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Pourquoi la Coupe du monde est plus équitable cette année

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La coupe du monde s’ouvre en Russie.
Nathan Rogers/Unsplash, CC BY-SA

Julien Guyon, Columbia University

Il y a quatre ans, j’avais appelé la FIFA à revoir les règles du tirage au sort de la Coupe du monde. Jusqu’alors les 32 équipes qualifiées étaient réparties dans quatre pots essentiellement selon leur zone géographique, chaque groupe étant ensuite composé d’une équipe tirée au sort dans chaque pot. Cette pratique, vieille de 60 ans, produisait des groupes déséquilibrés et pénalisait injustement certaines équipes en augmentant leurs chances de tomber dans un groupe difficile.

A l’époque, ne connaissant aucun journaliste, j’ai simplement proposé mon article au New York Times qui l’a publié à ma grande joie ! J’ai ensuite réussi à joindre le rédacteur en chef sports du Monde et le rédacteur en chef digital de El Pais, qui ont eux aussi accepté de publier mon texte.

J’ai aussi écrit au président de la FIFA, à tous les vice-présidents de la FIFA, au secrétaire général de la FIFA, ainsi qu’à tous les présidents de confédération, pour les informer de mes travaux. Je n’ai jamais reçu aucune réponse, sauf celle de Michel Platini, alors président de l’UEFA, le 4 juin 2014, jour de la publication de mon article dans le New York Times et Le Monde, par l’intermédiaire de son directeur de cabinet, qui, quelques jours plus tard, a eu la gentillesse de remettre en mains propres mes travaux à l’assistant personnel de Sepp Blatter, alors président de la FIFA. J’espérais bien convaincre la FIFA d’adopter des règles plus équitables.

Des tirages déséquilibrés

Les règles du tirage au sort de 2014 étaient particulièrement injustes pour le Chili et les États-Unis. Placés dans des pots relativement faibles pour des raisons géographiques malgré leur bon classement FIFA, ils allaient automatiquement affronter deux autres bonnes équipes et atterrir dans un groupe relevé.

En simulant des dizaines de milliers de tirages au sort, on pouvait construire les histogrammes de la force du groupe des États-Unis et du Chili. Ceux-ci auraient dû être centrés sur zéro (groupes équilibrés), mais ils penchaient nettement du côté des groupes relevés : États-Unis et Chili avaient atterri dans des groupes difficiles non pas parce qu’ils avaient été malchanceux lors du tirage, mais parce que le tirage était biaisé contre eux.

Les histogrammes représentent un très grand nombre de tirages simulés par ordinateur. Un groupe équilibré serait centré sur 0. En rouge la méthode classique (biaisée et avec un grande variance), en bleue la proposition de nouvelle méthode (plus juste et avec beaucoup moins de variance).
Julien Guyon, Author provided

Il est très important que les groupes soient équilibrés : une équipe devrait accéder aux huitièmes de finale non pas parce qu’elle a été chanceuse au tirage en tombant dans un groupe facile, mais parce qu’elle l’a mérité sur le terrain. Il est crucial qu’aucune équipe ne soit désavantagée par les règles du tirage : c’est la condition même d’une compétition juste et équitable.

La FIFA a entendu le message

Bonne nouvelle pour les amateurs de football : la FIFA a entendu le message. Cette année, pour la première fois dans l’histoire de la Coupe du monde, la composition des pots a obéi à une logique purement sportive, exception faite du traitement de faveur toujours réservé au pays hôte, la Russie : les 7 meilleures équipes au classement FIFA d’octobre 2017 figuraient dans le pot 1 avec les Russes (formant les 8 têtes de série), les 8 équipes suivantes figureraient dans le pot 2, les 8 suivantes dans le pot 3, et enfin les 8 dernières dans le pot 4, indépendamment de leur confédération (continent) d’appartenance. Par conséquent, cette année, les 8 groupes sont bien équilibrés et aucune équipe ne fut désavantagée, chaque groupe étant toujours composé d’une équipe tirée au sort dans chacun des 4 pots.

