La facho sphère reproche à une métisse franco-béninoise d’incarner la Pucelle aux commémorations de 2018. L’affaire dérape sur le terrain judiciaire. Mais à quoi ressemblait Jeanne, »la bonne Lorraine qu’Anglois brûlèrent à Rouen » ?
Les faits. Le procureur d’Orléans vient d’ouvrir une enquête préliminaire pour « provocation publique à la discrimination et à la haine raciale » après la publication de tweets odieux sur le choix de Mathilde Edey Gamassou, 17 ans, d’origine africaine, pour être la cinquantième incarnation de Jeanne lors des fêtes johanniques de mai 2018. Un sacrilège, pour quelques fachos incultes. Une provocation dénoncée par des sites identitaires. Mais que savent-ils de Jeanne, de sa couleur de peau, de celle de ses cheveux, de son identité véritable ? Sans doute pas grand-chose.
Brune ou blonde ?
Rappelons quelques éléments historiques incontournables.
Aucun représentation fiable de Jeanne ne nous est parvenue ! Que nous disent les sources de son aspect physique ? Comment la voyaient ses contemporains ?
Jehan Bréal, Inquisiteur de la Foi en France en 1455 chargé de la récapitulation du procès en nullité de jugement indique : Elle a une tache rouge derrière l’oreille droite, deuxièmement un parler doux et lent, troisièmement un cou bref. Bref comme la description de l’intéressée. Parcellaire en tout cas.
Mathieu Thomassin, procureur fiscal du Dauphiné, en son registre delphinal précise : Elle était habillée comme un homme, avait des cheveux courts et un chaperon de laine sur la tête et portait petits draps comme les hommes de bien simple manière.
Perceval de Boulainvilliers, dans sa lettre au duc de Milan : …Cette Pucelle a la beauté qui convient, elle a une attitude virile… L’on ne vit jamais pareille force à supporter la fatigue et le poids des armes au point qu’elle peut rester six jours et six nuits sans détacher une seule pièce de son armure.
Guillaume Cousinot de Montreuil, maître des requêtes, au chapitre 42 de la Chronique de la Pucelle : Elle était âgée de 17 à 18 ans, bien compassée de membres et forte, laquelle un jour sans congé de père et de mère, non mie qu’elle les eut en grand honneur et révérence et les craignait et doutait, mais elle n’osait se découvrir à eux par crainte qu’ils ne lui empêchassent son entreprise, s’en vint à Vaucouleurs devers Messire Robert de Baudricourt (…)
Giovani Sabadino degli Arienti, secrétaire du maître échevin de Bologne dans Ginevera de la Clara Donne : Elle fut belle, de visage un peu brun avec des cheveux blonds elle resta vierge et pieuse… Sa parole était douce, son sens aussi exquis que si, au lieu d’avoir vécu à la suite des troupeaux, elle eut été élevée dans la meilleure école de prudhommie et de bonnes mœurs.
Il faut noter que le maître échevin est le seul à avoir vu notre héroïne nationale avec une chevelure blonde…Il décrit un visage un peu brun…
Jacques Philippe Foresti de Bergame, de l’ordre de Saint Augustin, dans son De claris mulieribus : Elle était de petite taille, avec un visage de paysanne et des cheveux noirs, mais forte en tous membres… Son langage avait de la douceur, comme celui des femmes de son pays… Son sens était si droit, si juste, qu’il semblait que sa vie s’était passée et qu’elle avait été élevée à l’école de la plus haute sagesse et de grande prudence.
Des cheveux noirs
Grâce aux documents de l’époque on sait qu’elle avait les cheveux coupés en rond à l’écuelle c’est à dire rasés au-dessus des oreilles et dans la nuque. Les hommes d’armes avaient adopté cette coiffure pour ne pas être gênés sous le casque. Puis, c’est devenu une mode : même ceux qui ne portaient pas le casque étaient coiffés ainsi.
