Dix ans après les faits, huit prévenus comparaîtront du 13 au 30 mars 2018 devant la 14ème chambre du TGI de Paris. Ce procès pourrait être aussi celui de la police et de la justice.
Un fiasco ! Un échec pour la police et le parquet antiterroriste. Le procès des huit prévenus (voir ci-dessous) de « L’affaire de Tarnac » qui s’ouvrira le 13 mars devant la 14ème chambre du tribunal de Paris va révéler les nombreuses failles de l’enquête menée en dépit du bon sens pour tenter de confondre une dizaine d’individus entrés en rébellion contre le capitalisme. Avec, au cœur des investigations de la SDAT (sous-direction anti-terroriste) le fameux procès-verbal de filature de Julien Coupat et de son ex-épouse Yildune Lévy, coté D 104.
Sabotage des lignes TGV
L’affaire commence dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 lorsque quatre crochets métalliques sont suspendus aux caténaires de plusieurs lignes TGV provoquant la paralysie du trafic ferroviaire en ce début de long week-end du 11 novembre.
Un sabotage du réseau ferré. Du jamais vu depuis la dernière guerre sur le territoire français. Qui a posé ces fers à bétons en pleine nuit sur des caténaires chargées à 25.000 volts ?
Trois jours plus tard, le 11 novembre, une dizaine de personnes sont interpellées à Tarnac, sur le plateau de Millevaches, en Corrèze, au cours d’une opération à grand spectacle, l’opération « Taïga ». La police affirme avoir mis hors d’état de nuire « un groupe appartenant à l’ultragauche » dont Julien Coupat, 43 ans, serait « le chef charismatique ». L’enquête est confiée au parquet antiterroriste de Paris. Les jeunes de Tarnac sont jetés en prison.
« La lutte armée »
Les perquisitions menées à la ferme du Goutailloux, à Tarnac, où les suspects vivent en communauté n’ont rien donné. Quelques livres et revues subversives dans les bibliothèques. Et des ordinateurs attestant des liens entre les jeunes Français et leurs camarades en rébellion dans plusieurs pays étrangers. Mais aucun élément matériel reliant les suspects au sabotage des lignes TGV.
Pourtant, alors que les perquisitions sont toujours en cours, la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie accuse : les suspects, dit-elle, « appartiennent à l’ultragauche, mouvance anarcho autonome ».
Le 14 novembre, le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, faisant fi de la présomption d’innocence déclare au cours d’une conférence de presse : « Il y a une sorte de noyau dur composé de cinq personnes qui va se voir, demain, reprocher par le parquet, pour l’un d’entre eux, le fait d’être le dirigeant d’une structure à vocation terroriste… Ce noyau dur avait conçu la création d’une structure qu’ils appelaient la “cellule invisible” et qui avait pour objet la lutte armée… ». Il ajoute : « Il n’est pas exclu que ce groupe ait envisagé des actions violentes et notamment contre des personnes ».
La nouvelle DCRI
Mais où le procureur de Paris va-t-il chercher tout ça ?
Tout simplement dans un rapport de la SDAT, le fameux PV coté D 104.
On y apprend que Coupat et Levy sont sous surveillance policière depuis le 16 avril 2008 car ils sont soupçonnés d’appartenir à un groupe de jeunes anars qui n’hésitent pas à faire le coup de poing avec la police. La SDAT précise que ce groupe est constitué “ autour de son leader charismatique et idéologue ”, Julien Coupat. Il est constitué d’une vingtaine d’individus, obéit à une doctrine “ philosophico-insurrectionnaliste ” (sic) qui s’est fixé pour mission de provoquer la chute de l’État. »
Dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, justement, Coupat et Levy quittent Paris à bord d’une Mercedes. Ils sont pris en filature par une vingtaine de policiers dont six de la sous-direction anti-terroriste (SDAT) les autres de la toute nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) qui se veut un FBI à la française.
