptées encore à la sécheresse, ce qui permettra à la communauté de plantes de mieux répondre au changement climatique.
Afin de protéger les abeilles sauvages et préserver les fonctions de pollinisation à la fois en milieu naturel et pour la production agricole, il importe de mesurer précisément comment le changement climatique affecte la production de ressources florales dans chaque milieu. Parallèlement, il faudrait atténuer la compétition avec l’abeille domestique par une bonne adéquation entre la densité des ressources et celles des ruches : si l’environnement produit trop peu de fleurs pour alimenter toutes les ruches, ce sont d’abord les abeilles sauvages qui se trouveront sans ressources.
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Coline Jaworski, Chercheuse Postdoctorale en écologie évolutive / Postdoctoral Fellow in evolutionary ecology, Aix-Marseille Université (AMU) et Benoît Geslin, Maître de conférences en écologie, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.