« Cheveux noirs » comme l’écrit Philippe de Bergame ce chroniqueur italien, noirs encore, comme l’affirme le greffier de la Rochelle dans le Livre Noir de la Rochelle publié par Quicherat (t.IV) qui la décrit lorsqu’elle arrive à Chinon : Un pourpoint noir, chausses estachées, robe courte de gros gris noir, cheveux ronds et noirs, chapeau noir sur la tête. Hormis l’échevin de Bologne, ceux qui ont approché La Pucelle la décrivent ayant des cheveux noirs.
Deux indices matériels confirment cette couleur. Nous savons que Jeanne glissa un de ses cheveux dans le cachet de cire de la lettre qu’elle envoya aux habitants de Riom le 9 novembre 1429. Ce document fut découvert aux archives de la ville en 1884. Jules Quicherat eut en main ce document, exposé par la suite dans plusieurs musées dont celui de Nancy.
L’historien affirme qu’on y voyait l’empreinte d’un doigt et le reste d’un cheveu noir, conformément aux habitudes du temps qui voulaient que l’auteur d’une lettre insère dans la cire un poil de barbe ou un cheveu pour attester de l’authenticité du sceau. Malheureusement, à la suite de trop nombreuses manipulations, le cheveu de Jeanne a disparu et ce n’est qu’un revers du cachet de cire attaché à la lettre qui fut exposé de musées en musées.
Un autre indice nous est fourni par la lettre aux habitants de Reims du 16 mars 1430 portant également un cachet de cire traversé par un cheveu très noir comme l’a constaté l’archéologue Francis Pérot. Hélas, il ne reste plus rien aujourd’hui ni du sceau ni du cheveu.
Jeanne était donc vraisemblablement brune.
Le périple d’une statue
Toutes les représentations que nous avons aujourd’hui de la Pucelle sont issues de l’imagination plus ou moins fantaisiste des artistes qui réalisent leurs œuvres. Le musée de Vaucouleurs, notamment, était jusqu’à ces dernières années spécialisé dans les différentes représentations de Jeanne à travers les siècles. Jeanne a mille visages.
Il existe un nombre incalculable de statues représentant Jeanne, souvent à cheval, sur les places des villes et des villages de France. Et il y a une statue de la sainte dans toutes les églises de l’Hexagone. Mais une seule approche assez fidèlement l’aspect physique de notre héroïne.
En 1458, un monument en bronze fut érigé sur le pont d’Orléans par la ville avec l’agrément de Charles VII et sa contribution financière. Le groupe représente la Vierge Marie tenant sur ses genoux Jésus descendu de la Croix plantée derrière elle. D’un côté, Charles VII est à genoux, les mains jointes. De l’autre, Jeanne est dans la même attitude que le roi. Tous deux sont en armure.
Charles VII a vécu jusqu’en 1461 et de nombreux habitants d’Orléans qui avaient connu la Pucelle vivaient encore. On peut donc penser que les représentations de Charles et de Jeanne tenaient compte de leurs physionomies même si son auteur, dont le nom n’est pas parvenu jusqu’à nous, était enclin à les magnifier.
En 1567 les Calvinistes occupent la ville. Le monument est détruit d’un coup de canon et les morceaux jetés dans la Loire. Quelques années plus tard, la ville d’Orléans décide de restaurer ce mémorial. Les morceaux de bronze sont récupérés dans le fleuve. Le marché de restauration est confié à l’artiste Hector Lescot.
Celui-ci, rassemble et ressoude les éléments d’origine, il refond les autres. Par chance, la tête représentant la Pucelle n’est pas abîmée si l’on en croît un acte authentique passé devant notaire.
Simple curiosité par rapport à l’original, Hector Lescot a modernisé la tenue de l’héroïne qui est maintenant vêtue d’une armure et d’une fraise de l’époque Henri II, suivant en cela la tradition artistique de son temps. Malheureusement le monument fut à nouveau détruit par les révolutionnaires en 1792 pour en faire des canons.
