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Cyberviolence verbale : comment lutter contre ses différentes facettes

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Les rumeurs qui circulent en ligne ciblent deux fois plus les filles que les garçons.
Shutterstock

Bérengère Stassin, Université de Lorraine

La cyberviolence verbale est la forme de violence la plus répandue au sein du web et des réseaux sociaux. Elle prend différentes formes : des insultes qui sont parfois envoyées par salves et qui relèvent du flaming, du roasting (voir ci-dessous) et de l’automutilation digitale, notamment chez les plus jeunes.

Ces violences peuvent être combattues de différentes manières : par voie juridique, par la modération et par le signalement des contenus discriminants et illicites, par l’éducation des plus jeunes à l’esprit critique, aux médias et à l’information ou encore à l’empathie.

Les insultes

L’insulte peut être définie comme un terme impliquant un jugement de valeur négatif, un terme métaphorique, métonymique, ou encore hyperbolique, qui associe une personne à des animaux ou à des objets connotés négativement ou perçus comme dégoûtants. C’est un acte social porteur de conséquences, un acte intentionnel, réalisé en vue de blesser.

L’insulte revêt souvent une dimension stéréotypée et peut être classée en quatre catégories :

  • l’« ethnotype » qui renvoie à l’appartenance géographique de la personne insultée ;
  • le « sociotype », lié à sa fonction sociale ou à sa profession ;
  • le « sexotype », renvoyant à son genre ou à son orientation sexuelle ;
  • l’« ontotype », lié à son être ou à son essence même.

Les ethnotypes, sexotypes et ontotypes occupent une place importante dans la cyberviolence, notamment dans la cyberviolence entre adolescents.

Une enquête nationale de victimation en milieu scolaire – réalisée par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) en 2013 – chiffrait à 7,4 % le nombre d’élèves ayant fait l’objet de surnoms méchants et à 9,7 % ceux ayant fait l’objet d’insultes envoyées par SMS ou sur les réseaux sociaux. Cette étude précisait que ces insultes pouvaient être en lien avec l’origine, la religion, la tenue vestimentaire ou encore l’apparence physique, et que la cyberviolence semblait davantage toucher les filles que les garçons.

Les mêmes conclusions émanent des travaux de Sigolène Couchot-Schiex et Benjamin Moignard (2016) : 1 fille sur 5 (20 %) a fait l’objet d’insulte sur son apparence physique (poids, taille ou toute autre particularité physique) contre 1 garçon sur 8 (13 %). Les rumeurs qui circulent en ligne ciblent deux fois plus les filles (13,3 %) que les garçons (6,3 %). Les insultes sexistes et les rumeurs ciblant les filles participent souvent d’un phénomène nommé le slut shaming et peuvent être la conséquence d’un acte de revenge porn. On blâme alors celle qui a osé poser nue devant un appareil photo ou une caméra.

Le flaming

Le flaming est une pratique qui consiste à envoyer, au sein d’un forum de discussion ou de la zone de commentaires d’un blog ou d’un site, une série de messages insultants, voire haineux, dans le seul but de provoquer un conflit ouvert.

Cela n’est pas sans rappeler le trolling, à la seule différence près que ce dernier a plutôt pour objectif de créer une controverse interminable jusqu’à rendre impossible la discussion et que les propos peuvent être provocateurs sans être nécessairement insultants ou haineux. Mais, dans le langage courant, les flamers sont souvent qualifiés de trolls.

Le flaming peut cibler un groupe ou une catégorie de personnes ou s’abattre sur une seule et même personne. La déferlante de commentaires insultants, misogynes et haineux provoquée par la publication d’une vidéo intitulée « #TasÉtéHarceléeMais… t’as vu comment t’étais habillée ? » postée par la YouTubeuse Marion Seclin sur le webzine Madmoizelle en juillet 2016 illustre assez bien le phénomène. Tout comme les centaines de messages d’insulte et de menaces de viol et de mort reçues par la journaliste Nadia Daam à l’automne 2017, suite à sa chronique acide contre les membres du forum Jeuxvideo.com. Deux de ses cyberharceleurs ont d’ailleurs été condamnés à six mois de prison avec sursis et 2 000 euros de dommages et intérêts par le tribunal de grande instance de Paris.

Pour dénoncer cette violence verbale dont sont victimes en ligne de nombreuses femmes, et plus particulièrement de nombreuses féministes, la journaliste Éloïse Bouton a ouvert un Tumblr intitulé Paye ton troll en 2017. Elle expliquait à la rédaction de Numerama :

« Ça fait des années que je suis trollée sur Internet parce que je suis féministe, j’ai même porté plainte pour menace de mort, des plaintes qui n’ont pas eu de suites […] Le simple fait de mettre un hashtag #féminisme sur Twitter lorsque je publie un article déclenche la plupart du temps des trolls. Ce sont souvent des commentaires qui viennent de la fachosphère ou des sympathisants de la Manif pour tous »

Le flaming relève du discours de haine sur Internet. Des forums, des blogs, des espaces de commentaires de sites web, des comptes ouverts sur réseaux sociaux numériques regorgent en effet de propos racistes, antisémites, sexistes, homophobes, transphobes qui échappent parfois à la modération et dont la visibilité est accentuée par la magie des algorithmes (plus un contenu est liké ou commenté, plus il sera visible).

Cependant, comme le souligne l’universitaire Olivier Ertzscheid :

« Il y a bien un discours de haine présent sur Internet. Comme d’ailleurs dans le PMU du coin. »

Mais ce serait une erreur de leur accorder trop d’importance et de réduire l’expression des internautes à ce seul type de discours, ces « phénomènes relevant de l’infinitésimal » à l’échelle du web. Il ne faut donc pas confondre l’importance quantitative avec l’importance qualitative.