La FIFA a maintenu la règle selon laquelle deux équipes d’une même confédération ne peuvent être tirées au sort dans le même groupe, à l’exception des 14 équipes européennes – un minimum de 1 et un maximum de 2 équipes européennes par groupe est autorisé. Cette contrainte géographique, légitime, explique pourquoi la FIFA a durant plus de 60 ans utilisé des critères géographiques pour former les pots : il devenait alors facile de satisfaire la contrainte lors du tirage, mais au détriment de l’équité et de l’équilibre des groupes.

Comment faire pour imposer la contrainte géographique maintenant que les pots, bâtis par niveau, contiennent des équipes pouvant provenir de tous les continents ? C’est moins évident, surtout si l’on ajoute la contrainte que le tirage doit être simple, utiliser un petit nombre d’urnes et de boules tirées par des mains innocentes, et durer environ une demi-heure. Si l’on vide les pots séquentiellement, sans prêter attention à la contrainte, on risque de placer plusieurs équipes d’un même continent, ou bien trois équipes européennes, dans un même groupe, ce qui est interdit. Il y a quatre ans, dans cet article, j’avais décrit trois méthodes pour résoudre ce problème.

De nouvelles méthodes plus justes

La première méthode s’inspire de la manière dont l’UEFA procède pour imposer des contraintes (géographiques et d’exposition télévisuelle) lors du tirage au sort de la phase de groupes de la Ligue des champions. Les pots 1 à 4 sont vidés séquentiellement dans cet ordre, et à chaque fois qu’une équipe est tirée au sort, un algorithme de « backtracking » fournit la liste des groupes autorisés pour cette équipe. Un groupe est alors tiré au hasard parmi les groupes autorisés.

Un groupe est admissible si le fait d’y placer l’équipe tirée au sort ne viole pas les contraintes et ne mène pas non plus à une future impasse. Imaginons par exemple que l’Angleterre soit la 7e boule tirée du pot 2, que la Colombie soit la dernière boule restant dans le pot 2, et que les deux dernières têtes de série disponibles soient la France et le Brésil. Bien que ces deux adversaires soient a priori admissibles pour l’Angleterre, les Anglais seraient en fait automatiquement placés avec le Brésil, et donc les Bleus avec la Colombie, pour empêcher que Brésil et Colombie se retrouvent ensuite dans le même groupe.

Chacun peut vérifier a posteriori que la liste fournie par l’algorithme était bien correcte. Cette procédure est bonne, bien meilleure que celles utilisées par la FIFA dans le passé. Cependant elle n’est pas parfaite : tous les résultats possibles du tirage au sort ne sont pas équiprobables. Certains tirages sont plus probables qu’ils ne devraient l’être, d’autres moins.

La deuxième méthode corrige ce biais. D’abord une répartition continentale des groupes serait tirée au sort. Par exemple, on saurait à ce stade que la France jouerait contre une équipe sud-américaine du pot 2, une équipe européenne du pot 3 et une équipe asiatique du pot 4. Ensuite seulement les pots 2, 3 et 4 seraient vidés, et chaque équipe tirée au sort irait dans le premier groupe disponible correspondant à son pot et à sa confédération. Contrairement à la précédente, cette procédure n’introduit aucun biais : tous les résultats possibles du tirage au sort seraient maintenant équiprobables. Seul problème : le nombre de répartitions continentales admissibles est si grand (349 920 en 2014 ; 1 672 320 cette année) qu’il est impossible de réaliser le tirage en pratique.

La troisième méthode, que j’avais décrite en 2014 dans cet article du New York Times et dans cet article du Monde, résout ce problème. Chaque pot serait divisé en deux. Le pot 1a contiendrait les quatre meilleures équipes du pot 1, le pot 1b les quatre autres ; de même pour les autres pots. Pour renforcer l’équilibre des groupes, les équipes du pot 1a seraient tirées au sort contre celles des pots 2b, 3a et 4b ; celles du pot 1b contre celles des pots 2a, 3b et 4a. Pour chacun de ces deux « demi-tirages », le nombre de répartitions continentales admissibles est beaucoup plus faible que pour le tirage complet (24 et 6 en 2014 ; 72 et 18 cette année). On pourrait donc facilement réaliser le tirage en pratique. Autre avantage : couper les pots en deux produirait des groupes encore plus équilibrés. Un joli simulateur bâti par le New York Times permet de comparer la procédure 2014 de la FIFA avec la méthode que je suggère.