Agenouillée, les mains jointes
Par bonheur à la fin du 16ème siècle, un petit fils de Pierre d’Arc, Etienne Hordal, doyen du chapitre de Toul, fit construire une chapelle au Bois Chenu, à Domrémy et y fit placer une statue de la Pucelle. Pour la représenter il avait demandé à un artiste sculpteur de reproduire exactement les traits d’une statue qui faisait partie du monument en bronze sur le pont d’Orléans. Et cela juste avant sa destruction.
On peut encore apprécier aujourd’hui cette copie fidèle qui, elle, a survécu aux avanies du temps et des hommes. Elle est fixée au-dessus de la porte de la maison de Domrémy où Jeanne aurait vu le jour. Une copie se trouve dans le musée tout proche.
La Pucelle est présentée en armure, agenouillée, les mains jointes. Cette Jeanne porte des cheveux longs –comme sur le croquis de Clément Fauquembergue. Tête nue, le regard fixe, elle a un visage rond, les joues pleines, le cou « bref » comme l’a observé l’inquisiteur de la foi Jean Bréhal.
La ressemblance entre cette statue et le portrait de Jeanne des Armoises que l’on peut admirer au château de Jaulny est saisissante. Même pour un œil non averti, le visage des deux femmes présente de nombreuses similitudes.
Petite, brune et coquette
Jeanne était petite. Nous le savons d’abord par de nombreux témoins de l’époque. Mais surtout nous avons des renseignements précieux sur les registres des comptes de la ville d’Orléans. Charles, duc d’Orléans, prisonnier à Londres, donna l’ordre à ses gens, en juin 1429, d’acheter les étoffes nécessaires à la confection d’une robe et d’une huque pour la Pucelle.
On sait ce que la Pucelle a choisi. Pour la robe une fine de Bruxelles vermeille c’est à dire un tissu de laine de très grande qualité fabriqué à Bruxelles, de teinte vermillon, les deux aunes pour le prix de 8 écus d’or. La huque en laine vert perdu (foncé) pour 2 écus. Pour les doublures : du satin blanc et du cendal, ensemble avec la confection 1 écu. Pour faire les orties des deux pièces d’habits, une demi aune de deux verts achetés à Jacques Compaing, autre drapier pour 36 sols.
Le prix total de cette splendide robe, tissu et main d’œuvre compris s’élève à 13 écus d’or et 36 sols. Une vraie fortune. Cette robe montre que, contrairement à l’image que l’on a voulu donner d’elle, Jeanne aime le luxe et les choses raffinées.
On sait aussi que la robe a été taillée dans une pièce de tissu mesurant 2,376 mètres sur 1,485 mètre (en convertissant les mesures de l’époque). L’historien Adrien Harmand, dans son ouvrage Jeanne d’Arc, ses costumes et son armure publié en 1929, calcule ainsi la taille de la Pucelle et affirme qu’elle mesurait environ 1,59 mètre ou 1,60 mètre.
Jeanne appartient à tous les Français
On est loin de l’image merveilleuse d’une Pucelle grande et blonde caracolant sur de fougueux destriers, telle qu’elle fut incarnée à l’écran par la belle Milla Jovovich dans le film de Luc Besson. Jeanne, n’était donc pas blonde, pas grande, pas très belle.
Mais quelle importance ? Si ses exploits sont parvenus jusqu’à nous, plus de six siècles après la libération d’Orléans, le 8 mai 1429, c’est que Jeanne incarnait des valeurs de courage et de foi. Le courage et la foi qui sont des valeurs universelles et éternelles qu’aucun parti ou mouvement ne peut s’approprier. Jeanne appartient à l’Histoire de France. Donc à tous les Français, qu’elle que soit leur origine, leur religion ou la couleur de leur peau. Jeanne appartient donc aussi, un peu, à Mathilde Edey Gamassou.
Qui peut le lui contester ?
Marcel GAY