Le roasting

De l’anglais roast (« se moquer », « ridiculiser »), le terme roasting est aujourd’hui utilisé pour qualifier une nouvelle pratique apparue il y a quelque temps au sein des réseaux sociaux et consistant à demander à être ridiculisé publiquement.

Des jeunes souvent pris à leur propre jeu, et dépassés.
Shutterstock

Concrètement, il s’agit de poster une photo de soi-même sur laquelle on n’est pas à son avantage, de la hashtagger #roastme et, donc, d’inviter ses contacts à la commenter négativement. Sur Twitter, le hashtag est parfois suivi de mention comme « show no mercy » (« ne montrez aucune pitié »), « feel free to roast me mercilessly » (« sentez-vous libre de me ridiculiser sans aucune pitié »), « trash talk me » (dites-moi des saloperies ») ou encore « put me on blast » (démolissez-moi »).

Cette pratique semble avant tout viser à faire rire. Pour certains, il s’agit d’imiter les roasts télévisés américains dans lesquels un humoriste se moque ouvertement d’une célébrité présente sur le plateau, laquelle doit se soumettre au jeu et encaisser les « coups » sans rien dire.

Pour d’autres, il s’agit de s’engager dans une « joute verbale » inspirée des battles entre rappeurs : « Who up for a epic roast battle ? » (« Qui est partant pour un combat d’insultes épique ? »), demande par exemple un twittos à ses followers.

Il n’est cependant pas impossible que les choses s’enveniment, que les commentaires, obéissant à une logique de surenchère, deviennent insultants, voire humiliants et aboutissent au phénomène de flaming que nous venons de décrire. Cela peut heurter la sensibilité des plus jeunes participants et les blesser. Le jeu qu’ils ont initié peut alors se retourner contre eux.

L’automutilation digitale

L’automutilation digitale a été révélée en 2013 suite au suicide de la jeune Hannah Smith, initialement imputé à un cyberharcèlement dont elle aurait été victime. Mais l’enquête a révélé que les insultes et incitations au suicide qu’elle recevait en ligne émanaient principalement d’elle-même. La jeune fille postait des questions sur le réseau social Ask.fm (ex : « Que pensez-vous de moi ? ») et y répondait elle-même via un compte anonyme qu’elle avait ouvert : « Va mourir », « attrape un cancer », « bois de l’eau de Javel »…

Une étude réalisée en 2017 auprès de 6 000 élèves américains âgés de 12 à 17 ans a révélé que 6 % d’entre eux avaient déjà publié anonymement en ligne des propos blessants à leur propre encontre. Parmi ces 360 élèves à s’être adonnés à cette pratique, 51 % ont déclaré ne l’avoir fait qu’une seule fois, 36 % ont déclaré l’avoir fait à plusieurs reprises et 13 % ont reconnu le faire régulièrement (Patchin, Hinduja, 2017).

De nouveaux outils contre la cyberviolence verbale

Les discours de haine sont des délits punis par la loi, mais les modalités de publication de l’information au sein du web compliquent bien souvent la mécanique régulatrice des propos haineux par l’ordre juridique : anonymat, flux continu, dimension internationale des plates-formes de réseautage social.

De nouveaux outils se mettent en place pour combattre la cyberviolence verbale.
Shutterstock

Ces dernières ont de toute évidence un rôle clé dans la lutte contre les cyberviolences qui se déroulent la plupart du temps en leur sein. On peut citer les dernières mesures prises par Facebook contre l’intimidation et le harcèlement : possibilité de masquer ou de supprimer plusieurs commentaires à la fois sous un post, ou encore possibilité de signaler un contenu jugé injurieux publié sur le compte d’un ami.

Rappelons également la possibilité pour tout internaute de signaler tout contenu suspect ou illicite par le biais de la plate-forme PHAROS mise à disposition par l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).

L’éducation à l’esprit critique… et à l’empathie

La lutte contre la cyberviolence passe aussi par l’éducation des plus jeunes, et notamment par l’éducation à l’esprit critique. L’enjeu est de leur permettre de prendre de la distance par rapport aux contenus qu’ils consultent, mais aussi qu’ils relayent, likent et publient eux-mêmes.

Certains établissements scolaires, partenaires de l’association Respect Zone, forment dans cette perspective leurs élèves à l’automodération et à l’autodéfense en ligne afin qu’ils prennent le réflexe de réfléchir avant de « cliquer » et sachent que faire lorsqu’ils se retrouvent victimes de violence en ligne. L’éducation aux médias et à l’information (EMI) qui vise, entre autres, à apprendre aux élèves à publier de l’information de manière citoyenne et responsable, dans le respect de la vie privée, du droit à l’image et de la dignité de chacun, est aussi une arme efficace.

Autre levier d’action : l’éducation à l’empathie. Il s’agit d’apprendre à se mettre à la place des autres dont le visage n’est pas visible et dont les émotions sont inaccessibles en contexte numérique ; être capable d’imaginer l’impact que la publication de tel ou tel contenu aura sur eux.

Enfin, favoriser le développement de l’estime de soi chez les plus jeunes est également pertinent, pour lutter, par exemple, contre l’automutilation digitale : parce qu’une bonne « estime de soi » – c’est-à-dire une évaluation positive de soi-même, de son mérite et de sa valeur – va directement influer sur la « confiance en soi » (sentiment que l’on est capable d’agir) et sur l’« affirmation de soi » (capacité à exprimer ses besoins et désirs aux autres tout en respectant les leurs).The Conversation

Bérengère Stassin, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, membre du CREM, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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