Pot 1a : Russie, Allemagne, Brésil, Portugal

Pot 2b : Colombie, Mexique, Uruguay, Croatie

Pot 3a : Danemark, Islande, Costa Rica, Suède

Pot 4b : Maroc, Panama, Corée du Sud, Arabie saoudite

Pot 1b : Argentine, Belgique, Pologne, France

Pot 2a : Espagne, Pérou, Suisse, Angleterre

Pot 3b : Tunisie, Égypte, Sénégal, Iran

Pot 4a : Serbie, Nigeria, Australie, Japon

Un tirage plus équilibré mais encore perfectible

La FIFA a choisi la première méthode, mais au lieu de tirer au sort un groupe parmi les groupes admissibles, elle a choisi le premier groupe admissible dans l’ordre alphabétique des groupes (A à H). Cela a malheureusement faussé les probabilités de tirage pour la Russie, puisqu’elle avait été placée d’office dans le groupe A. La Russie a ainsi eu plus de chances de tomber contre une équipe européenne du pot 2 qu’elle n’aurait dû – ce qui ne l’a pas empêchée de tomber sur l’Uruguay.

Malgré cela, la procédure garantissait par construction des groupes bien plus équilibrés qu’en 2014, comme le prouve la comparaison des histogrammes de l’écart-type de la distribution de la force des 8 groupes. Plus cet écart-type est faible, plus les 8 groupes sont équilibrés. Les histogrammes sont obtenus en simulant le tirage au sort des milliers de fois. L’histogramme des écarts-type de 2018 est centré sur des plus petites valeurs que celui de 2014. La troisième méthode, en coupant les pots en 2, équilibrerait même encore plus les groupes.

La méthode suggérée par Julien Guyon, en bleu, assure un écart-type plus faible en moyenne donc des groupes plus équilibrés que la méthode FIFA.e.
Julien Guyon

Didier Deschamps a-t-il eu de la chance au tirage ?

Avec la méthode Guyon, les tirages très faciles et très durs sont moins probables et les groupes bien équilibrés. Le tirage (ligne verticale) montre que la France a en fait été plutôt malchanceuse. Le Pérou peut paraître un adversaire faible, mais a un classement FIFA et Elo élevé. Le Danemark est probablement l’équipe la plus relevée du pot 3.
Julien Guyon, Author provided

Pour que les groupes soient encore plus équilibrés, il faudrait remplacer le classement FIFA par un classement plus juste, par exemple le classement Elo – et traiter le pays hôte comme n’importe quel autre (le tirage au sort a traité la Russie comme une des huit meilleures équipes, alors que c’est la plus faible des 32 équipes en lice d’après le classement FIFA). Voici à quoi auraient alors ressemblé les pots :

Pot 1 : Brésil, Allemagne, Espagne, Portugal, France, Argentine, Angleterre, Colombie

Pot 2 : Belgique, Pérou, Uruguay, Suisse, Croatie, Mexique, Pologne, Danemark

Pot 2 : Suède, Iran, Islande, Sénégal, Serbie, Japon, Costa Rica, Australie

Pot 4 : Corée du Sud, Nigéria, Maroc, Russie, Panama, Égypte, Tunisie, Arabie saoudite

The ConversationEspagne, Angleterre et Colombie auraient remplacé Russie, Belgique et Pologne comme têtes de série, ce qui semble raisonnable. Les groupes auraient été encore plus équilibrés, surtout si la FIFA avait coupé les pots en deux et avait appliqué la troisième méthode que je suggère. Combiner troisième méthode et classement Elo produirait des groupes extrêmement équilibrés. Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, la FIFA a récemment annoncé qu’elle allait adopter la formule Elo à partir de juillet 2018. De quoi espérer un tirage au sort de la Coupe du monde 2022 enfin juste et équilibré !

Julien Guyon, Professeur associé, Département de mathématiques, Columbia University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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