La Mercedes se dirige vers la Seine-et-Marne. Le couple se sait suivi. Les jeunes gens vont dîner dans une pizzeria du Trilport, près de Meaux. En sortant, Julien Coupat jette dans une poubelle un emballage de lampe frontale et un fascicule de la SNCF. Puis, la voiture repart, direction Dhuisy (77). La Mercedes reste stationnée à l’aplomb de la voie ferrée de la ligne TGV entre 4 heures et 4 heures 20 mn. Puis elle repart en direction de Paris.
Un montage
Vers 5 heures du matin, le premier TGV va heurter à cet endroit l’un des quatre crochets posés cette nuit-là. Les policiers alertent la SNCF.
Or, dans leur rapport, les policiers affirment que personne n’est sorti de la Mercedes durant la surveillance nocturne.
L’enquête du sabotage est confiée aux gendarmes. Ceux-ci apprennent vite qu’une équipe de policiers était à Dhuisy, sur les lieux du sabotage. Ils interrogent les policiers en planque qui donnent une version assez différente de celle contenue dans leur PV. Ils affirment en effet avoir vu un individu sur la voie qui ne peut être que Julien Coupat. Ils prétendent que le crochet était placé « à l’aplomb d’un pont ». Les gendarmes le trouveront 300 m plus loin. Les policiers prétendent qu’ils ont prévenu la police ferroviaire à 5 h 10. Or les enregistrements téléphoniques de cette nuit-là ont mystérieusement disparu.
Bizarre. Reste que quelqu’un a bien posé un crochet sur la caténaire à Dhuisy durant la nuit du 7 au 8 novembre 2008. Qui? Mystère. Quand? On ne sait pas : avant ou après le passage de Coupat ? Et les trois autres crochets posés sur d’autres lignes TGV pourquoi les enquêtes n’ont-elles rien donné? Y a-t-il un lien avec les écologistes allemands qui, cette nuit-là, s’opposaient au transport de matière radiative entre La Hague (F) et Gorleben (D)? En tout cas, ils ont revendiqué les sabotages à la presse allemande.
Au final, pas de photo du ou des suspects sur les lieux du délit, pas d’ADN, pas d’éléments matériels susceptibles de confondre le couple Coupat-Levy à Dhuisy. Mais au contraire un épais brouillard sur le récit de cette nuit de surveillance. Au point que les avocats du couple Coupat-Levy n’hésitent pas à parler de « montage » de la part de la police. Ils ont même déposé plainte pour « faux ».
C’est pourtant autour de ce seul PV que toute l’accusation a été construite. Dix ans après les sabotages des lignes TGV aucune preuve matérielle, aucun témoignage n’est venu corroborer la version policière.
Le procès pourrait bien se retourner contre ceux qui l’ont initié. On en reparlera.
Marcel GAY
Les huit prévenus
Les incriminations terroristes ont disparu. Quatre prévenus sont poursuivis pour association de malfaiteurs et dégradation de biens pour deux d’entre eux. Les autres pour avoir refusé de se soumettre à des prélèvements ADN.
– Julien Coupat, 43 ans, est poursuivi pour avoir participé à des actions violentes, pour dégradation de biens à Dhuisy (77) et pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement biologique.
– Yildune LEVY, 33 ans, est poursuivie des mêmes chefs.
– Elsa HAUCK, 33 ans, est poursuivie pour avoir préparé et participé à des manifestations violentes et refusé de se soumettre à des prélèvements d’ADN.
– Bertrand DEVEAUD, 33 ans, est poursuivi pour avoir préparé et participé à des actes de violence.
– Christophe BECKER, 42 ans est poursuivi pour tentative de falsification d’une carte d’identité, recel de vols de cartes d’identité et pour refus de prélèvement de ses empreintes digitales.
– Manon GLIBERT 35 ans, est poursuivie pour recel de vols de documents administratifs.
-Benjamin ROSOUX, 40 ans et Mathieu BURNEL 37 ans, sont poursuivis pour refus de prélèvement biologique.
Ils contestent formellement les faits qui leur sont reprochés.